Politique : jusqu'où vont les lobbies ?

France Culture
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C’est le genre d’agapes qui, d’ordinaire, restent discrètes. Mais cette fois-ci, les médias ont eu connaissance d’un déjeuner organisé par l’industrie du tabac, au restaurant chez Françoise, à quelques pas de l'Assemblée nationale. Autour de la table, une cinquantaine d'invités dont cinq parlementaires. Addition finale : 10.000 euros, selon France 2. "Seulement" 5.512 euros, selon le groupe British American Tobacco (BAT), à l'origine de l'invitation.

Capture d'image lobby cash investigation déjeuner
Capture d'image lobby cash investigation déjeuner

Pour un tel déjeuner rendu public, combien sont restés dans l'ombre ? Cette pratique est-elle courante ? Anecdotique ? Caricaturale, ou en dessous de la réalité ? Jusqu’où vont les "groupes d'intérêt" pour tenter d’influencer les parlementaires ? Aucun des participants à ce repas n’a voulu répondre à France Culture. Mais d’autres responsables politiques ont accepté de livrer leur expérience.

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Selon Malek Boutih , député PS de l'Essonne, ces déjeuners à la note salée sont dépassés, perçus comme du "lobbying à la papa" :

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Pratiques du passé d'une industrie "balourde", estime Malek Boutih . Pourtant, selon des documents recueillis par France Culture, ces invitations à déjeuner – qui sont moralement contestables mais n’ont rien d’illégal – continuent à se pratiquer régulièrement. Dans le document que nous nous sommes procuré, c'est une entreprise pétrolière qui convie un député, là encore, Chez Françoise :

dejeunerparlementaire.pdf by FranceCulture

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Ce n'est là qu'une partie de la palette des méthodes employées par les lobbies pour "tenter d'établir de bonnes relations avec les parlementaires", selon l'expression de Gaëtan Gorce .

Ex-député PS de la Nièvre pendant 15 ans, sénateur depuis 2008, il détaille les sollicitations des lobbies, nombreuses et souvent directement liées à des projets de loi à venir :

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Mais il y a plus grave : au-delà des cadeaux de circonstance, Gaëtan Gorce évoque l'existence de "députés quasi-attitrés" de certains lobbies.

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Les ministères ne sont pas épargnés. Hors micro, un conseiller politique de Cécile Duflot raconte ses rapports tendus avec le lobby d’un secteur économique lié au logement : «C’est quasiment du harcèlement : ils veulent en permanence s’inviter au cabinet, font pression sur l’entourage de la ministre, veulent nous livrer des projets de texte clé-en-main… Nos échanges sont extrêmement violents ».

La loi sur la transparence, votée ces derniers jours, aurait pu être une occasion de mieux réglementer le rapport avec les lobbies. A l'UMP, Laurent Wauquiez a déposé un amendement sur le sujet, qui n'a pas été retenu. Mais pour le député de Haute-Loire, la loi contient tout de même des avancées - ou plutôt des petits pas.

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Après les affaires Cahuzac et Servier, un tabou a sauté

entrée de la salle des 4 colonnes assemblée nationale
entrée de la salle des 4 colonnes assemblée nationale
© Radio France - Frédéric Says

**Fin avril 2013, une ex-sénatrice UMP a été mise en examen, tout comme le numéro 2 des laboratoires Servier, dans l'affaire du Médiator. ** Elle est suspectée d'avoir fait modifier un rapport parlementaire à la demande de ce dernier.

Que faire contre le lobbying ? Peut-on réellement l'encadrer ? Un rapport rédigé par le député PS Christophe Sirugue , présenté le 27 février 2013, émet quatre propositions.

- Suppression des badges d'accès permanent aux lobbyistes - Interdiction de fréquenter la salle des quatre colonnes (celle où les journalistes interviewent les députés) - Interdiction des colloques organisés par les lobbies à l'assemblée nationale - Création d'un nouveau registre des groupes d'intérêt, où les lobbies peuvent s'enregistrer.

