Les électeurs face à Descartes : à quoi bon espérer ?

.
. ©Radio France - MC
. ©Radio France - MC
. ©Radio France - MC
Publicité

Le 1er tour des élections présidentielles aura lieu dans deux jours, il est donc encore temps de donner un conseil, non pas aux candidats, mais aux électeurs, encore cette fois-ci. Aujourd'hui nous nous posons cette question: Que faut-il espérer de cette élection ? Faut-il même espérer ?

En politique, l'espoir nous fait-il vivre ou nous trompe-t-il ?

Dans une chronique qui date de 1888, « La grève des électeurs », l'écrivain et journaliste Octave Mirbeau se lamentait de ne pas trouver un seul texte faisant, à la manière de Balzac, une physiologie de l'électeur moderne.

Publicité

« A quel sentiment baroque, demandait-il, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d'une volonté, assuré qu'il accomplit un devoir, en déposant dans une boîte électorale quelconque, un quelconque bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus ?... Qu'est-ce qu'il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu'est-ce qu'il peut bien espérer ? »...

L'espoir, voilà peut-être de quoi faire le portrait de l'électeur... d'autant plus que Mirbeau lui-même comparait les électeurs à des moutons qui vont à l'abattoir. A ceci près que les moutons, eux, « ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera », et à ceci près, surtout, qu’ils n’espèrent rien... Et c'est là le problème de l'espoir en campagne : il est à la fois la caractéristique de tout électeur et peut-être sa 1ère illusion. Mais l'illusion, n'est-ce pas aussi d'aller voter et de vouloir en même temps ne plus rien espérer ?

A l'inverse de Mirbeau, on doit à Descartes sur la question de l'espoir plus de précisions. Dans son traité, le dernier, Les passions de l'âme, il fait ainsi de l'espérance « une disposition de l'âme à se persuader que ce qu'elle désire adviendra ».

Espérer, c'est donc d'abord une passion bien normale pour un électeur à la veille d'un 1er tour, car on attend, persuadé de l'événement à venir qu'il nous fasse du bien, qu'il améliore notre existence : c'est ainsi l'espoir de voir son candidat être élu et ses idées enfin mises en œuvre, ou, c'est au moins, l'espoir de ne pas voir arriver à la tête du pays un chef que l'on craint.

Mais l'espoir, c'est aussi une passion quelque peu paradoxale pour un électeur à la veille d'un 1er tour, car se persuader, est-ce être complètement sûr ? N'y a-t-il pas en effet un doute sur le fait que notre candidat de cœur, ou choisi stratégiquement, nous procure des bienfaits ou nous évite des horreurs une fois élu ? N'y a-t-il pas un doute aussi sur les autres électeurs qui espèrent peut-être toute autre chose que nous ? Mais n'y a-t-il pas surtout un doute sur nous-mêmes, puisque c'est bien notre âme qui se persuade d'abord elle-même d'espérer ? Et si l'illusion, ce n'était ni la portée du vote, ni l'espoir, mais nous-mêmes qui sommes si incertains ?

Descartes l'affirme : « nous pouvons espérer, bien que l'événement ne dépende aucunement de nous ». Mais pourquoi l'espoir est-il alors d'abord une affaire avec nous-mêmes, et même en campagne où tout dépend des uns et des autres ? Pourquoi cherche-t-on à se persuader soi-même que ce qu'on désire adviendra, avant même de vouloir persuader les autres, par exemple de voter pour tel candidat ? Ou pourquoi ne parvient-on pas à désirer simplement, bien patiemment, sans espoir ni illusion, en allant juste voter dimanche prochain ?

C'est l'enjeu de toute passion : elles se jouent entre nous et nous-mêmes, et c'est ainsi que Descartes préconise de distinguer « ce qui ne dépend que de nous, afin de n'étendre notre désir qu'à cela seul ». Mais que faire alors en cette période d’attente, où l'espoir semble d’autant plus se jouer de nos incertitudes qui le rendent nécessaires, que de notre propre foi qui le fait exister ? Comment l'écarter par sa pensée ou le maîtriser par sa volonté quand lui-même n'a rien de l'illusion, mais nous fait justement penser et vouloir ? C'est bien le paradoxe : que faire de notre espoir quand on l'espère nous-mêmes ?

CONSEIL

La question était de savoir si l'espoir nous trompait ou nous faisait vivre, mais on peut aussi l'inverser et se demander si nous-mêmes nous ne jouons pas de l'espoir pour continuer à vivre, ou tout simplement à voter ? Mon conseil sera donc de lire ces Passions de l'âme où l'on découvre qu'espérer, ce n'est pas seulement pâtir et souffrir, mais tout simplement s'exercer avec passion, grâce à la passion, à cette vertu.

L'équipe