Quoi de commun entre un journaliste camerounais, un constitutionnaliste belge et un écrivain-enquêteur français ? Leur tendance récurrente à refaire l'histoire du génocide des Tutsi, en attribuant au vainqueur de la guerre, Paul Kagame, la responsabilité du massacre d'un million de personnes.
Après le "révisionnisme populaire" d'un Paul Barril, ancien gendarme de l'Élysée, voici venu le temps des intellectuels du négationnisme. Tous ont pour point commun de reprendre les poncifs et fausses informations fabriquées par les génocidaires, dès que ceux-ci ont compris qu'ils n'échapperaient pas aux poursuites de la justice internationale. Souvent, ils sont journalistes, comme le Camerounais Charles Onana, le spécialiste de l'Afrique à Libération puis au Monde, Stephen Smith ou encore l'écrivain-enquêteur Pierre Péan, célèbre depuis qu'il a révélé le passé collaborationniste du président François Mitterrand. Pierre Péan va être particulièrement actif dans ce registre, d'abord en écrivant régulièrement des articles dans l'hebdomadaire Marianne, puis en publiant un brûlot accusateur Noires fureurs, blancs menteurs (Fayard, 2005). Et en participant, comme témoin principal, à un film ouvertement révisionniste réalisé par des partisans d'extrême droite.
Ce révisionnisme, qui flirte souvent avec le négationnisme, repose sur une vision très passéiste de la géopolitique africaine, principalement autour de l'idée du grand complot anglo-américano-israélo-ougandais. Complot ayant pour cible la présence française dans cette partie de l'Afrique. Et ce, via l'aide la CIA, du MI6 et du puissant service de renseignement du président rwandais Paul Kagame. Tout cela pour aboutir à une conclusion essentielle. Cette histoire truquée que l'on nous cache sert à masquer une évidence : le génocide tant décrié n'est pas celui qu'on croit. Ce discours révisionniste s'appuie sur quelques thèmes classiques du complotisme : le rôle des femmes, espionnes diaboliques, la théorie du double génocide et ses quatre millions de victimes congolaises ou bien encore l'absence de "planification" du génocide des Tutsi.
Un podcast de David Servenay et Thomas Dutter
Mixage : Audrey Guellil
Sur cet épisode, M. Stephen W. SMITH a souhaité le 30 juillet faire la mise au point suivante :
M. Stephen W. SMITH dément fermement la présentation faite de sa personne en tant qu’ "intellectuel du négationnisme". Il tient à préciser qu’il n’a jamais mis en doute le génocide des Tutsis qu’il avait couverts personnellement, sur place, pour Libération. M. Stephen W. SMITH conteste l’affirmation selon laquelle il ferait partie des intellectuels qui auraient "relayé dans les années 2000 les thèses révisionnistes" notamment du capitaine Paul Barril sur le génocide du Rwanda. Il précise qu’il a au contraire contesté les déclarations de Paul Barril en révélant, dès le 29 juillet 1994 dans Libération ("Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé"), que le capitaine Barril s’était rendu par deux fois au Rwanda depuis le génocide – notamment sur le site du crash de l’avion présidentiel – et que la "boîte noire" qu’il avait ramenée et exhibée à la télévision française n’était pas la mémoire technique de l’avion abattu.
Sur cet épisode, M. Grégor PÉAN, fils de Pierre PÉAN décédé le 25/07/19, a souhaité le 10 juillet 2020 faire la mise au point suivante :
L’émission reprend les commentaires de certains historiens ou journalistes présentant Pierre PÉAN comme un "négationniste", un "révisionniste", un "falsificateur" de l’histoire un "complotiste". Il est ainsi prétendu que dans son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs, Pierre Péan déploie “la rhétorique complotiste des génocidaires rwandais” et qu’”il ne croit pas au génocide des Tutsi par les Hutu”, qu’il pratique en outre “un révisionnisme intellectuel qui peut basculer vers un négationnisme pur et dur”. Selon les termes d’un journaliste, interviewé dans l’émission, ce livre serait d’un “négationnisme incroyable, tout ce qu’il dit est faux de A à Z”, Pierre PÉAN serait un “négationniste, falsificateur”. De même, Pierre PÉAN véhiculerait dans son livre “un récit conspirationniste” ou se livrerait à une “entreprise intellectuelle perverse”, “un soutien direct aux intellectuels du génocide”… Selon ces détracteurs, Pierre PÉAN nierait le génocide Tutsi. Grégor PÉAN conteste cette affirmation. Dans trois de ses ouvrages, traitant du Rwanda, Pierre PÉAN a évoqué sans aucune ambiguïté le génocide Tutsi :
- Dans son livre Noires fureurs, blancs menteurs publié en 2005 chez Fayard, il évoque clairement “les génocidaires Hutus traquant, abattant, mutilant, martyrisant les Tutsi” ou encore “la communauté internationale qui avait laissé une fois encore se perpétrer ces massacres, crut se rattraper en qualifiant, toute affaire cessante, la tragédie rwandaise de génocide. Oui il s’agissait bien d’un génocide, d’une entreprise d’extermination par des meurtres de masse.”
