Euthanasie : faut-il s'inspirer du modèle belge ?

France Culture
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Procès du docteur Bonnemaison, cas Vincent Lambert... Le débat sur l'euthanasie est une nouvelle fois ravivé. En Belgique, l’euthanasie des majeurs existe dans la loi depuis 2002, et celle des mineurs depuis février dernier. Faut-il s’inspirer de cette législation ? Reportage de Frédéric Says.

Euthanasie - visuel
Euthanasie - visuel
© Fotolia - freshidea

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Oui, je pratique l'euthanasie.
Quand** Dominique Biarent** est interrogée par la commission sénatoriale belge, sa réponse fait scandale. Nous sommes en juin 2013, et l’euthanasie pour les mineurs est encore illégale en Belgique.« Je ne fais pas de politique, pas de langue de bois, explique cette énergique chef de service à l'Hôpital des enfants de Bruxelles. Quand on me pose une question directe, j’y réponds : oui, depuis des années, en accord avec les familles et dans des cas rares, les médecins belges ont abrégé la vie de mineurs ». Pour elle, la loi votée par le 28 février dernier a eu un mérite : réduire l’hypocrisie autour de ce sujet :

De l’autre côté du miroir, Marijke Bachely . Dans le salon de cette assistante sociale de 49 ans, au milieu des dessins d’enfants, la photo de son jeune fils, décédé en 2004 à l’âge de 7 ans. La loi autorisant l'euthanasie des majeurs était encore récente (2002), celle des mineurs interdite. Elle raconte ses conversations de l’époque avec les médecins, toujours marquées du sceau de l’implicite . « Le mot ‘euthanasie’ ne se disait pas, confie-t-elle. D’ailleurs, aujourd’hui encore je préfère parler de fin de vie ». Pour autant, à l'époque les soignants lui font comprendre, à mots couverts, qu’ils « prendront leurs responsabilités » :

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« La pratique reste exceptionnelle, note Dominique Biarent : sans doute moins de cinq cas par an ». La loi belge prévoit que les parents donnent - évidemment - leur accord, tout comme un collège de médecins. Mais l'enfant doit aussi exprimer la volonté de mourir. Le texte ne fixe pas d'âge minimal, mais mentionne une nécessaire "capacité de discernement" chez l'enfant. Une notion bien trop floue pour Drieu Godefridi , porte-parole du collectif des Gilets jaunes (opposés à la loi) et auteur de « L’euthanasie des enfants ou l’horreur législative »:

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La porte ouverte aux dérives ?

« Comment imaginer qu’un enfant de 5 ans possède le discernement nécessaire pour choisir de mourir ? » tonne le docteur français** Bernard Devalois** , chef de service de médecine palliative de l'hôpital de Pontoise (Val d'Oise). Dominique Biarent nuance : « je crois que les enfants qui ont des maladies chroniques ont une maturatuion bien plus rapide. Evidemment, ça ne veut pas dire qu’on doit faire tout ce qu’ils demandent. Il faut aller le plus loin possible dans les soins palliatifs, mais ce n’est pas toujours possible. Et donc il faut avoir plusieurs options pour aider ces familles ».

La question des garde-fous a alimenté le discours des opposants à la loi. « Une commission est censée contrôler le bien-fondé des euthanasies pour adultes, explique Drieu Godefridi. Or, depuis 2002, sur 7.000 cas, elle n'a jamais rien trouvé à redire. C'est comme un Conseil constitutionnel qui ne rejetterait jamais aucune loi ! ». De fait, la législation belge est unique en Europe. Les Pays-Bas autorisent aussi l'euthanasie des mineurs, mais à partir de 12 ans.

L'euthanasie en Europe
L'euthanasie en Europe

Ces réticences agacent Daniel Soudant . L'ancien conseiller au président du Sénat belge, proche des libéraux de centre-droite, a lui même vécu "le départ", comme il dit, de sa fille. « On n’est pas dans une industrie de l’euthanasie, comme certains le prétendent ». Il ne souhaite à personne « ce choix, cornélien, entre son égoïsme de parent – on veut garder son enfant le plus longtemps possible – et l’amour paternel : on veut qu’elle cesse de souffrir ». Ecoutez son témoignage :

« L’euthanasie est un échec, estime Vincent Morel , le président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Si un enfant formule une demande de mort, alors il faut s’interroger. A-t-on suffisamment dialogué avec lui, a-t-on assez recherché les soins pour l’empêcher de souffrir ? »

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C'est d'ailleurs la philosophie du "modèle français" en la matière. La France a préféré développer les soins palliatifs. Depuis 2008, il existe dans chaque région une « équipe-ressource » , composée de pédiatres, de psychologues, de puériculteurs. Ces équipes sont spécifiquement formées sur la question des soins palliatifs. Pour Vincent Morel, la loi Léonetti - qui permet aux médecins d'arrêter l'acharnement thérapeutique - est suffisante. « On nous disait que la loi belge allait être restrictive, exceptionnelle. Or, on constate qu’en 10 ans elle n’a cessé de s’étendre. »

L'acharnement thérapeutique est encouragé par le système de la tarification à l'activité !

**Statu quo ? ** Pour Bernard Devalois, la loi Léonetti peut être améliorée, en rendant du pouvoir au malade : « les directives anticipées (les souhaits écrits des patients quant à leur fin de vie) doivent être respectées, et le médecin qui ne le ferait pas devrait s’en justifier, y compris pénalement ». Bernard Devalois note aussi que l’acharnement thérapeutique n’est pas suffisamment sanctionné : « il est même favorisé par le système économique de la tarification à l’activité : ceux qui font de l’acharnement thérapeutique gagnent plus d’argent ! »

**La loi belge, le grand écart **

Ironie de l'histoire, en Belgique les médecins se plaignent de l'absence d'une loi de type Léonetti. Alors que l'euthanasie active est dépénalisée, paradoxalement l'euthanasie passive (cesser les thérapies, par exemple) est peu encadrée. « En Belgique nous avons une pseudo protection… mais le cadre légal est assez vague. Si jamais une famille décide de porter plainte... » s'inquiète la chef de service Dominique Biarent. Par ailleurs, 1,8 % des décès en Belgique restent consécutifs à des injections létales non déclarées. La pratique de l’euthanasie donc n’attend pas la loi pour exister. Mais la dépénalisation n'a pas corrigé toutes les dérives.

Euthanasie pour les majeurs et les mineurs, même combat ?

La question est délicate, reconnaît Jean-Luc Romero , le président de l'ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) : « les opposants à l’euthanasie mettent la question des mineurs en avant, pour faire peur à l’opinion publique. Du coup, il est très difficile pour nous, voire contre-productif, d’évoquer cette question en France ». Les réactions que vous nous avez adressées par Facebook et Twitter montrent d'ailleurs combien le débat est complexe :

Dans le Monde daté de ce vendredi 20 juin, Marisol Touraine joue d’ailleurs de prudence : si la ministre de la Santé estime que « le statu quo n’est pas possible », et qu’il existe « des zones d’ombre dans la loi existante », elle souligne aussi que « cette question fait partie des sujets sur lesquels il faut rassembler ». Avant de renvoyer la balle dans le camp des parlementaires, qui « ont un rôle important à jouer ». Le modèle belge ne semble pas prêt d'être importé.