

Frédéric Worms s'entretient avec Jean-Claude Milner, linguiste et philosophe.
- Jean-Claude Milner linguiste et philosophe
Si Jean-Claude Milner propose de « relire la révolution » - c’est-à-dire la Révolution française - c’est pour une raison à la fois simple et fondamentale. Parce qu’elle est le noyau actif de tous les événements qui ont suivi et se sont réclamés de la révolution, y compris ceux de Mai 68, ou qui se sont pensés "contre" elle, tous les totalitarismes et jusqu'aux massacres de masse. Qu’est-ce qui a fait révolution dans la Révolution ? Les droits de l’Homme. Mais encore ? L’universel et tout ce qui lui résiste. Deux universels plutôt : l’accès à la parole, et au symbolique, qui définit les êtres humains. Mais aussi les besoins de leurs vies, des corps, parfois de leur survie. Tant de forces s'opposent à ce mouvement révolutionnaire, à ces êtres vivants et parlants reconnus par et dans la Révolution française. Tant de fausses idées, aussi, au sujet de la Révolution. Mais elle a eu lieu, ce qui ne veut pas dire qu’elle est terminée... mais peut-être qu’il faut y revenir ?
Jean-Claude Milner : Pour qu'il y ait révolution, il faut que le mot soit prononcé. C'est pour cela que j'accorde de l'importance à cette anecdote : Louis XVI est censé avoir dit "Mais c'est donc une révolte ?" et le duc de Liancourt, Frédéric de La Rochefoucauld lui aurait répondu "Non, sire, c'est une révolution." Le langage de la révolution est partie intégrante de la révolution.
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Ceux qui ont fait Mai 68 étaient, dans leur majorité, marqués par la croyance révolutionnaire. Mai 68 est une forme surdéterminée par les représentations imaginaires les acteurs du mouvement, qui étaient des étudiants formés par l'enseignement secondaire de l'époque dans lequel la Révolution française occupait une place majeure, comme la référence à la révolution soviétique et à la révolution chinoise qui étaient aussi des références largement partagées. Alors il y avait une ligne de partage sur l'opportunité d'employer le mot révolution. En réalité, il y a eu une répétition presque théâtrale des éléments d'une révolution historique : des barricades, des foules, c'est à Paris que cela se passe. Cela avait la forme rhétorique d'une révolution mais ça n'en avait pas le contenu.
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La politique consiste à traiter le fait que les hommes, les êtres parlants, sont une multiplicité. Or on ne parle pas en chœur, on ne peut parler qu'en se soumettant à cette loi d'airain : un seul parle et les autres se taisent. Les formes politiques ont donc à régler cette contradiction : on est un être parlant que si l'on parle, or dès qu'on est plusieurs, il faut consentir à se taire pendant un temps. La parole politique n'est pas collective, contrairement à la parole sociale. Mais ceux qui se taisent, est-ce qu'ils restent des êtres humains ? des corps parlants, parce que pour être parlant il faut parler en actes. C'est ainsi qu'une forme de contrat qui définit la politique se construit : les uns se taisent parce qu'il leur a été garanti qu'ils reprendront la parole dès que leur tour viendra. Pour moi, c'est le fondement de la forme politique en tant qu'elle ne contrevient pas aux droits de l'Homme. La Révolution française a rencontré ce problème, de façon tragique, mais elle ne l'a pas résolu. Mais personne ne l'a résolu.
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Le choix musical de Jean-Claude Milner est une mélodie de Maurice Jaubert, La Chanson de Tessa, interprétée par Irène Joachim.
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