- Dans son livre Carnage publié en 2010 chez Fayard, le génocide des Tutsi est évoqué à plusieurs reprises sans aucune ambiguïté, notamment : “l’attentat qui a été le facteur déclencheur du génocide des Tutsi”, “la tragédie rwandaise, comme une guerre civile où s’étaient déroulés un génocide des Tutsi et des massacres de masse de Hutu”.
- Dans ses Mémoires publiées en 2020 chez Albin Michel, Pierre PÉAN écrit : “après l’attentat, si les premiers morts ont été des Hutu modérés, les Tutsi ont bien fait l’objet d’une traque systématique, d’un génocide.”
- Précisons encore que le livre Noires fureurs, blancs menteurs a été poursuivi par SOS Racisme pour incitation à la haine raciale, diffamation raciale contre les Tutsi et pour négation du génocide Tutsi. Or, trois décisions de justice ont été rendues dans cette affaire, qui ont toutes mises hors de cause Pierre PÉAN et notamment celle de chambre criminelle de la Cour de Cassation en 2011 qui a expressément indiqué que les propos du livre ne contiennent “aucun appel ni exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard des Tutsi.”
Aucune de ces décisions judiciaires n’est mentionnée ni même évoquée dans l’émission en question. Il est affirmé que Pierre PÉAN présente “l’attentat comme la cause du génocide alors qu’il n’en est que le déclencheur”. Pourtant, un extrait d’une interview de Pierre PÉAN, diffusé lors de l’émission, montre en réalité exactement le contraire : “...la communauté internationale s’agenouille, et bien lui, a une responsabilité première dans le génocide. Pourquoi ? Tout le monde s’accorde à dire que c’est cet attentat qui a été le facteur déclenchant du génocide”. Il est prétendu que les affirmations de Pierre PÉAN vont toutes se révéler fausses et que l’enquête BRUGUIERE n’a jamais conclues à la responsabilité de Paul KAGAME et du FPR dans l’attentat. Or dans son ordonnance du 17 novembre 2006, le juge BRUGUIERE conclut : “Attendu qu’il résulte de l’ensemble des investigations diligentées à ce jour dans le cadre de cette enquête (…) que l’attentat perpétré le 6 avril 1994 contre le FALCON 50 du Président HABYARIMANA, s’inscrit dans un plan d’ensemble ourdi par le FPR que dirigeait Paul KAGAME pour s’emparer par la violence du pouvoir qu’il n’aurait pu conquérir par la voie légale dans le respect des mécanismes institutionnels mis en place par les Accords D’Arusha.” Le juge TREVIDIC, qui a été le successeur du juge BRUGUIERE, avait été mis en examen en 2010, neuf personnes de l’entourage le plus proche de Paul KAGAME, pour complicité d’assassinat terroriste en lien avec l’attentat. Les termes de “négationnisme”, “révisionnisme”, “conspirationnisme”, “falsification de l’histoire” pour qualifier à tort le travail de Pierre PÉAN sont utilisés pour tenir un discours qui empêche malheureusement trop souvent tout débat contradictoire sur la tragédie rwandaise. Pierre PÉAN a consacré 40 ans de sa vie à l’enquête et à la recherche de la vérité sur des sujets complexes, passant de l’Afrique aux grandes affaires de la Ve République, toujours dans le respect des valeurs humanistes et du libre débat démocratique.
A ce titre, Grégor PÉAN tient à faire respecter la mémoire de son père.
Ce texte est à retrouver également sur le site de la médiatrice de Radio France
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