On parle beaucoup des Français quittant le pays pour s’installer à l’étranger, mais on s'intéresse moins à la question du retour de ces expatriés. Un chemin souvent compliqué administrativement, professionnellement mais également psychologiquement. Reportage d’Abdelhak El Idrissi.
Les raisons du départ à l’étranger sont nombreuses : études, travail, vie sentimentale. En 2013, nous nous intéressions déjà à l’envie d’ailleurs des jeunes français. On estime que 2 à 3,5 millions de Français résident à l'étranger.
Pour diverses raisons, les parlementaires se sont également saisis du sujet. En 2000, le sénateur Jean François-Poncet rédigeait un rapport d’information dans lequel il notait un phénomène en accélération. En 2014, l’Assemblée nationale se saisissait du sujet via une commission d’enquête parlementaire sur "la fuite des cerveaux".
Mais quid du retour ? Sait-on combien de Français décident de rentrer ? Quel sont leurs profils, leurs parcours ? Le sujet intéresse beaucoup moins. A tel point que les expatriés sont confrontés à de nombreux obstacles au moment de revenir en France.
Les témoignages autour de "l'impatriation" ont en commun une appréhension du retour et des tracasseries administratives dont l'ampleur augmente avec l’"originalité" administrative de la famille. Ainsi, les couples comptant un parent étranger, et dont les enfants scolarisés ont plusieurs nationalités auront plus de formalités à remplir. Et sans doute plus de problèmes à résoudre.
Anne-Laure Fréant fait partie de ces expatriés rentrés en France. Elle a fait plusieurs longs voyages. D’abord au Québec pour terminer un master commencé à Montpellier, puis une année en Nouvelle-Zélande afin de découvrir le pays, et enfin une nouvelle expatriation pour entamer un doctorat en géographie avant un retour définitif en France en 2014.
"J’avais une situation relativement simple car mon conjoint est Français également, donc on n’avait pas la problématique liée à l’immigration, ni la problématique liée à la scolarisation des enfants, se souvient-elle. Mais rien que pour retrouver une couverture maladie et une carte Vitale, cela m’a pris près d’un an. Je ne savais pas à qui m’adresser".
En 2014, rentrer est encore un parcours du combattant :
"On ne m’a jamais aidée, ça c’est certain. En fait, il a fallu taper du poing sur la table"
Suite à son retour, par curiosité, Anne-Laure Fréant veut savoir "si d’autres personnes avaient eu les mêmes difficultés ou pas". En 2015, elle ouvre un groupe sur Facebook dédié au retour des expatriés, puis un blog. Ses articles sur les aspects administratifs du retour, les questions d'emploi connaissent un succès. Selon elle, les principaux défis défis sont avant tout "professionnels et psychologiques", mais les tracasseries administratives peuvent alourdir ces problèmes.
Pixel expatriés - L'expérience du retour (Anne Laure Fréant)
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La sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouray, ancienne ministre déléguée aux Français de l'étranger, s'est attaquée à ces problèmes administratifs. Elle a remis en juillet 2015 un rapport, intitulé "Retour en France des Français de l’étranger" , au Premier ministre. C'est la première fois qu'une étude qualitative revient sur les parcours des expatriés, et fait des recommandations pour favoriser leur retour. Pour cela, 49 mesures ont été proposées. Dix sont déjà en vigueur, dont une très attendue : la mise en place d' un outil en ligne interactif adapté aux situations de chaque expatrié. Le site apporte les réponses sur toutes les démarches à suivre en vue de son retour en France.
Cet outil permet notamment de lister les documents indispensables à ramener et à présenter en France. Cela évite de "se retrouver devant l’administration française qui réclame ces documents, alors que ceux-là sont difficiles à obtenir ou qu’il faut reprendre l’avion et parfois aller très très loin pour obtenir un papier tamponné et certifié". Car l'administration peut se montrer très rigide concernant les situations individuelles.
C'est d'ailleurs pour cela que le rapport de la sénatrice Conway-Mouret comporte surtout des "petites"' mesures, des modifications dans les circulaires à destination des administrations pour qu'elles prennent enfin en compte le cas des expatriés de retour :
"Quand on lit l’ensemble des propositions on se dit : ce n’est pas possible qu’aujourd’hui ce genre de blocages administratifs existent. Et bien si, encore"
Une quinzaine de nouvelles mesures devraient entrer en vigueur d'ici la fin de l'année.
