On dit que Noël est une fête commerciale : des cadeaux par milliers, des festins dévorés. Mais est-ce vraiment la fête à laquelle nous aspirons ? Quelques semaines après la COP21, n'éprouvez-vous pas un malaise face à cette débauche de dépenses et de consommation ?
Cette semaine, Pixel explore quelques pistes pour célébrer Noël autrement : un Noël décroissant, sans Père Noël, et même sans non-dits familiaux… C'est possible mais difficile, comme l'a constaté notre journaliste Marie Viennot.
Sapin or not sapin ?
C’est la question qui nous hante, quand arrive décembre. Est-ce mieux d’avoir un sapin en carton, en plastique, en épines, en pot ? Ou pas de sapin du tout ? Quelques éléments de réponse :
- Un sapin en plastique a un bilan carbone bien pire qu’un sapin naturel, il est à base de PVC donc de pétrole et se recycle difficilement. Il est souvent fabriqué à l’autre bout du monde
- Le plus écolo et décroissant, c’est sans doute de créer votre sapin vous-même à base de carton recyclé, ou de livres, ou de tringle à rideau, comme l’a fait Talacatak, une association qui fabrique des instruments 100% recyclés.
Noël J-17. Sapin tout en récup par Talacatak. Tringle, pied de lampe, baguettes de rideau, bouchons et imagination! pic.twitter.com/SLPhTmS6Xq
— marie viennot (@marieviennot)
- Si vous ne pouvez pas vous passer du sapin naturel, privilégiez les sapins « Made in France » plutôt que ceux venus de Belgique ou du Danemark. L’origine n’est pas toujours spécifiée. Demandez et vérifiez. Sachez en tout cas qu’un sapin pousse entre trois ans et dix ans (selon la taille) avant d’être coupé pour Noël. C’est une culture à part entière qui assure un revenu à tout un tas de pépiniéristes, notamment en Normandie. Une association existe pour défendre la profession.
- Un sapin en pot est l’idéal si vous pouvez le replanter, mais ne pensez pas pouvoir le replanter, comme ça en forêt ou dans un parc public. L’amende peut aller jusqu’à 150 euros.
Plus de six millions de sapins sont vendus en France chaque année. On trouve un sapin de Noël naturel dans un foyer sur quatre en France. Les défenseurs du sapin naturel, font valoir que dans le bilan carbone du sapin de Noël, il faut tenir compte du fait que les sapins absorbent aussi du CO2 avant d’être coupé. C’est ce qu’illustre cette vidéo.
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Avec des jouets par milliers…
Ah… les cadeaux de Noël. Selon le cabinet Deloitte, qui y consacre depuis 18 ans une étude, c’est le premier poste de dépense, et de loin, pour Noël. En 2015, les Français interrogés estimaient dépenser 350 euros par foyer sur un budget de 577 euros. C'est beaucoup, mais c'est en diminution. En 2010, les dépenses cadeaux étaient de 400 euros.
Or, selon une autre étude commandée par eBay,et réalisée en septembre 2015 auprès de 2425 adultes de 16 à 64 ans, un tiers des Français a reçu au moins un cadeau indésirable, un sur deux en Ile de France.
Que de gâchis ! On consomme des matières premières, de l’essence, du papier cadeau et du pouvoir d’achat, et en plus c’est raté… Quelques semaines après la COP21, l'indécence de la situation s'affiche dans les couloirs du métro parisien.
La distribution des cadeaux : 17,1 millions de tonnes de CO2
Difficile d’établir le bilan carbone du père Noël, mais un internaute s’est livré à ce travail. Hypothèses et estimations à l’appui (que l’on pourrait discuter), il a cherché à voir quel était le bilan carbone de la distribution de cadeaux : 17,1 millions de tonnes selon lui, soit autant que les émissions annuelles du Liban… La démonstration est très amusante, et les commentaires encore plus.
Comment faire un Noël plus décroissant ? En en discutant avec mon fils de six ans, lui estime que quatre cadeaux, c’est vraiment un minimum. Et si la solution c’était de récupérer les cadeaux ? Voilà que s’annonce un Trocathlon de Noël dans mon quartier.
En route vers le trocathlon des cadeaux pour un Noël décroissant et bas carbone! @FCpixel @FCredac pic.twitter.com/aFPFPcArc4
— marie viennot (@marieviennot)
L’idée est simple : on amène des jouets, on repart avec autant de jouets qu'on le souhaite, sans compter un contre un, seule l’envie guide. Je repense à ce discours de Jeremy Rifkin sur l’économie du partage à l’occasion de la sortie de son livre : « La nouvelle société coût marginal zéro ». Il disait à peu près ceci :
On peut tout à fait offrir un cadeau à un enfant en lui disant « Prends ce cadeau, il t’est donné par un enfant qui a beaucoup joué avec mais qui n’en a aujourd’hui plus l’usage. Amuse toi avec et prends en bien soin. Quand tu n’en n’auras plus l’utilité, tu pourras à ton tour le donner à un enfant qui sera heureux de jouer avec.
