

Pour la première de ce Petit précis de philosophie à l’usage des candidats qui reviendra tous les vendredis jusqu’à l’élection de notre nouveau président : la déclaration de candidature, l’art de se déclarer… ou pas !
Aujourd’hui, vendredi 2 septembre, on peut d’ores et déjà comptabiliser une quarantaine de candidats à la présidentielle de 2017. Une quarantaine de candidats déclarés en tout cas. Parmi ceux-là, il y a évidemment ceux qui se déclarent alors qu’on le savait déjà, comme Nicolas Sarkozy.
Il y a aussi ceux qui se déclarent sans qu’on n’ait pu le prévoir à 100%, mais sans que l’on soit pour autant surpris, tel Benoît Hamon dont le « probablement » en mars dernier témoigne parfaitement de cette ambiguïté.
Et puis, il y a un 3ème genre de candidats : ceux qui ne se déclarent pas. Durant la petite vingtaine de minutes d’entretien que l’on a pu suivre mardi soir, ce 30 août, sur le JT de TF1, Emmanuel Macron a réussi le tour de force d’être candidat sans jamais se déclarer.
La question se pose alors : si les candidats qui se déclarent n’annoncent rien qui ne soit déjà connu et si un candidat comme Emmanuel Macron n’annonce rien qu’il ne fasse déjà, que reste-t-il encore de la déclaration, de l’acte même de déclarer ?
Déclaration d'impôts, déclaration d'amour
Déclarer, par définition, c’est porter à la connaissance, c’est dire quelque chose qui va marquer une rupture, une nouveauté, qui va déclencher une action à laquelle on ne pourra pas se soustraire : le langage a ici une dimension performative et se présente comme un acte ferme et solennel d’engagement, à la fois avec celui à qui l’on parle mais aussi avec nous-mêmes. C’est par exemple une déclaration d’impôts, ou bien plus heureux : une déclaration d’amour.
A cet égard, et une fois ne sera pas coutume : ce n’est pas chez un philosophe politique que l’on en trouve le meilleur éclairage, mais chez un spécialiste du langage, Roland Barthes, dans ses Fragments d’un discours amoureux. La déclaration, nous dit-il : est « la propension du sujet amoureux à entretenir abondamment, avec une émotion contenue, l’être aimé, de son amour, de lui, de soi, d’eux : la déclaration, continue-t-il, ne porte pas sur l’aveu de l’amour, mais sur la forme, infiniment commentée, de la relation amoureuse ».
« Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises », « d’évidence » : pour sûr, la déclaration politique de Macron a tout ici de la déclaration amoureuse : elle ne délivre pas une information puisque celle-ci est évidente, elle n’est pas un aveu puisqu’elle ne fait qu’« enrouler l’autre de mots ».
Mais doit-on dire des propos de Macron qu’ils sont pour autant, et comme en amour, un commentaire d’une relation ? Car comme toute déclaration, elle devrait précisément comporter une relation entre un locuteur et un interlocuteur pour être commentée : or, à quelle personne parle Macron, s’il ne fait que différer l’annonce et l’amorce de cette relation ? S’il ne se désigne pas même comme le candidat ?
Si Emmanuel Macron emploie le « nous à dessein », et non pas la 1ère personne donc, il semble tout à fait logique qu’il ne se déclare pas : il n’y a en effet pas de déclaration sans un « je » identifiable. En revanche, il n’a aucun problème à énoncer ce qu’il vise, même en termes abstraits : une vision, un projet autour duquel se rassembler. Mais autour de qui se rassembler alors ? C’est comme s’il inversait les rôles et comble de la situation : demandait à ce qu’on l’élise dans notre cœur sans même qu’il ait déclaré sa flamme.
S’il y a donc un conseil à lui donner : c’est encore chez Barthes qu’on le trouve : en politique comme en amour : il faut faire le 1er pas, et si passé le 1er « je t’aime », celui-ci n’a plus de sens, il faut au moins qu’il y en ait eu un 1er.
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