Immergez-vous !

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' ©AFP - PANAYOTIS TZAMAROS / NurPhoto
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Serge Tisseron s'entretient avec Etienne-Armand Amato, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris Est-Marne-la-Vallée (laboratoire DICEN-IDF) et conseiller technique de l'Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie (IHEST).

Avec
  • Etienne Armand Amato Co-fondateur et administrateur de l'Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines

Le concept d’immersion fait évidemment référence à un corps humain plongé dans un milieu aquatique. Mais il ne suffit pas de nager pour être immergé. Pour celui qui la choisit, l’immersion suppose de faire l’effort de dépasser la surface et d’aller vers les profondeurs. Il en est de même pour les jeux vidéo. Le joueur n’est pas dans un espace spécifique dédié à la seule projection comme dans une salle de cinéma, ni non plus totalement immergé dans un monde virtuel qu’il retrouve de quelque côté qu’il se tourne, comme dans les expériences de réalité virtuelle. Il est dans une position hybride : invité par son jeu à s’immerger dans l’espace vidéoludique, mais pourtant toujours présent dans l’espace de la pièce où il se trouve, en contact avec son environnement quotidien familier, aussi bien humain que matériel. 

Etienne-Armand Amato : Le jeu vidéo est une  simulation, il s'inspire souvent de référentiels qu'on connaît. Pour  autant, le caractère de la loi est propre aux règles du jeu. Il y a une  loi propre à chaque univers, avec des choses absolument  interdites. C'est pour cela qu'on parle de cosmos : un univers régi par  des lois. Il est courant que l'environnement soit chargé de menaces,  voire hostile, présentant un risque mortel. C'est un jeu, donc il y a  toujours le risque de perdre, ou au moins quelque  chose de non évident à négocier par l'activité ludique.

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#casque immersif #Alain Berthoz #Etienne Pereny

#immersion #oiseaux #Weissberg #spectacteur #Tennis for 2 #Ralph Baer #Pong

Au cinéma, nous sommes plongés dans le noir  complet, à plusieurs et le corps est "déprimé", il n'est pas mobilisé  par l'action. On a un corps imaginaire, "angélique", on est libéré de  notre condition corporelle au profit de cette pure vision.  Côté VR, il y a au contraire une approche quasi documentaire dans  laquelle il s'agit de mettre l'utilisateur au centre du dispositif, de  reconduire ses perceptions - par exemple de restituer aux mains les  sensations haptiques grâce aux datagloves; de redonner la vue grâce aux casques virtuels. On est  dans une logique de simulation grandeur nature d'un univers au sein  duquel on va pouvoir agir en fidélité avec ce que l'on connaît. Les jeux  vidéos sont un peu au milieu, ils empruntent  aux deux : avec des moments contemplatifs où toutes les compétences du  spectateur de cinéma sont mobilisées, mais on a en plus le phénomène  ludique. C'est à dire cette activité qui caractérise l'être humain, dans  laquelle on est en responsabilité, avec un  objectif à atteindre décalé du monde réel. La promesse de la VR c'est  de nous couper du monde environnant. Alors que dans le jeu vidéo on est  en double situation, en situation de "bi-localisation" : une forme  d'ubiquité dans laquelle on est à la fois chez  soi et en même temps à distance en train de s'occuper de choses très  importantes autour d'univers à sauver ou de responsabilités à assumer.

#datagloves #avatar #posture Godgame #Claire Sistach

Il ne s'agit pas d'opposer la réalité vidéo-ludique  avec les enjeux de notre monde contemporain : nous avons plutôt intérêt  à tirer profit de ces expériences immersives pour mieux comprendre le  monde. Etre nostalgique de ce qu'on a vécu  dans les mondes numériques je crois que c'est normal. Lorsqu'on vit des  aventures fabuleuses, des histoires tellement prenantes qu'elles  constituent des ressources existentielles, il est évident que cela  devient un souvenir fort et quand on revient dans le  monde ordinaire, il peut y avoir une déception. Mais nous avons tout  intérêt à prendre conscience de ce sentiment de perte pour réenchanter  notre regard sur le monde. Parce qu'à côté de ce sentiment de perte, il y  a d'autres phénomènes fabuleux qui nous entourent  et qu'on a oubliés. Il faut faire coexister ces deux référentiels. La  multiplicité des mondes et des vies qu'on peut s'offrir à travers les  jeux vidéos nous amène à notre propre existence qui peut paraître plus  limitée, plus contrainte, mais qui s'enrichit  de ces expériences et dont on est intégralement responsable. On est  dans le plus beau jeu qui soit, celui de la vie.

#Dark Age of Camelot #Skyrim

Je fais partie des chercheurs qui pensent qu'il y a  un enchevêtrement de l'être humain avec la machine.  Anthropologiquement, on sait que l'être humain est fait des dispositifs techniques qu'il utilise, manipule ou invente, et qu'inversement  ces dispositifs sont faits de son humanité. Affirmer que l'être humain est entremêlé de machines cela ne veut pas dire que les machines sont biologiques ni que nous sommes des mécaniques. Mais que les deux sont liés. Comment j'incorpore la machine, c'est ce partenariat-là qu'il est question de démêler.

#Gilbert Simondon #condition techno-existentielle #rabbit hole

Le choix musical d'Etienne-Armand Amato est une chanson du groupe Cheveu, "No birds".

Pour aller plus loin :

Le site de Observatoire des mondes numériques

L'équipe