Pour la sortie de son premier roman « A la ligne : Feuillets d’usine », aux éditions de La Table ronde, l'auteur aborde le déclassement social, la cadence répétitive de l'usine, ses évasions salvatrices par l'esprit, la psychanalyse, et une écriture à l'os.
- Joseph Ponthus écrivain, Grand Prix RTL-Lire 2019, Prix Régine Desforges 2019
On a appris ce 24 février 2021 la mort de Joseph Pontus, qui avait fait de son expérience d'ouvrier intérimaire en Bretagne la matière de son beau roman A la ligne : feuillets d’usine. Vous pouvez l'écouter en parler, dans cet entretien de 2019.
Le narrateur de ce roman est un homme lettré, qui devient ouvrier intérimaire dans les usines de poissons et les abattoirs de Bretagne. Il y décrit le quotidien de la condition ouvrière, ses gestes, ses bruits, la fatigue et les rêves confisqués, tout en se souvenant de sa vie d'avant, baignée de culture et d'imagination.
Dans ce texte, j’ai cherché à rendre au plus juste dans l’écrit, la manière dont on pense quand on est sur une ligne de production. Quand on est à l’usine, les pensées vont très vite, et pour rendre compte de cette vérité, il fallait que je retourne à la ligne constamment, et c’est évidemment un double sens qui a imposé un titre au livre assez rapidement : retourner à la ligne de production et retourner à la ligne dans l’écriture et dans les chapitres.
Je n’écris pas « pour», j’écris « parce que ». J’écris, parce que je dois consigner ce qui m’arrive, je ne vais pas à l’usine dans une démarche d’écriture, j’y vais pour gagner des sous, parce que je n’ai pas le choix, sans idée préconçue, juste pour vendre la force de mes bras. Mais quand on débarque à l’usine, c’est d’une telle violence et en même temps d’une telle organisation assez fascinante, qu’il a fallu que je réfléchisse là-dessus, et que j’essaie d’en faire quelque chose de beau, de manière littéraire, pour ne pas sombrer dans l’enfer de la machine. Au départ, j’écris pour moi, pour me sauver.
L’usine m’a révélé à moi-même, je me suis découvert une perfection plus grande physiquement -j’ai pris des muscles que je ne connaissais pas- et une force morale inattendue. L’usine a été pour moi la fin de ma psychanalyse parce que, quand se retrouve pendant huit heures à faire la même tache, on a le temps de réfléchir sur soi. Elle m’a permis de découvrir ma propre vérité.
Au fur et à mesure que l’épreuve de l’usine avance, il faut puiser au plus profond de ses ressources pour pouvoir continuer à tenir, et on se raccroche à tout ce qui peut nous faire tenir, dans mon cas, il s’agissait de mes proches, mais aussi des grands auteurs qui sont mes compagnons de vie.
Paradoxalement, plus on fait des gestes automatiques, plus ça libère de l’espace pour pouvoir penser. Quand le geste est efficace, on peut penser à autre chose, alors que quand le geste n’est pas bon, on ne pense qu’à la façon de l’améliorer, et on devient l’esclave de la chaîne.
L’emploi d’intérimaires a pour but de faire disparaître la conscience de classe ouvrière, et dans ce sens, le capital a complètement gagné.
Archives
Michel Leiris, entretien avec Paule Chavasse, France Culture, 1968
Robert Linhart, émission « L'heure bleue », France Inter, 2016
Tzvetan Todorov, émission « Du jour au lendemain », France Culture, 2007
Apollinaire, « Poème à Lou », lecture par Jean-Louis Trintignant
Références musicales
Fred Frith, Allegory
Manu Theron, Per espassar l’ira e la dolor
Fred Frith, Tense serenity
Les Vilars, Démission
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