Les Amazonies face aux défis du XXIe siècle

Vue aérienne de la rivière Mana dans la forêt amazonienne, Guyane française.
Vue aérienne de la rivière Mana dans la forêt amazonienne, Guyane française. ©AFP - © Jody Amiet
Vue aérienne de la rivière Mana dans la forêt amazonienne, Guyane française. ©AFP - © Jody Amiet
Vue aérienne de la rivière Mana dans la forêt amazonienne, Guyane française. ©AFP - © Jody Amiet
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"Nos géographies" s'enfonce dans l'immensité des Amazonies, pluriel cher au géographe François-Michel Le Tourneau pour qualifier cette vaste région couverte de forêts diverses et de fleuves géants, grouillant d'espèces végétales et animales variées, et menacée par les incendies et la déforestation.

Avec
  • François-Michel Le Tourneau Géographe, directeur de recherche au CNRS (Unité mixte de recherche internationale sur les espaces amazoniens à Tucson, Arizona).

Dans Nos géographies, aujourd'hui, nous parlons des Amazonies, un pluriel auquel tient notre invité, première étape dans son entreprise de réhabilitation d’une région essentiellement située au Nord du Brésil, partageant plusieurs frontières dont celle de la Guyane française, et victime, selon lui, d’une suite de malentendus et de contresens depuis qu’elle a été découverte et décrite par des explorateurs venus de l’Occident, il y a près de cinq siècles. 

Le nom vient des Amazones grecques et n'a rien à voir avec la région. On n'a jamais demandé aux Amérindiens comment ils appelaient leur forêt. Et d'ailleurs, chaque ethnie amérindienne aurait donné un nom différent (…). Mais les Européens ont réussi à unifier une énorme région avec ce seul toponyme. François-Michel Le Tourneau

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L’image de nature totale et d'antithèse de la civilisation a tellement infusé chez les Européens, qu'ils ont été incapables de regarder la forêt pour ce qu'elle était : un environnement pas complètement naturel, mais co-construit par les populations locales. François-Michel Le Tourneau

Les Amérindiens conservent la forêt et la plient à leur nécessité, dans un agencement souvent beaucoup plus complexe que les nôtres. Ils ne sont pas vus (par nous, les Européens, ndlr.) comme des transformeurs de nature. Parce que, quand on regarde, ça ressemble toujours à de la forêt. François-Michel Le Tourneau

L’illusion de l’uniformité

Selon le géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de l'Amazonie brésilienne, on réduit trop souvent les populations de la région amazonienne aux Amérindiens. « Il y a aussi d'autres types de population amazonienne, décrit-il. Par exemple, en Amazonie brésilienne, 70 % des personnes qui vivent en Amazonie sont des citadins des villes ».

Les États de la région amazonienne (…) ont des écosystèmes différents. Un État comme le Mato Grosso est pour moitié en savane au Sud et en forêt tropicale au Nord. L'immense État d'Amazonas, qui fait à lui seul plus de deux fois et demie la France, est entièrement recouvert de forêts tropicales. Les problématiques entre ces deux États et ces deux gouvernements ne sont pas du tout les mêmes. François-Michel Le Tourneau

Une diversité gigantesque

Il est question de plusieurs millions de kilomètres carrés, couverts de forêts forcément dissemblables sur de telles distances, abritant des espèces animales et végétales dont le nombre et la variété donnent le vertige, et parcouru de fleuves géants, de multiples cours d’eau. « L'Amazonie est une machine à créer de la biodiversité » raconte François-Michel Le Tourneau.

La forêt évapore de l'eau à cause de la chaleur, qui est précipitée ensuite. En fait, la forêt est une gigantesque pompe à eau qui pompe de l'eau dans l'atmosphère qui lui retombe ensuite dessus, dans un cycle infini. Le maintien des conditions d'humidité (…) crée les conditions parfaites de reproduction de la vie. François-Michel Le Tourneau

L'illusion de l'abondance

Omniprésence de l’eau parfois oubliée tant les menaces que font peser la déforestation et les gigantesques incendies en cours inquiètent. Une toute récente étude vient confirmer les craintes : la forêt brésilienne ne jouerait plus son rôle de puits de carbone, elle émettrait désormais plus de CO2 qu’elle n’en absorbe. Un choc ! Peut-être aussi l’occasion de pourfendre le mythe du « poumon de la planète » qu’on lui attribue et de chercher à mieux la connaître, pour mieux comprendre ce qui lui arrive.

La forêt amazonienne est une forêt mature. Les arbres meurent et se régénèrent avec toujours la même quantité de carbone en jeu. Pendant un moment, on a pensé qu’à cause des émissions de carbone industrielles (…), plus de carbone disponible dans l'atmosphère allait booster la croissance des arbres. Or, ça ne se produit pas, parce que la forêt est déjà à son climax : les arbres ne vont pas grandir plus. Donc la forêt ne peut pas absorber plus. Ce n’est pas une nouveauté. François-Michel Le Tourneau

Au Brésil, comme ailleurs, la conscience de la crise écologique ou climatique commence à gagner du terrain. Mais ce n'est pas facile parce qu'en même temps, la population met en avant son droit à se développer, son besoin de gagner sa vie et demande que les restrictions touchent d'abord les pays occidentaux qui sont déjà développés. Il y a aussi le mythe de la forêt omnipuissante, selon lequel nous ne pourrons jamais détruire la forêt amazonienne. Tout ça, c'est des fariboles. C'est un colosse aux pieds d'argile. François-Michel Le Tourneau

Pour moi, la forêt est très anticapitaliste. Le capitalisme veut des choses concentrées et uniformes. C'est là qu'on fait des économies d'échelle et c'est là qu'on gagne de l'argent et des rendements rapides. La forêt nous propose des ressources dispersées, complètement hétérogènes. C'est de la machine à produire la biodiversité et sur le long terme. On a donc deux logiques qui sont difficiles à concilier. François-Michel Le Tourneau

Avec François-Michel Le Tourneau, géographe, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de l’Amazonie brésilienne, auteur de L'Amazonie : histoire, géographie, environnement (CNRS éditions, 2019).

Pour en savoir plus 

Sur François-Michel Le Tourneau
La présentation du géographe sur le site de l'Institut des Hautes Études de l'Amérique latine-Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (IHEAL-CREDA)
Les publications du géographe disponibles sur HAL-archivesouvertes.fr
• " La Guyane, terre de chercheurs d’or clandestins", portrait du géographe et présentation de l'ouvrage Chercheurs d’or, l’orpaillage clandestin en Guyane française (CNRS Éditions, 2020) pour le magazine d'actualité 28 minutes d'Arte
Le blog Covidam : La Covid-19 dans les Amériques auquel contribue François-Michel Le Tourneau

À réécouter : Amazonies
Matières à penser
43 min

Extraits musicaux et sonores

  • Extrait de la rencontre avec l'anthropologue et philosophe Philippe Descola, professeur au Collège de France, dans l'émission Idées de RFI le 19 février 2019
  • Extrait de l'entretien du photographe franco-brésilien Sebastião Salgado au sujet les indiens d’Amazonie menacés par le coronavirus, diffusé dans Le 23h de France Info le 7 mai 2020
  • Morceau "Amazonie" par Jonathan Fitoussi - Album : Plein soleil (2020) - Label : Obliques/Transversales Disques
  • Morceau choisi par François-Michel Le Tourneau : "É Fogo" ("Le Feu") par Lenine - Album : Labiata (2008) - Label : Casa 9

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