Pourtant, à discuter avec les parents, je m’aperçois qu’aucun n’envisage réellement d’utiliser les cadeaux troqués pour les offrir à Noël (en plus les enfants sont souvent avec eux ). La décroissance n’est pas l’objectif recherché par l’association Coudacoud qui organise des trocs depuis 2012. L’idée c’est d’abord de mettre en lien les gens du quartier entre eux et de leur permettre de communiquer. A terme, l’association espère pouvoir installer des zones de gratuité à Paris.
Offrir un cadeau troqué ? Ça bloque
Pour autant, Cécile Henry, qui anime cette association ne se verrait pas offrir pour Noël un objet troqué.
« J’avoue je suis encore dans la consommation. J’ai encore tendance à me dire : 'ça ne se fait pas d’offrir quelque chose qui est récupéré, il faut y mettre du porte monnaie'. Je suis encore là dedans. Si je ne le fais pas, c’est que je me dis que dans ma famille ça ne sera pas compris. Donc je pense qu’il faut communiquer autour de ça. Si on amène des cadeaux qui ont déjà servi, cela s’accompagne d’une explication. C’est pas parce qu’on est radin. Je vais tenter le coup cette année, de récupérer des choses et de les offrir ».
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Voilà ce que j’ai apporté au trocathlon (à gauche), et ce que j'ai récupéré (à droite) : une table de mixage pour enfants et deux livres. Ils seront sous le sapin, pour mes enfants, mais je n'oserais pas non plus offrir des jouets de seconde main à d'autres enfants que les miens.
Pourquoi on continue à fêter Noël tout en dénigrant Noël ?
C’est ce paradoxe qui a poussé Martyne Perrot, sociologue et anthropologue à s’intéresser à Noël. Pour comprendre, elle est revenue aux origines de cette célébration, et notamment aux origines de cet échange de cadeaux. La tradition est très ancienne explique-t-elle. Au temps des Romains, on s’échangeait des présents entre amis pour la nouvelle année, pour se souhaiter une année douce et en pleine santé. Le mot étrennes viendrait de la déesse de la santé Strenia, que l’on célébrait aux calendes de janvier.
Les étrennes remontent à l'époque romaine
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Le cadeau de Noël tel qu’on le connaît aujourd’hui est apparu au milieu du XIXe siècle, sous l’influence des familles royales qui se sont mises en scène autour d’un sapin, en famille, la reine Victoria en Angleterre en premier lieu. Noël devient ainsi une fête familiale, plus seulement un rassemblement lié à la religion. Un glissement s’opère des étrennes vers les cadeaux donnés au 25 décembre car l’enfant prend peu à peu une place considérable, et Noël devient la fête des enfants. Les grands magasins sont alors à leur tout début. Ils sentent le potentiel de Noël. Les innovations commerciales sont créées pour Noël : les premiers catalogues, les réclames, tout cela est créée pour Noël. C’est après la deuxième guerre que la tradition de Noël et de ses cadeaux se généralise, rappelle Martyne Perrot, qui nous explique comment Noël s’est peu à peu imposée comme une fête à laquelle quasiment tout le monde participe, tout en se plaignant d’avoir à y participer. Elle explique ce paradoxe :
Noël est une fête sentimentale, et les grands magasins, dès la fin du 19ème siècle jouent sur ce sentimentalisme des mères. Le père Noël qui vient des États-Unis, le Santa Clauss, est totalement capitaliste. Du côté du père Noël allemand, un peu moins, car il y a le côté protestant et le Père Fouettard qui restreint les choses, qui limite. Comme c’est une fête de famille, bourgeoise au départ, on dépense aussi pour restaurer annuellement les liens de famille. C’est une dépense qui fait partie du rituel. En anthropologie on connaît ça très bien, toute cérémonie s’accompagne d’une dépense. Je reprends les propos de Lévi-Strauss qui comparaît cela à un Potlatch.
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En 1951, déjà, le Père Noël est brûlé à Dijon
Aujourd’hui, Noël est une cible récurrente pour les partisans de la décroissance. Le journal La décroissance y a consacré un numéro entier en décembre 2008.
L’église de la Très Sainte Consommation se présente comme un « culte mondial qui prône le bonheur dans l’acte d’achat : consomme pour être heureux car le reste n’a finalement pas d’importance » . Ce groupe d’activiste organise principalement des actions-prière qui tournent en dérision la société de consommation. L’an passé, ils ont investi les Champs Elysées à l’occasion de Noël.