Pixel expatriés - Les propositions du rapport de la sénatrice Hélène Conway Mouret
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S'il a fallu attendre ce rapport de bon sens pour faciliter les modalités de retour, c'est parce que "les Français ne rentrent pas par vagues importantes de centaines voire milliers de personnes en même temps" précise Hélène Conway-Mouret.
Mais selon elle, le problème est plus profond. Elle estime que les expatriés sont mal perçus par la population française : "les Français n’ont jamais vu d’un bon œil ceux qui partent. La mobilité ne fait pas partie, comme l’immigration d'ailleurs, de la culture française. On ne s’est jamais vraiment intéressé à ceux qui partent et encore moins au fait qu’ils rentrent un jour"
Pixel expatriés - Un problème "culturel" selon Hélène Conway Mouret
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La publication de ce rapport a permis de rapidement faire évoluer les choses du point de vue administratif. Un "pas de géant" selon Anne-Laure Fréant, qui a participé à la création de l'outil interactif en ligne.
"Face à l’augmentation de la mobilité dans nos sociétés, on est obligés de faire en sorte que rentrer, et sortir, puisse être beaucoup plus facile et léger. Parce qu’il y a beaucoup de personnes qui ne repartiront pas(à l'étranger) parce que le retour a été justement trop compliqué."
Pixel expatriés - Les conséquences du rapport Conway-Mouret (Anne Laure Fréant)
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Au-delà des problèmes administratifs, Anne-Laure Fréant raconte qu'"au gré des témoignages" et des "échanges privés", elle s'est également rendu compte de l'importance de la dimension psychologique du retour en France. Concrètement, elle pointe la "dimension liée au choc culturel et, au-delà, à la reconnaissance des identités multiculturelles en France". Et de préciser : "c’est la difficulté d’exister dans un modèle français qui est très 'uniculturel' par nature, conçu pour être rigide et crispé autour de ses valeurs. Qui laisse peu de place aux personnes qui souhaitent ramener quelque chose de l’étranger avec eux. Quand on veut proposer des choses, quand on veut être autrement en France, dans le cadre du travail ou pas, on se heurte à une incompréhension".
Pixel expatriés - la dimension psychologique du retour (Anne Laure Fréant)
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L'autre défi très important est celui de l'(ré)intégration professionnelle suite au retour. Il existe des domaines où l'expatriation est désormais un passage obligé. C'est le cas de la recherche scientifique. Les chercheurs sont incités à partir à l'étranger, sans pour autant avoir la certitude de trouver un poste à leur retour. Soufiane Ghannam est dans ce cas. Ce chercheur postdoctoral est en poste depuis quatre ans au centre hospitalier de Montréal, après un doctorat à Montpellier. Aujourd'hui arrivé à un niveau Bac +12, il lui est impossible de travailler en France dans son domaine de recherche, faute de place :
"J’ai eu des propositions aux Etats-Unis ou au Canada, où il y a beaucoup de postes, mais mon envie c’est de rentrer en France et participer au développement de mon pays et apporter ce que j’ai appris en termes de technique de pointe. J’ai contacté les structures en France, comme le Pôle Emploi pour les cadres, la seule réponse que j’ai eue c'est 'vous n’avez pas le droit à des aides'. Le seul droit que j’ai c’est le RSA, avec BAC + 12".
S'il rentre en France, il devra abandonner la recherche, ce que vont faire 80% de ses amis chercheurs selon lui.
Pixel expatriés - "Mon envie c'est de rentrer" (Soufiane Ghannam)
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Elle-même ancienne doctorante, Anne-Laure Fréant confirme que "la recherche scientifique c’est l’exemple le plus éloquent". Mais elle ajoute que "c’est le cas dans d’autres domaines".
