Des études ont démontré l’ampleur de ces contrôles effectués par la police, souvent sur la base de la couleur de peau ou de l’apparence. La justice va se prononcer sur la responsabilité éventuelle de l’Etat. Des associations militent pour l’instauration d’un récépissé de contrôle.
Mise à jour 24 juin 2015 : On apprend ce mercredi que l’Etat français a été condamné par la justice pour « faute lourde » dans cinq cas de contrôle au faciès. L’Etat est condamné à payer 1 500 euros de dommages et intérêts. Au-delà de la peine, cette condamnation est une première en France et pourrait ouvrir la voie à d’autres procès du même type.
Les 13 plaignants, tous noirs ou arabes, avaient reçus au moment du procès en appel, qu’ils avaient perdu en première instance, le soutien du Défenseur des Droit. Jacques Toubon avait déposé des conclusions mettant en cause le régime des contrôles d’identité notamment à cause de l’absence d’encadrement et de recours pour ceux qui s’estiment victimes de contrôle basé sur leur seule couleur de peau.
En avril dernier, Pixel, le reportage multimédia hebdomadaire de la rédaction, s’intéressait à ce procès et à ses enjeux.
--- Des études ont démontré l’ampleur de ces contrôles effectués par la police, souvent sur la base de la couleur de peau ou de l’apparence. La justice va se prononcer sur la responsabilité éventuelle de l’Etat. Des associations militent pour l’instauration d’un récépissé de contrôle mais l’enjeu principal reste le changement de la législation et des mentalités au sein des forces de l’ordre, pour rendre les relations police-population moins conflictuelles. Un reportage d'Abdelhak El Idrissi
Dans quelques semaines, la Justice dira si l’Etat français est responsable de la discrimination dont s’estiment victimes 13 plaignants, qui expliquent avoir subi des contrôles d’identité à cause de leur seule couleur de peau.
Après avoir perdu en première instance en 2013, les 13 citoyens ont obtenu un procès en appel en février dernier. Ils ont pu compter cette fois sur le soutien du Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui a déposé des observations allant dans leur sens.
Contrôler les contrôles
Les plaignants sont des personnes « comme vous et moi » explique Slim Ben Achour, l’un de leur avocat . « Professeurs, joueurs de football, étudiants pour les plus jeunes (…) ils sont contrôlés constamment » poursuit l’avocat, qui fait remarquer que leur point comment est leur « couleur de peau » ou une « apparence d’étrangéité ».
Des contrôles d’identité de « routine » qui ne débouchent sur aucune suite judiciaire, puisque les personnes contrôlées dans cette affaire n’ont rien à se reprocher :
"Quand on est un policier, on sait que lorsqu’on procède à un contrôle au faciès, on n’a pas à se justifier, puisqu’il n’y a pas de preuve (…) On est dans l’arbitraire le plus total."
Comment, dès lors, prouver qu’il y a eu une pratique discriminatoire, en l’absence de trace écrite ?
Écouter
10 min
L’avocat des plaignants est confiant pour la suite. Si la Cour d’appel de Paris ne donne pas raison à ses clients, ils contesteront devant la Cour de Cassation, puis devant les instances européennes si besoin : « Je pense qu’on a gagné. Parce que le Défenseur des droits a pris un avis juridique implacable. Et puis, il y a des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme. Le combat est gagné, mais je ne sais pas quand. C’est un problème de temps ».
L’argumentaire déposé par le Défenseur des droits pourrait effectivement faire la différence dans ce procès. « La faiblesse de l’encadrement des contrôles d’identité et donc du risque de discrimination » est une question qui importe beaucoup à Jacques Toubon, successeur de Dominique Baudis , auteur d’un rapport sur la question en 2012.
Jacques Toubon souligne plusieurs points comme le manque de traçabilité des contrôles :
"Personne ne sait combien on effectue, chaque mois, de contrôles d’identité."
Autre problème soulevé : l’encadrement des contrôles prévu par l’article 78-2 du Code de procédure pénale.
Enfin, le Défenseur des droits questionne les recours possibles contre les contrôles d’identité abusifs : « pour démontrer le mauvais fonctionnement de la justice, il faut qu’il y ait faute lourde. Mais par l’absence de trace, cette faute lourde est difficile à démontrer ».
Le sujet est au cœur des préoccupations du Défenseur des droits, qui continuera à porter le sujet, quelle que soit l’issue du procès, le 24 juin prochain.
"Un groupe de travail a été réuni l’année dernière, du temps de Dominique Baudis. J’ai réactivé ce groupe et j’ai l’intention cette année de remettre, indépendamment des procédures judiciaires, ce sujet dans l‘actualité du Défenseur des Droits. Effectivement, je pense qu’aujourd’hui de manière générale, les rapports entre les forces de sécurité et la population sont un élément très fort des conflits qui existent dans notre société."
Écouter
8 min
Sur l’issue du procès, Jacques Toubon se demande quel comportement va adopter le tribunal :
« On peut imaginer qu’une juridiction comme la Cour d’appel de Paris, aussi puissante et influente soit-elle, hésite à aller sur un tel sujet, qui est extrêmement délicat, et dans la période actuelle en plus, hésite à aller au-delà de la loi et du droit positif. Encore que, nous avons une jurisprudence européenne dont la Cour d’appel pourrait s’inspirer. »
Mais le Défenseur des droits estime que l’affaire en question aura des effets positifs sur le sujet : « je pense que le débat, à travers cette audience et le délibéré de la Cour à la fin du mois de juin, à travers les observations que nous avons proposées, sera ouvert ».
Car la question n’est pas close, et l’ancien ministre compte poursuivre sur sa lancée :
"Jusqu’à ce que nous arrivions à faire adopter des dispositions qui soient véritablement protectrices des droits et libertés, et qui puissent empêcher toute discrimination."