Cette critique de Noël comme fête devenue trop mercantile n’est pas récente. En 1951, des prêtres brulent une effigie du Père Noël devant les enfants du patronage parce qu’ils considèrent que c’est un personnage païen, et trop américain.
La polémique intéresse Claude Lévi-Strauss, ethnologue, alors directeur d'études à l'École pratique des hautes études qui écrit dans les Temps Modernes_:_
Ce n'est pas tous les jours que l'ethnologue trouve ainsi l'occasion d'observer, dans sa propre société, la croissance subite d'un rite, et même d'un culte.
Ce texte de 20 pages intitulé « Le Père Noël supplicié » apporte un éclairage intéressant sur les raisons que nous avons de fêter Noël, et ce besoin d’un rituel pour sortir de la période sombre de Novembre où l’on craignait que les morts ne partent à l’assaut des vivants.
« Cette croyance où nous gardons nos enfants, que leurs jouets viennent de l’au-delà, apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà, sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. »
Et si on arrêtait de croire au Père Noël ?
Mona a deux enfants de quatre et six ans. Elle ne leur fait pas croire au Père Noël, pour avoir le loisir de préparer Noël avec eux, et de les associer à l’élaboration des cadeaux dès le plus jeune âge.
Je préfère que mes enfants sachent que les cadeaux c’est mamie, c’est papi (…) plutôt que de croire que cela vient d’ailleurs. Moi-même on ne m’a pas fait croire au Père Noël quand j’étais enfant. Il y en a beaucoup qui aiment cet aspect magique, mais moi je veux dire la vérité à mes enfants.
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Faire croire au Père Noël, est-ce bien, est-ce mal ? Ni l’un ni l’autre répond Christophe Perrot, psychanalyste parisien qui s’intéresse à la fonction du Père Noël et a écrit sur son blog : faire une psychanalyse c’est cesser de croire au Père Noël. Ce qui est important, selon lui, c’est de ne pas combler les enfants complètement, il faut que le Père Noël n’apporte pas tous les cadeaux, ainsi peut se libérer la créativité de l’enfant, et surtout ne pas dire :
« Si tu n’es pas sage, pas de cadeau ».
« Le cadeau ne doit pas être la condition d’un comportement attendu, mais il faut encadrer le désir de l’enfant, sinon l’enfant est tout puissant et c’est là que l’angoisse survient. L’angoisse survient quand le manque vient à manquer. En revanche, je n’ai pas eu un patient qui m’ait dit que le reproche qu’il faisait à ses parents étaient de lui avoir fait croire au Père Noël, jamais ».
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Pour aider à faire dormir les enfants, Christophe Perrot a écrit un conte de Noël, à faire écouter, le soir aux enfants avant de s’en dormir.
Noël : un bon moment en famille ?
Depuis la fin du 19ème siècle, Noël s’est imposé comme une fête familiale. C’est le moment de l’année où se réunit toute la famille, sur plusieurs générations. La veille de Noël, la plupart des tweets sur Noël évoquaient avant tout cette réunion familiale.
Le seul truc que j'aime à Noël c'est être avec ma famille, matérialistes que vous êtes
— Sasou (@sarateixeira395)
Réunir la famille n’est pas toujours aussi gai qu’on l’espère. Christophe Perrot, psychanalyste, sait qu’en janvier, beaucoup de ses patients vont lui parler de cette « fête » et ce qu’elle a remué en eux. « L’occasion des fêtes de Noël, c’est toujours un rendez vous avec l’enfance extrêmement difficile pour certains, car cela réactive des traumas infantiles, et le cerveau ne fait pas la différence entre les émotions passées et les émotions qui sont revécues, voilà pourquoi la dimension traumatique se réactive chaque fin d’année. Je ne dirai pas si c’est bien ou un mal, ce que je peux dire c’est que tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime, et il serait salutaire de mettre les choses en mots, en disant ce que l’on ressent. Le dire authentiquement, sans colère, sans manipulation… parfois cela suffit, parfois cela ne suffit pas, mais ensuite si on ne revient pas, l’autre sait pourquoi ».
Ne jamais céder sur son désir, dire ce que l’on ressent, ce n’est pas gâcher la fête. Nous générons nos propres émotions, mais on les convoque, on les met sur la table, et ça croyez moi c’est le meilleur cadeau de Noël que l’on peut se mettre sous le sapin.
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Pour un Noël réinventé et plus serein, on pourrait imaginer que, dans toutes les familles, chacun s’exerce aux principes de la communication non violente avant la fête. C’est une technique mise au point par le psychologue américain Marshall Rosenberg.
Merci pour votre lecture, passez un vrai Joyeux Noël !
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