Nous recevons l’historienne à l’occasion de la parution de "Mes années chinoises" chez Stock, ouvrage dans lequel elle revient sur son séjour de deux ans à Canton, en tant que professeur de français sous le régime de Mao. Un récit mémoriel et une réflexion sur le devenir de la Chine aujourd'hui.
- Annette Wieviorka Historienne, directrice de recherche honoraire au CNRS et vice-présidente du Conseil supérieur des Archives
En 1970, Annette Wieviorka est une jeune militante maoïste. Dans l’enthousiasme de Mai 1968 et de la Révolution culturelle, les intellectuels français sont pris de passion pour la Chine communiste (dont Philippe Sollers, Julia Kristeva ou Roland Barthes, qui en rapportent des écrits fortement empreints d’idéologie). Avec son mari et son petit garçon, Annette Wieviorka s’installe pour deux ans à Canton comme professeure de français. Dans le « laboratoire de l’homme nouveau », ils s’attendent à apprendre du réveil des masses et du modèle démocratique chinois. À la place, ils découvrent la pauvreté des Chinois et le vert des rizières, la surveillance constante, la soif de camaraderie mêlée à l’isolement dans une société collective. Dans ce récit où se croisent la fraîcheur de notes prises sur le vif et le regard rétrospectif de l’historienne, les rencontres, les paysages et les questions se succèdent au son des chants révolutionnaires et de l’opéra chinois.
Historienne, Annette Wieviorka est directrice de recherche honoraire au CNRS, vice-présidente du Conseil supérieur des Archives et spécialiste émérite de la Shoah.
Extraits de l'entretien
Je pense que le métier d’historien se nourrit certes du travail sur les documents, sur les archives, mais il se nourrit aussi des expériences que l’on a de la vie. Sans elles, je ne vois pas comment on pourrait écrire l’histoire des hommes du passé, si on n’a rien vécu, rien senti, et rien pensé soi-même. Annette Wieviorka, historienne
Je crois que dans ces expériences, il y a aussi des expériences aussi de fuite à soi-même pour essayer d'exister, fondu dans une grande expérience collective. J’en ai eu la révélation quand je suis retournée en Chine en 77, et que j'ai assisté à la grande manifestation spontanée du retour de Deng Xiaoping aux affaires. Accompagnée d’une amie Franco-chinoise, je suis allé à cette manifestation, où brusquement, à un signal que j’ignore, se sont déversés à Pékin des multitudes qui acclamait le retour de Deng Xiaoping. Et c'est là que j'ai vraiment pris conscience de ce que c'était que de se fondre dans la multitude, dans la foule. Et là, vous vous dites que, cette façon de se dissoudre dans la masse, le terme de masse étant constamment employé par la propagande chinoise, c’est quelque chose qui ne va pas.Je crois que pour les étrangers qui ont vécu en Chine, enfin, ceux du moins avec qui nous avons été liés d'amitié dans ces années-là et les années qui ont suivi, il y a eu un cheminement qui était un peu analogue, c'est à dire que l'on était constamment en train d'essayer de faire en sorte que notre intelligence, que notre raison mettre de l'ordre dans ce qu'on sentait, et qu'on n'aimait pas spontanément. Annette Wieviorka, historienne
Le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Zedong, c'est un cadre de pensée, on se moule dans la pensée des autres et c'est dangereux très probablement pour la société, c'est peut-être dangereux pour l'individu, mais on voit bien aussi que c'est très confortable : ça vous fait l'économie de penser. Et puis après, il faut tout remettre en cause et gagner cette liberté. Depuis la publication du livre, je réfléchis à nouveau à ces questions, et notamment au fait que la liberté se gagne en permanence. Quand vous écoutez beaucoup la radio, ce qui est mon cas, vous percevez en fait une langue de bois qui n'a pas le caractère de la propagande, mais où les mots reviennent, sans arrêt, comme s’il y avait une obligation d’y couler des pensées. Si on ne fait pas attention, on se fait prendre dans les idéologies ou les idées dominantes, avec un vocabulaire qui enferme tout et qui, finalement, est une entrave à l'examen critique et à la liberté de penser. La liberté de penser est une grande et belle chose, qui se gagne tous les jours, et moi, je l’ai gagnée dans mon travail, même s’il n’a pas toujours été reçu avec enthousiasme. Annette Wieviorka, historienne
Extraits
Les 400 millions, film de Joris Ivens, 1939
Une histoire de vent, film de Joris Ivens, 1988
Mourir à trente ans, film de Romain Goupil, 1982
Archive
Hannah Arendt, émission "Un certain regard" , 1974 source internet
Référence musicale
Brigitte Fontaine, Le goudron
Prise de son
Jean Frédérix
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