Écouter
7 min
Lors du procès de février dernier, les avocats des 13 plaignants se sont également appuyés sur une étude scientifique du CNRS de 2009 sur la réalité et l’ampleur des contrôles d’identité au faciès.
A l’époque, les chercheurs René Lévy et Fabien Jobard, sollicités par l’ONG américaine Open Society Justice Initiative, ont observé plus de 500 contrôles d’identité sur deux sites précis à Paris : La Gare du Nord et Châtelet les Halles.
Ils en ont tiré l’étude « Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris ».
Les résultats sont éloquents. Il en ressort une surreprésentation des minorités visibles, surtout les « Noirs » et les « Arabes » , dans les contrôles de police observés sur ces lieux.
Par exemple, à la station Châtelet, 35% des passants sont des Noirs et pourtant ils représentent 86% des contrôles d’identité.Toujours à la station Châtelet, les Arabes courent 15 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs (ils représentent un quart de la population observée mais trois quarts des contrôles policiers).
Ces travaux sont les premiers en France à quantifier un phénomène jusque là abordé par des témoignages, mais aucun chiffre.
« C’est une idée très répandue que les contrôles au faciès sont pratiqués de manière massive (…) On avait quand même beaucoup d’observations montrant que ce n’était pas imaginaire, mais on n’avait pas de données quantifiées », explique René Lévy, l’un des chercheurs du CNRS. Il travaille au Centre de recherches sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) :
Écouter
5 min
Le récépissé, « nécessaire mais pas suffisant »
Pour une meilleure traçabilité des contrôles d’identité, beaucoup d’associations comme Stop le Contrôle au Faciès demande la mise en place d’un récépissé de contrôle d’identité. C’était d’ailleurs une promesse de campagne de François Hollande en 2012. Mais Manuel Valls l'avait enterré quelques mois après l'élection, pour ne pas se mettre à dos les syndicats de policiers.
« On s’est peut-être un peu trop concentré sur le récépissé », tempère le chercheur René Lévy, pour qui la traçabilité n’est qu’un élément de la réponse. Même s’il reconnaît qu’un tel document pourrait freiner les contrôles discriminatoires :
"Si les policiers doivent remplir un formulaire, ils y réfléchiront à deux fois avant de faire un contrôle."
Écouter
2 min
A l’origine de l’étude du CNRS en France, Open Society Justice Initiative a mené différentes expérimentations en Hongrie, Bulgarie et en Espagne.
Dans ce dernier pays, avec le soutien de la Commission Européenne, l’ONG a pu collaborer avec la police de certaines villes pour tester le récépissé de contrôle d’identité. Mais pas seulement. A Fuenlabrada, dans la banlieue de Madrid, les résultats ont été très bons grâce à une implication de la hiérarchie policière, et un dialogue constant entre les policiers et la population locale via les associations.
Au Royaume-Uni, le récépissé est généralisé mais n’est pas totalement efficace faute de volonté politique. C’est ce que détaille Lanna Hollo, la représentante en France de Open Society Justice Initiative : « la première chose à savoir c’est qu’il il n’y a pas de recettes faciles. C’est un problème de discrimination systémique. Ce n’est pas un problème qu’on résout du jour au lendemain. Et il faut une réelle volonté politique »
Le point de départ c’est le cadre législatif : faire en sorte que pour faire des contrôles, il faut des motifs objectifs et individualisés basés sur le comportement. Dès que le cadre législatif est flou et permet aux policiers de contrôler selon des motifs subjectifs, comme c’est le cas actuel en France, c’est la porte ouverte aux discriminations.
Écouter
8 min
« Malheureusement, les problèmes de contrôles au faciès ne sont pas limités à la France. Mais le problème y est particulièrement répandu », précise Lanna Hollo après avoir comparé la situation du pays avec certains de nos voisins européens.
L’autre particularité française serait le « déni face à des faits très graves ».
« Vu de l’extérieur, ce qui est surprenant c’est la persistance officielle du déni face à un phénomène aussi répandu » qui évoque « une résistance politique à faire quelque chose pour confronter réellement ce problème. Que ce soit d’évaluer le problème ou prendre des mesures sérieuses ».
Écouter
9 min
« La police nationale fait bien son travail »
« Contrôle au faciès », le terme est réfuté par plusieurs syndicats de police, dont Alliance, premier syndicat après les élections professionnelles de décembre dernier.
« Nous avons toujours été en désaccord avec ce terme. Nous somme l’une des polices les plus contrôlées au monde » explique Stanislas Gaudon, responsable du bureau parisien du syndicat policier.
« La police Nationale obéit d’abord à un règlement : un nouveau code de déontologie a été validé en 2014 et il encadre strictement le métier de policier » se défend le policier, pour qui :
"le contrôle d’identité n’est pas accusateur, il peut être fait de manière préventive."
Mettre en place un récépissé ? « On va encore montrer du doigt et mettre une surcharge de travail » sur les forces de l’ordre répond le syndicaliste. « La police nationale, on lui demande beaucoup d’efforts, de se rapprocher de sa population, mais les budgets ne suivent pas toujours » :
Écouter
7 min
Pourtant, selon le chercheur du CNRS René Lévy, pour mettre fin aux contrôles au faciès, il faudra aussi réfléchir aux relations police - population en apportant « des modifications profondes de la culture professionnelle des policiers » au cours de la formation et au travail.
Écouter
4 min
Sur les réseaux sociaux nou avons demandé aux internautes de nous raconter leurs éventuels contrôles au faciès. Et sur Twitter, des policiers anonymes réagissent à l'idée d'un récépissé de contrôle :
L'équipe
- Journaliste
- Journaliste
- Journaliste
- Journaliste