Frédéric Worms s'entretient avec Belinda Cannone, écrivain et essayiste.
- Belinda Cannone Docteur en littérature comparée, romancière et essayiste
Pour Belinda Cannone, les chose sont finalement assez simples. On ne naît pas femme, certes, on le devient, mais selon son désir. La féminité n’est pas une essence, elle n’est pas non plus rien, elle peut être ressentie ou pas, librement et c’est cela qui importe : dans un désir et comme désir. Elle ne peut s’imposer ni par la violence, ni comme une identité, mais se revendiquer dans certaines activités où elle est alors désirée comme telle. Il y aurait des activités à conjuguer au neutre, d’autres que le désir sent, marque, revendique comme féminines et donc aussi, à l’inverse, pour certain.e.s et selon leur désir, comme masculines, comme sujet même aussi, comme objet du désir. Etre femme, ou homme, selon son désir, le désir de celui qui l’est, parce qu’il le désire.
Belinda Cannone : "Je pense depuis longtemps qu'il faudrait neutraliser certains mots du vocabulaire - et pas les féminiser. Si vous voulez vraiment changer la langue, introduisez du neutre. Il y a des tas d'activités - dont l'écriture par exemple - dans lesquelles je crois qu'on on n'est pas homme ou femme, on est juste un être humain. Mon féminisme consiste à vouloir souvent suspendre le genre c'est à dire à ne pas être constamment assignée à un genre, ne pas revendiquer le féminin. Dans cette perspective-là, il me semble qu'il faut reconnaître qu'il y a un tas d'activités dans lesquelles le genre n'est pas engagé. Ce qui nous manque c'est le neutre. Quand je jardine par exemple, je ne suis pas une femme, ni un homme non plus. Je suis en train de faire, je suis jardinant. Pour moi, l'avenir du féminisme ne consistera pas à féminiser à tout crin mais à neutraliser certaines activités."
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#désir #libido #Pénélope #désir de vivre #grâce
J'ai horreur de parler de la "sexualité", j'ai l'impression de parler d'un terme médical. Je ne suis même pas sûre que la libido existe. Probablement que cette force anonyme dont parlait Freud existe, sans doute est-elle à l'origine du désir. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est l'humanité du désir, le désir qui est adressé, c'est cette relation entre moi sujet Belinda et l'autre. Le désir m'intéresse en tant qu'il nous met en relation. Pas en tant que force anonyme et brute, ou de l'ordre de la médecine.
#Simone de Beauvoir #Sartre #sadisme #masochisme #sujet #objet #jeuderôles
Je ne crois pas que nous soyons menacés par le puritanisme aujourd'hui. C'est pour moi une inquiétude vaine, il n'y a pas de vraie menace de ce côté-là. En revanche, le courant du féminisme contre lequel j'ai écrit La tentation de Pénélope c'est le différentialisme, ce nouveau courant qui se répand dans la société et qui consiste à penser que les femmes ont une identité, une essence féminine qui les caractériserait. Moi qui suis pour la suspension du genre, je suis très opposée à cette pensée-là. Je n'ai pas envie d'" importuner" quiconque et je n'ai pas envie qu'on "m'importune". En revanche, je veux pouvoir draguer et je veux bien être draguée. Je ne veux pas du tout assécher ni dévitaliser ce qui constitue l'alerte érotique entre les hommes et les femmes mais je veux simplement que l'on puisse être à égalité dans ce jeu-là. Aujourd'hui, les rapports hommes/femmes sont un creuset de transformation incroyable. On est dans une période de transition où tout est ouvert, on ne sait pas comment les gens feront couple à l'avenir. Pour ma part, j'essaie juste de formuler ce que je vois, de maintenir le doute et surtout de trouver "l'hypothèse la plus généreuse". Parions pour ce qui nous laisse le plus libre !
#liberté #plasticité #Catherine Vidal #neurobiologie
Je n'entends l'écriture que comme un dialogue avec l'autre. C'est un terrain d'entente, de partage. En écrivant je m'adresse à autrui, je lui parle et c'est parce que j'écoute aussi que je peux écrire. Pour moi, écrire c'est le domaine de la relation vraiment.
Liens
Belinda Cannone, Le jour où les femmes se sentirons autorisées à exprimer leur désir, elles ne seront plus des proies, tribune parue dans Le Monde du 9 janvier 2018.
Le choix musical de Belinda Cannone est un extrait de l'opéra de Riccardo Zandonaï, Giulietta e Romeo, l'air "Giulietta son' Io" (acte III) interprété par Jonas Kauffmann.
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