

Cette semaine propose de prendre au sérieux les courants contemporains qui se réclament du pirate, des partis pirates aux hackers en passant par les terroristes ou la finance internationale, pour comprendre un peu mieux notre monde si troublé. Ce soir, avec Benjamin Loveluck, chercheur au CERSA.
- Benjamin Loveluck Chercheur au Centre d'Études et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques (CERSA) et à Télécom ParisTech
Les créateurs de l’internet se sont vécus comme des pirates, c’est-à-dire des franc-tireurs, audacieux certes mais vertueux, abattant toutes les rentes et fournissant enfin au plus grand nombre les moyens d’une égalité radicale. Ils continuent de se raconter ainsi même lorsqu’ils sont à la tête des entreprises parmi les plus puissantes du monde.
On en parle ce soir avec Benjamin Loveluck, maître de conférences à Télécom ParisTech et chercheur associé au CERSA (CNRS-Paris 2).
Dans les années 1990, le lien entre hackers et idéologie libertarienne sera renforcé avec les cypherpunks (parmi lesquels on comptait Julian Assange) qui insisteront sur la nécessité de défendre le chiffrement pour protéger les communications personnelles. Il s’agit donc de défendre une liberté fondamentale, alors même que le gouvernement américain progresse dans son contrôle de l’informatique. Il veut mettre des mouchards sur les appareils et interdire le chiffrement.
Ce qui est valorisé, c’est de détourner les règles, de sortir du cadre. Ce sont aussi des choses valorisées dans le monde économique, quand on parle de disruption, par exemple.
L’étiquette de pirate est revendiquée pour défendre la liberté d’expression, la réforme du copyright, les logiciels libres, mais aussi une manière différente de faire de la politique puisqu’il y aussi des propositions pour co-construire les politiques publiques, pour une démocratie plus directe…
On peut comprendre les hackers comme des vigies démocratiques de l’ère numérique : ils vont alerter sur des atteintes aux droits et libertés, mais ils vont aussi exploiter des failles à leur profit.
Si on soulève le capot de Wikipédia, on verra qu’il y a des mécanismes très sophistiqués de régulation des conflits pour arriver à stabiliser des contenus. Wikipédia est empreinte de pratiques inspirées des logiciels libres, s‘appuie sur un détournement du droit à travers les licences libres – le « copyleft », et est motivée par l’accès à tous au savoir par l’innovation juridique.
Bill Gates, jeune étudiant, avait piraté le système informatique de son école : c’était une manière de démontrer ses capacités. Steve Jobs faisait flotter le drapeau pirate au-dessus de l’équipe qui développait le Macintosh. Xavier Niel est le patron de Free, « libre » en anglais. Dans une lettre à ses actionnaires, Mark Zuckerberg renvoie au hacking comme valeur cardinale de l’entreprise Facebook, synonyme d’entreprenariat audacieux, de vitesse et de détournement des règles. Ils tiennent tous au même idéal méritocratique.
Pour certains, le hacker incarne une nouvelle lutte des classes. André Gorz y voit l’idéal d’un travailleur non-aliéné, qui se fixe ses propres objectifs, contrôle ses moyens de production et œuvre pour le bien de tous.
Le hacker est partout aujourd’hui : dans les grandes entreprises, dans les États, les armées… Il a été réintégré, domestiqué, peut-être…
► Extrait musical choisi par l'invité : " Ya Ho", de The Viceroys
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