« Nos géographies » accompagne, cette semaine encore, l’offre de France Culture d’adapter sa grille et ses programmes aux séjours confinés des uns et des autres, à 14h et à nouveau à 21h avec le troisième épisode de notre série « À quoi sert la géographie ? ».
- Jean Rieucau Professeur émérite de géographie à l’Université Lyon 2, Administrateur de Tourisme Sans Frontières
- Marie-Fleur Albecker Agrégée de géographie, professeure d’histoire-géographie et romancière
- Francis Beaucire Géographe, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole nationale des Ponts et chercheur au Centre de Recherche sur les Réseaux, l’Industrie et l’Aménagement (CRIA)
Après la création des continents et des océans, après la découverte des conventions et de l’actualité de la cartographie, nous nous penchons aujourd’hui sur les mots de la géographie pour continuer la série « À quoi sert la géographie ? ».
Il y a des mots savants comme « centre » et « périphérie », comme la « densité », qui sont utilisés par les géographes en tant que chercheurs. Il y a aussi beaucoup de mots de la géographie qui sont les mots de tous les jours, des mots familiers. Francis Beaucire
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Des mots miroirs d'une société
Bien loin d’être innocents, les mots disent tout, au contraire, d’une société à un moment donné, de ses modes de vie, des lieux qu’elle occupe, par choix ou par contrainte, et de ce qu’elle en fait. Tour à tour prisés ou abandonnés, revendiqués ou stigmatisés.
Sans surprise, au XXIe siècle comme au siècle précédent, la ville occupe une place de choix dans ces discours, à en juger par les multiples définitions qu’elle inspire.
Dans le retour des notions de « territoire », de « terroir », de « pays », il y a une volonté de reformer des identités, des lieux. L'idée étant – elle n'est pas forcément exacte – que, peut-être, on a perdu une forme de lien avec le territoire, avec le lieu. Justement parce que la fin du XXe siècle, c'est, dans le cadre de la ville, l'extension de la ville. En fait, c'est l'explosion des mobilités. Marie-Fleur Albecker
Il va en être largement question mais ce sera pour mieux qualifier d’autres lieux et s’étonner des glissements de sens opérés ici ou là. Le lieu, justement, à lui seul ce mot, en apparence anodin, est déjà tout un programme.
Le terme de « lieu » a diffusé dans toute la langue pour désigner des tas de choses. On parle évidemment le « chef-lieu » quand on parle de département. On parle de « lieux publics ». Notre-Dame de Paris est un « haut lieu » pour la Ville de Paris, mais aussi dans la mémoire collective. Et puis, on a le mot « milieu » et le mot « local », qui découle. Le mot « locomotif », au féminin « locomotive », qui est un mot de 1500 et quelques, veut dire aptitude à changer de lieu. Donc, je trouve que ce terme de « lieu » a envahi finalement le vocabulaire. Francis Beaucire
N’oublions pas le terme de Michel Foucault, « l'emplacement » pour les micros lieux. Moi, qui suis spécialiste des lieux touristiques, je crois que c'est très intéressant, les questions d'échelle. Paris est un lieu touristique. On parle d'une destination. Mais Paris est composé d'une multitude de lieux touristiques, de petits emplacements. Jean Rieucau
Décortiquer les mots et tous leurs sens
En France, on enseigne ensemble la géographie et l'histoire. Les élèves adorent travailler sur l'histoire des mots. (…) Les enseignants sont là pour leur apprendre à raisonner scientifiquement, c'est-à-dire définir les termes et raisonner sur l'origine du terme, qu'est-ce que ça contient en termes de représentation. Marie-Fleur Albecker
Le géographe Francis Beaucire a ouvert son dictionnaire de latin pour déplier les sens du mot « pays ».
L'origine du « pays », c'est le « pagus » romain qui est un espace administré. Dans le dictionnaire de latin, « pagus » dérive d'un verbe, « pango ». « Pango » veut dire « planter un bâton », « fixer », « délimiter un champ par sa clôture ». On entend une partition de l'espace qui est déjà chez les Romains, par l'origine du mot. Donc, le « pays » est un espace qui a un dedans et dehors, et son dedans a une nature particulière qui n'est pas la même que celle du dehors. Et on va dériver, on va tirer tout ça pour arriver à « identité ». Francis Beaucire
Les mots dans l’art urbain
Pour son article « L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain » (Géoconfluences, 2021), Jean Rieucau est allé se promener dans les villes de Paris et de Lyon, notamment. Dans des rues désertes, des passages, des impasses, il a repéré des mots et gestes artistiques, qui remplacent les noms initialement prévus.
Les noms des lieux sont remis en question par l'art urbain, par les différentes mémoires des minorités, les mémoires genrées, par toutes les sortes de militantisme. (…) Beaucoup de spécialistes de géographie urbaine et d'art urbain parlent d'un anti-monde urbain ou d'un monde off. Jean Rieucau
Je pars souvent de cette phrase de Barbara Stiegler, philosophe de Bordeaux qui travaille sur la philosophie des corps : « le pouvoir considérable qu'ont les mots pour transformer le réel ». Jean Rieucau
Avec Francis Beaucire, géographe, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole nationale des Ponts et chercheur au Centre de Recherche sur les Réseaux, l’Industrie et l’Aménagement (CRIA), Marie-Fleur Albecker, agrégée de géographie, professeure d’histoire-géographie et romancière, et Jean Rieucau, professeur émérite de géographie à l’Université Lyon 2, administrateur de Tourisme Sans Frontières.
Pour aller plus loin
Sur Francis Beaucire
•
Publications du géographe disponibles sur Persee.fr
•
Présentation du C.R.I.A (Centre de recherches sur les Réseaux, l’Industrie et l’Aménagement)
Sur Marie-Fleur Albecker
•
Parcours et publications de Marie-Fleur Albecker (son curriculum vitae sur le site academia.edu)
•
Entretien de Marie-Fleur Albecker pour le site Les Imposteurs à propos de son premier roman Et j’abattrai l’arrogance des tyrans (Aux forges du vulcain, 2018)
•
Résumé de la thèse de Marie-Fleur Albecker : « Recycler les premières couronnes des villes globales : politiques d’aménagement urbain et restructurations des banlieues industrielles de Paris et New York »
Sur Jean Rieucau
• «
L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain, esthétisation oppositionnelle, dans l’espace public, à la ville officielle », article de Jean Rieucau (Géoconfluences, janvier 2021)
•
Entretien vidéo de Jean Rieucau à propos de son ouvrage Lieux symboliques complexes au Maghreb et au Machrek (L'Harmattan, 2020)
•
Publications disponibles de Jean Rieucau sur le site cairn.info
• «
La plage, un territoire singulier : entre hétérotopie et antimonde », article de Jean Rieucau et Jérôme Lageiste pour Géographie et cultures, 2008
Extraits sonores
- Un extrait du livre La région, espace vécu du géographe Armand Frémont (PUF, 1976)
- Un extrait de Vernon Subutex de Virginie Despentes (Grasset, tome 2, 2015) où l'autrice décrit page 265 « la ville tarabiscotée »
- Morceau "It Ain't Me Babe" par Bob Dylan - Album : Another Side of Bob Dylan (1964) - Label : Columbia
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