

Cinq ans après le vote de la loi interdisant le port du voile intégral, le débat s'est déplacé sur le voile "simple" dont certains remettent en cause la présence en France, dans un climat tendu par les attentats. Reportage d’Abdelhak El Idrissi.
Il y a cinq ans, la France adoptait une loi pour interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Ce texte visait à interdire à des femmes musulmanes de porter le niqab, voile intégral ne laissant apparaître que les yeux. Aujourd’hui, suite aux déclarations récentes de ministres et d’intellectuels, c’est l'existence même du voile qui semble être questionnée. Un sujet qui mêle liberté, égalité, religion et laïcité.
Un voile polysémique
Les attentats en France et en Belgique ainsi que
les récentes déclarations de Manuel Valls sur la « minorité » salafiste qui gagne « la bataille idéologique » de l’islam en France ont électrisé le débat autour de la visibilité de la religion musulmane et notamment du voile islamique.
Pourtant, les raisons qui poussent des femmes musulmanes à porter le voile sont très différentes. Certaines, par exemple, n’ont pas le choix et subissent des pressions dans leur environnement familial ou social. C’est au nom de ces femmes que des responsables politiques et des intellectuels mènent un combat contre le voile.

D’autres femmes décident de porter le voile de leur plein gré. C’est à ces femmes que la journaliste Faïza Zerouala a décidé de consacré un livre : « Des voix derrière le voile ». Elle a rencontré dix femmes aux profils très différents. Une étudiante, une mère au foyer, une cheffe d’entreprise, une enseignante, … Elles ont entre 18 à 59 ans et ont toutes à un moment « charnière de leur vie » décidé « un retour à la religion » qui est notamment passé par le port du voile.
Des parcours qui se ressemblent, mais des histoires différentes qui ont poussé l’auteure du livre à ce constat : « La femme voilée telle qu’on la fantasme n’existe pas ».
Le but de l’ouvrage est donc de « dés-hystériser ce débat, et juste essayer de comprendre ou au moins d’écouter les raisons qui ont conduit des femmes françaises » à se voiler.
Pixel Voile - Faïza Zerouala, auteur de "Des voix derrière le voile"
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Des témoignages comme ceux évoqué dans le livre de Faïza Zerouala sont nombreux. Via les réseaux sociaux, Sophia, 22 ans, a accepté de nous raconter pourquoi elle porte le voile.
Pour autant, même s’il existe des femmes qui portent volontairement, il y a parfois des raisons plus problématiques selon Philippe Gaudin, philosophe des religions et directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions (IESR, dépendant de l’Institut Pratiques des Hautes Etudes). Ce dernier évoque les pressions familiales (le père, le mari, le frère) et sociales (porter le voile est « le seul moyen d’avoir la paix dans certains quartiers »).
Au-delà de ces considérations, Philippe Gaudin s’intéresse à « la complexité des raisons qui tendraient à expliquer la multiplication du voile islamique aussi bien dans les pays musulmans que dans un pays comme la France ».
Au moyen orient, la tendance s’expliquerait par un échec des nationalismes arabes et la volonté de se différencier ces dernières décennies de l’occident.
En France, l’une des raisons serait « un échec de l’intégration » ayant conduit à un « reflux » vers la religion.

