Allemagne : la jeunesse, grande oubliée de la campagne ?

France Culture
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Pixel est en Allemagne cette semaine, à l'occasion de l'opération spéciale "L'Allemagne en son miroir". La jeunesse : c’était l’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle française. Outre-Rhin, elle est largement absente des discours et des programmes pour les élections fédérales, dimanche 22 septembre. « Une campagne par les vieux, pour les vieux » résume un jeune électeur.

Peer Steinbrück et Angela Merkel
Peer Steinbrück et Angela Merkel
© Reuters - Fabian Bimmer

Philip vient d'achever son service, ce jeudi soir. Ce Berlinois de 28 ans est serveur dans un bistrot de Neukölln, dans le sud de la capitale allemande. L’un de ces mini-jobs, payés quelques euros de l’heure, avec des cotisations et une couverture sociale réduites, dont "bénéficie" une bonne partie de sa génération. Ni un "contrat de quasi-esclave", comme on l'a lu en France, ni un travail foncièrement épanouissant :

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A 28 ans, Philip est serveur dans un bar, le temps de trouver un poste en rapport avec ses études de politique internationale

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La campagne électorale ennuie Philip, pourtant ex-étudiant en politique internationale. Sur la forme : n’était le doigt d’honneur de Peer Steinbrück, il l’aurait même trouvée franchement fade. Sur le fond, il a beau écouter les discours, scruter les programmes, il ne trouve rien de très crédible pour la jeunesse.

Wolfgang Gaiser - Sociologue de la jeunesse
Wolfgang Gaiser - Sociologue de la jeunesse
© Radio France

Certes, il y a bien cette proposition de **Peer Steinbrück ** (SPD, sociaux-démocrates) : un salaire minimum de 8,5 € par heure. Mais là encore, la mesure a été « vendue » comme s’adressant aux plus âgés, à ces retraités qui travaillent. « Et ça fait tellement longtemps qu’on en parle, reprend Philip... je suis sûr que ce salaire minimum ne verra jamais le jour ».

D’un point de vue cyniquement électoral, cette relative impasse sur la jeunesse se comprend. Les plus de 50 ans représentent près de la moitié des électeurs , et la pyramide des âges est - très - défavorable aux jeunes, comme le note Wolfgang Gaiser , sociologue à l’ Institut allemand de recherches sur la jeunesse :

Wolfgang Gaiser - Sociologue de la jeunesse

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Si la classe politique ignore la jeunesse, l’inverse est aussi - en partie - vrai.
« Ils se ressemblent tellement entre eux : **des sociaux-démocrates aux conservateurs, quelles différences ? ** Ils se battent sur des nuances » note Michael, 23 ans. Le SPD et la CDU pourraient d’ailleurs, en fonction des résultats, s’associer dans une grande coalition.

Helena - "Les deux grands partis se ressemblent" Pixel - Allemagne
Helena - "Les deux grands partis se ressemblent" Pixel - Allemagne
© Radio France

« Non, tout ne va pas bien ».
Angela Merkel a axé sa campagne sur un unique message : « L’Allemagne va bien ». Sous-entendu, il serait donc inepte de changer de direction.

« Non, tout ne va pas bien » nuance Helena. A Berlin, 13 % des moins de 30 ans sont au chômage , dont cette ancienne étudiante en lettres. Et les conditions d’indemnisation se sont durcies, avec des objectifs chiffrés. Sur le « contrat » qui la lie à l’Agentur für Arbeit, le Pôle emploi local, il est imposé un quota de candidatures chaque mois :

Helena - "Les deux grands partis se ressemblent" Pixel - Allemagne

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Pourtant, Helena ira voter. Non par enthousiasme, mais parce que « l’abstention favorise les extrêmes ». « Comme chez beaucoup de jeunes allemands, la colère se heurte au devoir civique » glisse l'un de ses amis.

"Pour faire de la politique, il faut contourner les partis !"
Signe de ce désintérêt : les principales mesures pro-jeunes ne sont pas venues des partis : elles ont été soufflées par une confédération syndicale : le DGB. Le dirigeant de sa section jeune, Florian Haggenmiller , a proposé un droit opposable à la formation. La proposition s’est ensuite retrouvée dans le programme du SPD.

Florian Haggenmiller - Syndicat DGB - Dirigeant de la section Jeunesse

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Le syndicat a ensuite dressé une étude comparative des principaux partis quant à leurs propositions destinées à la jeunesse. « Il n’y a pas foule » sourit Florian Haggenmiller.

Florian Haggenmiller - Syndicat DGB - Dirigeant de la section Jeunesse
Florian Haggenmiller - Syndicat DGB - Dirigeant de la section Jeunesse
© Radio France

En politique, les jeunes Allemands ne seraient-ils donc qu’aptes à coller les affiches, à venir faire la claque dans les meetings ?

Le Parti pirate , qui avait un temps suscité l’adhésion chez les plus jeunes, est désormais en panne de leader. Le scandale des écoutes de la NSA aurait dû marquer son retour, il n’a fait que souligner son côté inaudible. D'après les sondages, les Pirates seraient hors-course pour atteindre les 5%, seuil minimum pour entrer au Bundestag.

Elections Allemagne
Elections Allemagne
© Radio France

Et si les jeunes devenaient un parti à eux seuls ?
Martin Speer en a posé les bases. Ce jeune militant vert, lassé d’entendre que les jeunes ne s’intéressaient pas à la vie politique, a lancé un manifeste [lien en allemand] co-signé par des jeunes militants de tous les partis.

Publié dans le prestigieux hebdomadaire Die Zeit, il insiste pour que la société allemande fasse davantage de place à ses jeunes :

Martin Speer - co-auteur du manifeste pour la Jeunesse

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Les partis politiques sont jugés sclérosés, d'où ces initiatives « hors-partis » qui se multiplient. Dernier exemple : le Comité national des associations de jeunesse, qui représente 6 millions de jeunes Allemands, a ainsi organisé plusieurs manifestations en faveur du droit de vote à 16 ans . Manière de rappeler à l'Allemagne que sa jeunesse, si elle ne se plaint pas, existe bel et bien.

Reportage de Frédéric Says