

L'histoire de la règle majoritaire – c’est-à-dire l’idée que la volonté du plus grand nombre peut être considérée comme la volonté de tous et qu’elle s’impose en cela à la minorité - remonte au Moyen Age et à l’élection des souverains pontifes. Explications avec l'historien Olivier Christin.
- Olivier Christin Historien moderniste, directeur d’études à l’École pratique des hautes études
Il y a quelques mois, le Royaume Uni votait la sortie de l’Union européenne, à la faveur du vote massif des plus de 65 ans, qui engageaient par là leur pays dans un changement radical dont ils subiront a priori moins longtemps les conséquences que les jeunes électeurs, qui eux ont fait massivement le choix opposé.
Il y a quelques mois, un ancien président de la République dénonçait la « tyrannie des minorités » qui lui paraissait s’instaurer en France.
Il y a quelques semaines, le nouveau président des Etats-Unis lançait une nouvelle salve critique contre les faux sondages et la presse, qui auraient menti délibérément selon lui en rappelant que son adversaire dans la présidentielle, Hillary Clinton, avait obtenu près de trois millions de voix de plus que lui.
A première vue, rien ne relie ces prises de positions véhémentes et ces décisions brutales. Mais elles ont bien en commun de poser la question d’une érosion rapide de la légitimité du principe majoritaire, que l’on peut observer dans les pays occidentaux depuis une vingtaine d’années et avec une acuité toujours plus grande.
La règle majoritaire –c’est-à-dire l’idée que la volonté du plus grand nombre peut être considérée comme étant l’expression de la volonté collective, et en fait comme la volonté de tous, et qu’elle s’impose en cela à la minorité- a une longue histoire, qui remonte au Moyen Age et à l’élection des souverains pontifes. Elle a été au cœur de la modernisation de la politique et de la naissance de nouvelles institutions, comme les Communes ou les Universités. Mais ce n’est au fond qu’à la fin du XIXe siècle qu’elle triomphe partout et avec elle une série de principes dont nous sommes aujourd’hui encore les héritiers : un homme égale une voix ; toutes les voix se valent, celles des puissants comme des anonymes ; on peut donc les additionner et de cette addition résultent clairement une majorité et une minorité. Ces principes ont depuis un siècle semblé constituer l’un des fondements solides et incontestables des démocraties modernes et nombre d’hommes politiques ou de savants les ont célébrés comme tels.
Mais depuis une vingtaine d’année, les critiques et les interrogations se multiplient. La règle majoritaire ne condamne-t-elle pas éternellement les minorités au silence ? Ne les fait-elles pas tout simplement disparaître de certaines assemblées et de la représentation nationale là où elle s’applique rigoureusement, comme dans les élections législatives françaises qui aboutissent à une chambre presque sans ouvriers et sans agriculteurs, sans jeunes et sans députés issus de la diversité, et dans laquelle la représentation des partis politiques est sans rapport avec leur poids réel dans le pays ?
Inventée pour remplacer l’exigence d’unanimité et pour simplifier la prise de décision, ne conduit-elle pas aujourd’hui à creuser de nouveaux clivages et de nouvelles exclusions, comme on le voit dans la position de l’Ecosse, par exemple, subissant les conséquences d’un choix qui n’était pas le sien ?
Les envolées de Nicolas Sarkozy et de Donald Trump, le ressentiment de l’Ecosse, se comprennent dans ce contexte, comme une nouvelle bataille autour de l’idée de légitimité majoritaire et de procédures de vote qui ne répondent plus totalement aux attentes citoyennes d’aujourd’hui.
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