Pour ensuite interpréter ces phénomènes, Philippe Gaudin voit « un processus paradoxal d’émancipation des femmes » en ce sens que les femmes, dont beaucoup sont voilées, ont accès à l’éducation et sont mêmes majoritaires dans les universités de beaucoup de pays musulmans : Iran, Maroc. En France, des études ont montré que les filles issues de l’immigration, notamment maghrébine, réussissent mieux à l’école que les garçons.
« On a parfois le sentiment que le retour vers l’islam, ou vers une visibilité de l’islam, dont le voile est le symbole, est une façon pour les filles d’être discrètes ou de faire accepter leur réussite là où les garçons ne réussissent pas »
Le philosophe n’oublie pas pour autant de rappeler que « si toutes les femmes qui portent le voile ne sont pas des fondamentalistes régressives, par contre, tous les fondamentalistes régressifs tiennent à ce que les femmes soient voilées, comme un marqueur qui assigne les femmes musulmanes à résidence communautaire ».
Pixel Voile Laïcité - Un voile polysémique selon Philippe Gaudin
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Ces dernières années, les responsables politiques ont estimé que le voile pouvait être problématique sur plusieurs points, et le législateur y a répondu par la loi. Depuis 2004, la loi interdit par exemple aux élèves de porter des signes religieux ostentatoires à l’école. Une interdiction qui ne concerne pas l’université, même si Manuel Valls a déclaré cette semaine être favorable à son interdiction.
Depuis 2010, une loi interdit également le port du voile intégral (niqab) dans l’espace public.
Ces dernières semaines, certains ministres ont exprimé leur hostilité au voile islamique. Mais dans ce cas, quelles peuvent êtres les réponses ?
« Tout le problème est d’arriver à avoir une réponse qui fasse preuve d’un minimum de souplesse, répond Philippe Gaudin. Il est bien évident que le rôle de la loi n’est pas d’imposer un code vestimentaire dans une société de libertés. Donc il y a des limites qu’il faut indiquer. Mais la réponse ne peut pas être simplement de l’ordre de l’interdiction ».
Pour le philosophe, pour une bonne cohabitation, il faut privilégier l’éducation : l’apprentissage des valeurs de la République, du fait religieux et de la laïcité. Car la période trouble que connaît la France après les attentats tend les débats.
« La question du voile peut s’interpréter de mille manières, mais à partir du moment où on est dans un contexte où il y a une sorte de perte de confiance eu égard à tout ce qu’il s’est passé (les attentats), cela peut être interprété comme le signe non pas d’une immigration qui cherche à s’intégrer mais au contraire d’une installation démographique ».
Pixel Voile - Quelles réponses face au voile ? (Philippe Gaudin)
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« Remettre les choses à leur juste place »
Débattre. Et admettre la complexité du sujet. C’est le rappel d’Anne-Laure Zwilling, chercheuse au CNRS. Selon elle, certaines personnes veulent malheureusement donner « l’impression que sous chaque voile, il y a une femme embarquée de force dans un islam traditionaliste, réactionnaire, et soumise à des gens qui lui imposent de se vêtir de cette façon ». Et ce faisant, on instillerait l’idée selon laquelle « laisser des femmes se vêtir de cette façon c’est, en quelque sorte, laisser l’islam prendre place et s’imposer de façon générale ».
Car au-delà de la question du voile, se pose la question de la visibilité de la religion musulmane.
« On est en train de réfléchir à la façon dont on comprend la laïcité. Parce qu’on se rend compte que tout le monde ne la comprend pas de la même façon. Déjà en soi, la laïcité c’est l’application à la fois de la liberté de religion et de la façon dont l’Etat va prendre en compte ses relations avec les religions. Et tout le monde n’est pas d’accord sur l’équilibre entre liberté de religion et prise en compte par l’Etat de la religion. Ça ne simplifie pas l’ensemble du débat ».
Néanmoins, Anne-Laure Zwilling répète que ce débat est utile, même s’il n’est pas toujours posé dans les bons termes. (Interview réalisée via Skype)
Pixel voile - La chercheuse Anne-Laure Zwilling veut réintroduire de la complexité dans le débat
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Invitée de La Grande Table lundi 11 avril, la féministe des religions Florence Rochefort est sur la même ligne. Au voile, elle répond d’abord par la nécessaire liberté des femmes.
« Il faut pouvoir d’abord respecter les personnes qui choisissent ce voile en toute liberté ».
La chercheuse estime également qu’ « il y a une histoire laïque française (…) qui est beaucoup trop crispée par rapport au religieux : dès qu’on a un signe religieux on le voit comme un signe prosélyte. Si la réponse face à un danger de prosélytisme c’est forcément une réponse autoritaire, où est le message de liberté ? Si au contraire, il y a un message de respect, de mise en œuvre d’une problématique un peu plus complexe, et qui est aussi le respect de la non croyance et du non voilé et bien il y aura quelque chose d’un peu plus subtil ».
Et de conclure par cette interrogation :
« Sommes-nous dans un pays suffisamment libre, démocratique et pluraliste pour entendre des paroles contradictoires ? Ou voulons-nous décider absolument que la religion est ennemie de la liberté ? Je crois que là, on régresserait ».
Les questios autour du voile et de la laïcité ont été abordées par la Fédération Nationale de la libre pensée. Pour rappeler que laïcité ne devait pas être fourvoyée.
Le secrétaire générale David Gozlan rappelle que la loi de 1905 prévoir la séparation des Eglises et de l’Etat, dans les deux sens. Selon lui, le voile dépend du libre choix des individus et l’Etat n’a pas à se mêler de ces questions.
« Nous considérons que les gens on le droit de s’habiller comme ils le veulent, comme ils l’entendent. Demain on ne va pas vous dire comment vous habiller ».

David Gozlan précise également que la place de la femme est problématique dans toutes les religions : « Dans tous les dogmatismes, il y a une oppression. C’est le propre de la religion. Mais dans cette oppression, il ne faudrait pas que l’Etat soit le énième oppresseur ».
Pixel voile - La laïcité selon David Gozlan, de la fédération nationale de la libre pensée
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Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions ne partage pas cette définition de la laïcité.
« La laïcité c’est la liberté dans le cadre d’une loi qui n’est pas religieuse mais une loi politique et dans le respect d’une certaine conception de l’ordre publique ».
Il rappelle l’exemple de la loi sur le voile intégrale : « La question est de savoir si la laïcité c’est la tolérance ? Et bien non, la laïcité ce n’est pas la tolérance, mais c’est ce qui permet la plus grande tolérance dans un certain cadre (…) Ce n’est pas une question purement juridique, mais une question philosophique et politique. Et à un moment donné, on a jugé que la multiplication de ce type d’accoutrement portait atteinte aux fondements de notre philosophie morale et politique ».
Pixel Voile - La Loi de 1905 par Philippe Gaudin
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