La BD numérique cherche son modèle

France Culture
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**Le concept de bande dessinée numérique englobe plusieurs formes : de la BD numérisée au véritable outil technique permettant une expérience nouvelle sur le web, pour les auteurs comme pour les lecteurs. **

Les éditeurs historiques de bande dessinée s'intéressent de plus en plus à la BD numérique, mais se posent des questions sur la viabilité du secteur, de la question des droits d'auteurs et du partage de la valeur. Et comme pour la musique sur internet : est-il possible de monétiser du contenu alors que les usages sont très ancrés dans le "tout gratuit".

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Les différentes formes de la BD numérique
Derrière le terme de bande dessinée numérique on a retrouvé au fil des années beaucoup de concepts différents.

Au tout départ, la bande dessinée numérique est en fait une bande dessinée numérisée : il n’y a aucune différence entre la version papier et la version en ligne. Et le format du fichier (PDF) était celui qu’on pouvait échanger, de manière illégale, le plus facilement sur internet.

Pixel BD numérique Allison Reber
Pixel BD numérique Allison Reber
© Radio France - Abdelhak El Idrissi

Pour éviter cette fuite, le distributeur numérique AveComics est l’un des premiers en France à penser à une offre adaptée aux consoles de jeux portables. Nous sommes en 2006. Trois ans plus tard, le distributeur profite de l’explosion des téléphones portables tactiles et des tablettes pour développer une application spécifique : les clients peuvent acheter à l’unité un exemplaire d’une bande dessinée, deux à trois fois moins chère en moyenne que la version papier. L’autre avantage est le verrouillage : l’utilisateur possède et accède quand il le veut à sa BD, mais il ne dispose pas physiquement du fichier.

AvecComics a également développé avec son offre un système de lecture facilitée pour les tablettes sur les écrans : chaque case est mise en avant l’une après l’autre :

Pixel BD numérique AveComics
Pixel BD numérique AveComics

En 2009, le distributeur français décide de démarcher les éditeurs pour composer une librairie à proposer aux clients. Au départ, l’accueil était mitigé comme l’explique Allison Réber, chargée de communication chez AveComics :

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Dans le même temps, les auteurs de bandes dessinées ont investi internet en proposant gratuitement sur leurs blogs des dessins. Certains rencontrent un gros succès comme le blog de Boulet.

Reste à savoir comment gagner de l’argent en proposant un contenu sur le web. Les internautes seront-ils prêts à payer pour de la BD en ligne ?

Pixel BD numérique "Les auytres gens"
Pixel BD numérique "Les auytres gens"
© Radio France

**En 2009, l’auteur Thomas Cadène relève le pari. Il prend en exemple les sites d’information en ligne Mediapart, et Arrêt sur Images ** : une offre payante, sur Internet pour accéder à des articles d’actualité de qualité.

Pixel BD numérique - Thomas Cadène
Pixel BD numérique - Thomas Cadène
© Radio France - Abdelhak El Idrissi

Le projet de Thomas Cadène est ambitieux : Il se met à écrire seul, puis à plusieurs mains, le scénario d’une histoire : "Les Autres Gens".

L'idée est de produire un épisode par jour, en contrepartie d'un abonnement, au mois, au semestre ou à l'année. Le contenu étant accessible exclusivement, au départ, sur un site internet dédié, sous la forme de BD numérique.

Et pour réaliser les dessins, une centaine d'auteurs vont se succéder. C'est l'autre originalité du projet. On retrouve les même personnages, la même histoire, mais avec un coup de crayon un peu différent à chaque épisode.

L'aventure a duré deux ans et demi. 500 épisodes ont été réalisés, pour la plus grande satisfaction de Thomas Cadène, qui dit avoir prouvé qu'on peut proposer une offre payante, même sur internet :

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Le turbo media
Dans la foulée, la technique a permis d'élargir les possibilités de création.

La BD numérique offre une expérience qui s'éloigne de plus en plus du papier.

A la page succède une "fenêtre", potentiellement sans fin. Les cases, au départ figées, se mettent à bouger.

Là encore, c'est un Français qui a ouvert les portes de la BD numérique. Yves Bigerel, alias "Balak" a posté en 2009 sur son blog une démonstration de ce qu'il était possible de faire, avec un minimum de technique. Son module s'appelait "Réflexion sur la BD numérique".

Pixel BD numérique - Alexandre "Malec" Ulmann
Pixel BD numérique - Alexandre "Malec" Ulmann

Quelques auteurs ont suivi le mouvement, et ont exploré le "turbo media".

