Judith Butler telle qu’en elle-même

Judith Butler, Frédéric Worms, Eve Dayre, 11 avril 2018.
Judith Butler, Frédéric Worms, Eve Dayre, 11 avril 2018. ©Radio France - Céline Leclère
Judith Butler, Frédéric Worms, Eve Dayre, 11 avril 2018. ©Radio France - Céline Leclère
Judith Butler, Frédéric Worms, Eve Dayre, 11 avril 2018. ©Radio France - Céline Leclère
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Frédéric Worms s'entretient avec Judith Butler, philosophe, professeure à l'Université de Berkeley (Etats-Unis).

On réduit souvent Judith Butler à une position politique elle-même réduite à un slogan, par exemple sur le fameux « trouble dans le genre»; lives that matter, « les vies qui comptent » ou la reprise du problème d’Adorno : « comment vivre une vie bonne dans un monde mauvais ? ». Mais si les formules de Judith Butler s’inscrivent si vite et si fort dans le monde social contemporain, ce n’est pas par hasard. C’est par la force et la singularité de sa pensée, de son problème central, de son parcours. Il faut donc aller à la rencontre de Judith Butler au-delà des images associées à son nom, dont elle dit elle-même qu’il l’accompagne désormais comme une ombre. A la rencontre de sa pensée, de sa voix, sa lucidité, son ironie, son inquiétude, sa générosité. Un questionnement philosophique profond, simple et singulier, des positions qu’on peut comprendre et discuter, et  le monde qui s'invite dans cet entretien, la question des oppressions, celle des réfugiés. 

Judith Butler : Toutes les normes ne sont pas mauvaises. En ce moment, j'avoue que j'aimerais voir certaines normes appliquées dans mon pays ! Une norme peut être le reflet d'un nouveau consensus social. 

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Je crois que vivre son désir comme exclusivement individuel est une forme d'enfer. Ce n'est que quand j'ai compris que mon désir était partageable, c'est seulement là que j'ai commencé à me dire que je pouvais vivre dans un monde partagé, à la lumière, en plein jour, avec les autres, sans avoir l'impression d'être un cas pathologique ni vivre dans un isolement total. J'ai toujours critiqué cette façon de penser de considérer l'individu comme le fondement même de la question du désir. Mon livre Trouble dans le genre a été interprété comme une position extrêmement individualiste, quasi libertarienne. Je le réfute parce que je pense que nous sommes formés à l'intérieur d'un monde social, et les possibles qui nous sont ouverts sont formés et contraints par les normes sociales. Et même si nous avons une certaine latitude, la liberté de nous créer nous-mêmes de façon nouvelle, inédite, c'est toujours au milieu de contraintes. Quand on parle de construction sociale, les gens pensent déterminisme. Mais si la vie est profondément façonnée par les normes mais il ne faut pas penser que tout est déterminé par ces normes. Dans ce façonnage, on arrive à procéder des changements sur nous-mêmes, et même à créer des ruptures, c'est cela que revendique le mouvement LGBT. 

#queer mouvement #LGBT #créature désirante

Une partie de mon travail consiste à étudier des populations bouleversées, détruites par la guerre et qui sont considérées comme des vies dont on ne porte pas le deuil. L'absence de reconnaissance pour toutes ces pertes humaines, pour les blessures subies, est une forme de souffrance, qui nous plonge dans un état de mélancolie politique. Sans la reconnaissance, on ne peut porter le deuil publiquement, reconnaître cette perte, ce chagrin, on n'est pas responsable de ces morts, on n'enquête pas. Le refus de porter le deuil de populations entières, cela peut être la politique des états.

#Freud #réfugiés 

Les propos de Judith Butler ont été traduits par Eve Dayre.

Le choix musical de Judith Butler est une chanson de Laurie Anderson intitulée The Dream before.

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