Car la plupart des expatriés connaissent surtout des problèmes au moment de l'intégration ou la réintégration professionnelle : "il y a beaucoup de gens qui retrouvent un emploi et reprennent un chemin intéressant en France, mais il y en a beaucoup dont les compétences ne seront jamais reconnues parce que les recruteurs en France pensent que l’expatriation c’est des vacances. C’est vraiment une croyance, c’est culturel. Alors ça dépend des métiers, des profils, des régions, mais la reconnaissance de l’expérience à l’étranger et la valorisation des compétences acquises à l’étranger sont très compliquées en France".
Un décalage qui peut être source de panique quand un expatrié passe plusieurs mois à essuyer des échecs professionnels. A tel point qu'une personne de retour de l'étranger peut regretter le fait d'être partie : "alors qu’elle a trouvé ça (l'expatriation) extraordinaire et que, sur le moment ça lui paraissait intéressant et stimulant, l’attitude générale rencontrée (en France) quand on recherche un emploi peut amener à se dire : mais je ne retrouverai plus mal place ici finalement. Effectivement, à quoi bon absolument partir si lors de mon retour tout le monde trouve que mon expérience n’a pas de valeur ?".
Et les personnes qui sont envoyées à l'étranger par leur entreprise (cadre détaché lors d'un contrat d'expatriation) puis réintègrent un poste en France ne sont pas à l'abri d'un retour douloureux. Faute d'accompagnement et d'épanouissement :
"On sait maintenant que 60% d’entre eux démissionnent de leur poste dans les deux ans qui suivent leur retour"
Pixel expatriés - la dimension professionnelle du retour (Anne Laure Fréant)
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Selon une note du Conseil d'Analyse Economique (CAE), il existe d'autres explications aux problèmes d'intégration professionnelles des expatriés en France.
Etienne Wasmer, co-auteur de la note, et professeur d'économie à Sciences Po, précise que "le système de formation en France est extrêmement bien calibré, donc on ne recrute que des gens qui ont des parcours typiques, et les parcours atypiques, qui restent encore les parcours à l’étranger sont moins valorisés. Mais à mon avis ces choses-là vont changer dans les dix prochaines années de façon inéluctable". Encore faut-il que la France s'adapte pour rester attractive :
"Au fond, l’idée de la France comme grand pays d’accueil est moins forte qu’avant".
Et ça tient peut-être à l’organisation économique, sociale et culturelle du pays. Il faut qu’on y réfléchisse parce que "dans ce monde globalisé dans lequel les entreprises et les pays se battent pour avoir les talents, il faut que l’on reste dans la course".
Pixel expatriés - Les freins au retour (Etienne Wasmer)
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A l'avenir, selon Etienne Wasmer, la France va devoir adapter son système pour ne pas subir les déséquilibres induits par la mobilité internationale. Des déséquilibres notamment fiscaux.
La note du Conseil d'Analyse Economique détaille en effet les mouvements selon lesquels, schématiquement, les expatriés quittent la France au moment où ils sont en âge de travailler et donc de contribuer fiscalement et socialement au modèle français. Cela ne pose pas de problème tant que leurs départs sont compensés par l'arrivée d'étrangers venus travailler, et donc cotiser et payer des impôts en France. Aujourd'hui, il y a toujours plus d'arrivées de travailleurs que de départ vers l'étranger. Mais l'écart se réduit, et pourrait même s'inverser à terme. Ce qui déséquilibrerait totalement le modèle de contribution au modèle social français.
Pour y remédier, Etienne Wasmer appelle à conserver un lien fort avec les Français établis à l'étranger et "maintenir un lien social avec une possibilité de contribution sociale supplémentaire et facultative qui permette de maintenir ce lien et qui donnent en contrepartie certains droits comme par exemple l’inscription au lycée français de façon prioritaire. Tant qu’on maintient ce lien social et fiscal avec son pays d’origine, on droit être traité peut-être de manière plus privilégié".
Pixel expatriés - La question du déséquilibre fiscal (Etienne Wasmer)
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L'économiste propose également de faire payer aux étudiants non communautaires une part plus importante de leurs frais de scolarité. Là encore, le but est de préserver le modèle dans lequel l'expatriation reste une chance et non une source de déséquilibre budgétaire et fiscal pour le pays.
"En tout cas ce sont des vraies questions de financements qui vont se poser dans les années à l’avenir" conclut-il.
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