La romancière est de retour avec son dernier roman "Soif" qui paraît chez Albin Michel. L’occasion d’évoquer la lente maturation de son livre, sa légitimité et sa foi, mais aussi son refus de la souffrance et la nécessité pour chacun de se réapproprier son corps.
- Amélie Nothomb Écrivaine
Amélie Nothomb est une auteure prolifique qui, depuis son premier roman Hygiène de l’assassin (1992) publie un roman par an. Elle revient avec Soif dans lequel elle se met dans la peau de Jésus avant sa crucifixion. Son roman est retenu par le jury du prix Goncourt 2019.
Extraits de l'entretien
Je suis persuadée qu’il n’existe pas d’élan mystique plus absolu que la soif.
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"Tous les livres que j’ai écrits avant celui-ci étaient des exercices de musculation destinés à m’entraîner à écrire ce livre. Il y avait préméditation, je savais que je voulais écrire mon livre sur Jésus, que c’était ce qui m’importait. Si je n’ai cessé de repousser l’échéance, c’est que je ne me sentais pas assez musclée, je n’étais pas encore l’athlète de l’écriture que je rêvais d’être. J’ai assez écrit dans ma vie pour savoir que, quand on écrit un livre, il n’y a pas de deuxième chance, soit ça fonctionne tout de suite, soit ça ne fonctionnera jamais. Alors imaginez dans quel état d’angoisse on est quand on attend depuis cinquante ans d’écrire quelque chose, et qu’on s’y met enfin. J’étais au comble de l’angoisse métaphysique, et en même temps, au comble de la jouissance et de l’excitation, parce que je vivais l’expérience cruciale de ma vie. C’était terriblement écrasant et exaltant mais j’aime ce qui est difficile : on ne se sent jamais aussi vivant que quand on fait quelque chose de beaucoup trop difficile."
"On nous a appris à séparer la pensée et le corps et surtout à mépriser l’un des deux, à savoir le corps, qui est justement le plus important et je sais de quoi je parle. J’appartiens à l’une des familles les plus catholiques de Belgique et dans le meilleur cas, si on a un corps il s’arrête à la ceinture, en dessous, il n’y a ...rien. L’écriture, c’est ce qui m’a permis d’avoir un corps, vu qu’à l’adolescence, suite à toutes mes mésaventures, la seule solution que j’ai trouvée pour survivre c’est que mon esprit sorte de mon corps. J’ai passé des années hors de mon corps, les pires de ma vie. Puis, j’ai commencé à écrire, au début, ça a été difficile, mais au fil des années d’écriture, je me suis réapproprié un corps et à vingt-deux ans, je me suis rendue compte que j’étais à nouveau totalement dans mon corps, et je l’ai su parce qu’il était à nouveau tout à fait chaud."
"J’essaie d’atteindre cette phase d’hallucination où il n’y a plus aucune différence entre le mot et la chose et quand on y arrive, à certains degrés de l’écriture, c’est absolument extraordinaire. Quand le mot coïncide exactement avec la chose, le pouvoir que vous avez à ce moment-là fait de vous un dieu."
"L’écorce, c’est ce que l’on a partout sous la peau, et je considère que c’est la partie la plus puissante de tout notre être. On y a accès, uniquement si on sort totalement de la pensée, si on a un vide total dans la tête. J’arrive parfois à atteindre cet état, en allant plus vite que ma pensée de manière à ce qu’il n’y ait pas de pensée, et à ce moment-là j’atteins cet état de non-pensée absolu qui est le pouvoir de l’écorce. "
Archives
Claude Farragi, émission « Agora », France Culture, 1989
Chantal Jacquet, émission « La vie comme elle va », France Culture, 2002
Willy Barral, émission « Les vivants et les dieux », France Culture, 2005
Vladimir Jankélévitch, émission « Avoir raison avec », France Culture, 2017
Références musicales
Sylvain Chauveau, Enjoy the silence
Joana Newson, This side of the blue
Prise de son
Manu Couturier
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