"Peuvent" et non "doivent" : le rapport a choisi d'en rester au volontariat. Selon Christophe Sirugue , il serait inefficace de tenter de contraindre les groupes d'intérêt.

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En 2011, l'Assemblée nationale s'est doté d'un déontologue ; poste actuellement occupé par l'ancienne ministre Noëlle Lenoir. Mais pas de quoi faire frémir un député indélicat.

Certes, le code de déontologie précise - c'est bien le moins - qu' "en aucun cas, les députés ne doivent se trouver dans une situation de dépendance à l’égard d’une personne morale ou physique ".

**Une disposition vague, tout comme les sanctions encourues en cas de manquement : **

"(...) lorsque le Déontologue constate un manquement aux règles de déontologie, [il] fait au député toutes les* préconisations nécessaires** (...). Le député en est informé et doit prendre toutes les dispositions pour faire cesser le manquement* ".

On appréciera la sévérité - et la clarté - du processus...

**Pour le collectif ** « Regards citoyens », qui se définit comme un "lobby des citoyens", il faut durcir la législation, en particulier dans le contexte des affaires qui se multiplient. Benjamin Ooghe-Tabanou est membre du collectif :

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« Nous sommes tous des lobbyistes »

Pascall Tallon président de l'association française des lobbyistes
Pascall Tallon président de l'association française des lobbyistes
© Radio France - Frédéric Says

Qu’en disent les premiers intéressés, les lobbyistes eux-mêmes ? Pour Pascal Tallon, président de l' Association française des conseils en lobbying (AFCL), ce registre obligatoire est une solution intenable :

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Les assistants parlementaires, meilleurs amis des lobbies ?
Si l’attention est souvent braquée sur les parlementaires, leurs collaborateurs intéressent aussi les lobbies. Précaires, parfois mal payés, ils sont plus vulnérables… et parfois enclins à céder aux sirènes d’un « complément de revenus », comme le note Amine El Khatmi , lui-même collaborateur d’une députée :

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**C’est comme sur le Tour de France, vous ne rencontrez jamais un coureur qui dit qu’il se dope. **

« Tout le monde le sait ici mais personne ne le dit , ajoute un autre assistant. C’est comme sur le Tour de France, vous ne rencontrez jamais un coureur qui dit qu’il se dope. »

Il y a moins de deux ans, un cas s'est présenté : « officiellement , c'était le collaborateur bénévole d’un député, raconte Christophe Sirugue. Officieusement , il était payé par le lobby des chasseurs. Il a dû démissionner ». Selon une source parlementaire, « un autre cas est actuellement à l’étude ». Qui ? Nous n’en saurons pas davantage. L’opacité est de mise : il n’existe aucun annuaire recensant les collaborateurs de parlementaires. Personne ne sait d'ailleurs exactement combien ils sont.

Bruxelles, le modèle ?
Des lobbies qui ont pignon sur rue, qui sont recensés et reconnus dans un registre : le modèle bruxellois est souvent cité en exemple. Au Parlement européen, 5570 groupes d’intérêts sont répertoriés. Ce système est-il la garantie d’une meilleure transparence pour le citoyen ? Pascal Tallon a des doutes :

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Malek Boutih député PS de l'Essonne devant l'assemblée
Malek Boutih député PS de l'Essonne devant l'assemblée
© Radio France - Frédéric Says

Une association citoyenne a pourtant réalisé ce travail de fourmis : le groupe LobbyPlag a comparé les amendements déposés par les eurodéputés avec les textes fournis par les lobbies. Résultat : des "copiés-collés" innombrables, jusqu'à 60 % des amendements déposés par une parlementaire !

Face à cela, pour Malek Boutih , l’affaire du déjeuner dans un restaurant parisien n’est finalement que le symbole d'une époque finissante : la mère des batailles contre les lobbies se mène désormais à Bruxelles. Un constat amer sur l’impuissance des parlementaires nationaux :

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Frédéric Says