Charles Swann ou le Charmant stérile

L'acteur Jeremy Irons dans le film "Un amour de Swann" réalisé par Volker Schlöndorff en 1984, d'après l'œuvre de Marcel Proust
L'acteur Jeremy Irons dans le film "Un amour de Swann" réalisé par Volker Schlöndorff en 1984, d'après l'œuvre de Marcel Proust - 20th Century Fox
L'acteur Jeremy Irons dans le film "Un amour de Swann" réalisé par Volker Schlöndorff en 1984, d'après l'œuvre de Marcel Proust - 20th Century Fox
L'acteur Jeremy Irons dans le film "Un amour de Swann" réalisé par Volker Schlöndorff en 1984, d'après l'œuvre de Marcel Proust - 20th Century Fox
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Oisif, charmant, amateur de peinture, séducteur de femmes de condition modeste, qui est Charles Swann dans "A la recherche du temps perdu", de Proust ? Comment ce Juif, évolue-t-il parmi des mondains antisémites ? Comment ce dilettante se laisse-t-il ronger par une passion jalouse pour Odette ?

Avec

Charles Swann est ce que l'on appelait un homme du monde, explique Charles Dantzig. Le monde, c'était ce milieu à la fois indéfini et précis qui se caractérisait sans le dire par une appartenance sociale et, en le disant, par une certaine tenue faite de manières tacitement codifiées. Dans cette perpétuation de la Cour sous la République, au XIXe siècle, rappelle l’écrivain, on avait adjoint aux banquiers des grands bourgeois, des professeurs de médecine, quelques savants, des membres de l'Institut. Cette sociabilité du temps de Proust tenait fortement compte de la religion : on devait être catholique, on pouvait être protestant, mais la judéité était un obstacle. Ce milieu était antisémite. Pour se justifier de l’être, il admettait de temps en temps "un bon juif "."Un bon juif", c’était un "israélite", un "juif assimilé", à la Belle Époque.

Un dandy juif, homme du monde

Admettre un israélite dans la bonne société, cela "permettait de faire croire, de se faire croire qu’il n’y avait pas de préjugés, afin de mieux continuer à les entretenir ", souligne Charles Dantzig.

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Dans la vie physique, c’est Charles Haas, qui a, en partie, servi à composer le personnage de Swann. Il a été admis dans la bonne société parisienne. Il était le fils d'un fondé de pouvoir chez Rothschild. Sans être riche, il était cultivé et avait des manières exquises. On peut le voir dans un fameux tableau de Tissot, Le Cercle de la rue Royale, parmi une grappe d'aristocrates barbus ou moustachus et un peu à l'écart. Il faut le noter, Charles Haas en est, "mais il n'en est pas absolument", précise encore l’écrivain, qui note au passage : "on voit dans les mémoires du temps la teinte de mépris qui se manifeste quand on parle de lui ".

Qui est ce dilettante qui finit par se perdre dans un amour unique, un amour "jaloux" et "aveugle", qui "le dégrade aussi un peu du côté du monde", et qui sera renié par sa propre fille ? De quelle façon l'affaire Dreyfus dévie-t-elle l'itinéraire social de Charles Swann ?

Pour en parler, Charles Dantzig reçoit Mathilde Brezet, qui a publié un Dictionnaire des personnages de Proust, Le Grand Monde de Proust chez Grasset.

Vous retrouverez cette émission consacrée à Charles Swann, dans le cadre de l'année Proust sur France-Culture, dans Proust, le podcast.

"Le Cercle de la rue Royale", de James Tissot peint en 1868. Tout à droite est représenté, debout, Charles Haas qui a inspiré le personnage de Charles Swann
"Le Cercle de la rue Royale", de James Tissot peint en 1868. Tout à droite est représenté, debout, Charles Haas qui a inspiré le personnage de Charles Swann
- James Tissot (1836–1902) / wikicommons

"Charles Swann est un dandy. Ce mot a un sens un peu différent à l'époque où Proust l’écrit, par rapport à aujourd’hui : cela signifie être un fin connaisseur des arts, des arts décoratifs. Swann a énormément de goût pour les tableaux, mais aussi pour l'ameublement. (…) Une chose très frappante est la comparaison que Charles Swann fait avec les tableaux qu'il garde dans son imaginaire, sans cesse il compare les personnalités qu'il rencontre à des tableaux", nous dit Mathilde Brézet.

"Swann est du côté de la littérature et des arts, mais en même temps, tout de suite, il gâte un peu ça, par ce qu’il donne des conseils, souligne Charles Dantzig. Mais il ne mène jamais tout à fait à bout ses goûts, en quelque sorte. C'est peut être précisément parce que ses goûts ne sont que des goûts".

Le charmant stérile

Ainsi Proust évoque dans Du côté de chez Swann, "cette carrière mondaine où il avait gaspillé dans les plaisirs frivoles les dons de son esprit et fait servir son érudition en matière d'art à conseiller les dames de la société dans leurs achats de tableaux et pour l'ameublement de leur hôtel."

Selon Mathilde Brézet, "le gaspillage, c'est en fait, la malédiction de Charles Swann", qui "a beaucoup de dons. Il y en a tellement d'ailleurs que le lecteur a du mal à se rendre compte de ce gaspillage et du ratage qui adviendra dans sa vie."

"Swann est un Don Juan, mais qui va un jour être absorbé dans une passion plus unique. Et c'est sans doute cette passion pour Odette de Crécy qui va l'empêcher d'accomplir sa vocation artistique." poursuit Mathilde Brézet.

Dans le roman Un amour de Swann, selon Mathilde Brézet, "Proust livre sa vérité finale sur l'amour et sur la manière dont l'amour nous divertit de nous-même, nous détourne de notre vocation intérieure".

Jeremy Irons (Charles Swann) et Ornella Muti (Odette de Crécy) dans le film "Un amour de Swann" de Volker Schlöndorff sorti en1984
Jeremy Irons (Charles Swann) et Ornella Muti (Odette de Crécy) dans le film "Un amour de Swann" de Volker Schlöndorff sorti en1984
- 20th Century Fox

Auteur : Marcel Proust, écrivain, 1871-1922.

Œuvre : A la recherche du temps perdu , roman, 1913-1927.

Personnage : Charles Swann

Adaptations : En bande dessinée, plusieurs à la télévision, au théâtre et au cinéma, avec notamment Raul Ruiz, Le temps retrouvé, où Bernard Pautrat joue Swann, et Un amour de Swann, de Volker Schlöndorff, Jeremy Irons interprétant le rôle.

Pour prolonger :

Personnages en personne
28 min
Personnages en personne
30 min

Écoutez et abonnez-vous à la collection d’émissions consacrée à Marcel Proust  pour (re)découvrir cette figure centrale de la littérature française, à travers l’économie, la gastronomie, le cinéma, la philosophie ou la médecine dans "Proust, le podcast".

Bibliographie :

Marcel Proust,  A la recherche du temps perdu, Gallimard

Mathilde Brézet,  Le Grand Monde de Proust, Grasset, janvier 2022.

Charles Dantzig, "A la recherche du temps perdu" et "Marcel Proust" dans  Dictionnaire égoïste de la littérature française, Grasset.

Proust Océan, Grasset, parution en septembre 2022

Raul Ruiz, Le temps retrouvé, DVD

Volker Schlöndorff, Un amour de Swann, DVD

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