SI vous n'êtes pas allés voir sur le site de Balak, voilà ci-dessous un autre exemple proposé par le Lavallois Alexandre "Malec" Ulmann, où il met en scène son propre avatar.

Il suffit de cliquer une fois sur l'image, puis vous contrôlez la navigation avec les flèches du clavier.

Alexandre Ulmann n'a jamais réalisé de bande dessinée papier. Il travaille dans le cinéma et met en image les scénarios avant qu'ils soient réalisés.

Il estime que le turbo media permet d'ajouter une infinité d'effets à la BD :

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Malec, malgré son talent, ne vit pas de ses réalisations sur internet avec le turbo media.

L'écosystème de la bande dessinée papier est fragile. Celui de la BD numérique est quasiment inexistant.

Pour le moment, les contenus sont gratuits, et difficilement monnayables puisque qu'il s'agit de petits modèles.

Alexandre a donc un emploi en parallèle, qui permet à "Malec" de dessiner et d'alimenter son blog :

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Le rôle des éditeurs
Chez les auteurs engagés dans le développement de la bande dessinée numérique, on attend un plus grand investissement de la part des maisons d'éditions. Elles se mettent progressivement à éditer en papier certains projets numériques, où elles accompagnent certains auteurs. Mais ce ne n'est pas encore assez selon des auteurs comme Thomas Cadène, qui a constaté pendant longtemps un désintérêt des éditeurs, malgré les potentialités :

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Les éditeurs sont beaucoup moins enthousiastes sur ses possibilités.

Pixel BD numérique - Yannick Lejeune
Pixel BD numérique - Yannick Lejeune
© Radio France - Abdelhak El Idrissi

Chez les éditions Delcourt, les projets de BD numériques sont systématiquement accompagnés d'un volet "papier", qui est le cœur de métier de ces maisons d'éditions historiques.

Yannick Lejeune est directeur de collection chez l'éditeur de BD Delcourt. L'éditeur s'intéresse de plus en plus à la BD numérique, mais c'est un domaine encore inconnu.

Yannick Lejeune reconnaît que c'est un nouveau métier. Les projets numériques lancés sont donc toujours accompagnés d'un volet numérique, car il est hors de question de se lancer dans des aventures purement numériques dont le succès est incertain. En tout cas pour l'instant :

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Malgré les interrogations, les éditeurs vont devoir rapidement s'adapter à la BD numérique, nouveau marché au potentiel important.

Yannick Lejeune a conscience que le numérique va changer profondément les usages. Avec un redécoupage de la chaine de valeur, bien que la question se pose de savoir si les contenus proposés sur Internet peuvent encore être qualifiés de bande dessinée.

Mais ne pas être présent c'est prendre le risque de disparaître. Comme pour le livre numérique, la dématérialisation pousse de plus en plus d'auteur à s'affranchir des éditeurs et à tenter l'aventure en s'autoéditant, avec la conservation des droits d'auteurs comme nerf de la guerre.

Mais pour Yannick Lejeune des éditions Delcourt, cela ne suffit pas à se précipiter. Il plaide pour une remise au centre de la création dans les relations éditeurs / auteurs, plutôt que les questions de négociations sur la taille des parts de chacun, comme c'est trop souvent le cas selon lui :

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Les mentalités changent, doucement. Thomas Cadène, à l'origine du projet "Les Autres Gens" le constate depuis trois ans.

Celles des auditeurs comme des internautes vis-à-vis des contenus payants.

Mais pour le dessinateur, tout n'est pas réglé. Il aimerait maintenant que les institutions et les organismes censés financer la création jouent leur rôle pleinement.

Car Thomas Cadène n'a toujours pas digéré le dernier épisode en date :

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La BD numérique a fait irruption dans le paysage de la bande dessinée papier, en soulevant très vite de nombreuses questions sur les modes de narration, et sur l'expérience de la lecture.

Des nouveautés qui ne laissent indifférents comme en témoignent vos contributions sur Twitter :

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Certains auteurs se sont engouffrés dans la brèche pour développer de très nombreuses idées.

Une rapidité qui a surpris les éditeurs historiques de BD papier, parfois sceptiques sur la capacité du numérique à générer des revenus et à soutenir durablement toute une filière.

Même si la comparaison n'est pas judicieuse sur le fond. L'irruption d'internet et des écrans pose la même question que pour les livres. Les nouveaux outils techniques doivent-ils d'abord favoriser la création ou être utilisés comme des moyens de négociations entre auteurs et éditeurs pour conserver le maximum de revenus, quitte à prendre en otage le processus de création.

Abdelhak El Idrissi

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