

La question est posée depuis hier à l'Unesco pour la 5e Conférence nationale des métiers du journalisme. Ces réflexions interviennent au cœur d’une période économiquement très agitée pour la presse et ses métiers, en pleine mutation. Enquête d'Eric Chaverou.

France Soir, Libération, RFI ou LCI. Plans sociaux, restructuration, fusion. Depuis quelques années, les journalistes ont de quoi s’interroger, sur eux-mêmes cette fois.
Parce que si leur nombre reste stable depuis quatre ans, le phénomène de précarisation est devenu gravissime, d'après l’universitaire et spécialiste de longue date du métier Denis Ruellan.
Enseignant à l'IUT de Lannion, il explique notamment que les gens changent désormais d'activité très fréquemment avant 40 ans. Vers la communication, le management ou le développement web.
Car aujourd'hui 70% des nouvelles cartes de presse sont attribuées à des personnes considérées comme précaires (CDD, piges), contre 30% au début des années 90 :
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15 ans d'activité en moyenne, à la baisse
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Moins d'un tiers des 36.823 journalistes qui obtiennent la carte feront une carrière longue, précise une récente étude de Christine Leteinturier, maître de conférences en sciences de l'information à l'Institut français de presse, au sein de l'université Panthéon-Assas. Contrairement à ce que pourrait laisser croire quelques éditorialistes vedettes.
Autre changement : de plus en plus de femmes. On approche de la mixité, même si elles peinent encore à accéder aux responsabilités et gagnent moins que leurs confrères.
Avec des journalistes établis essentiellement en Ile-de-France.
Celle qui a mené une vaste recherche sur les acteurs et les marchés des médias depuis 1990, pointe enfin la redéfinition des marges du journalisme. Avec la difficulté pour les candidats à se situer dans un champ plus large que le seul champ de l'information générale et politique, pourtant en crise et qui reste l'idéal des étudiants (voir l'imaginaire des jeunes ci-dessous).
« Je me sens plus journaliste sans carte maintenant, qu'à certains moments avec, précédemment. »
De plus en plus de personnes se revendiquent journalistes sans avoir le précieux sésame à un abattement fiscal notamment. Fiers de la même déontologie.

C'est le cas de Florent Maurin , diplômé d’une grande école de journalisme reconnue, une dizaine d’années encarté dans la presse jeunesse et désormais à la tête de son entreprise de newsgame : The Pixel Hunt.
Des jeux vidéo d’information pour apporter de la valeur ajoutée en ligne face aux dérives du people, du copié collé et de l’écriture à seule fin d’être référencé, explique-t-il.
De la valeur ajoutée pour éviter que le robot journaliste qui existe déjà ne prenne vraiment la main :
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Pari réussi puisqu’un de ces jeux vidéo, sur la reconstruction d'Haïti, vient de remporter un ONA, prix international de journalisme en ligne. Un reportage fiction multimédia écrit par Jean Abbiateci, avec des photos de Pierre Morel, et des illustrations et un graphisme de Perceval Barrier (cliquez ici pour le découvrir) :

« Dans une économie du journalisme "pauvre", il faut savoir s'appuyer sur des outils gratuits et sur le désir d'être informés des lecteurs. »

Autre expérimentateur du web et des réseaux sociaux : Sylvain Lapoix.
Journaliste indépendant et multicartes passé entre beaucoup d'autres par Marianne et Owni, et que nous avions déjà rencontré en 2009, du temps du Djinn, l'association pour le développement du journalisme, de l'information et de l'innovation numérique.
Aujourd'hui, il est ravi de sa collaboration avec des centaines de citoyens connectés pendant 4 ans d'enquête sur les gaz de schiste. Un excellent moyen aussi de s’opposer à des communicants toujours plus nombreux et mieux armés financièrement, alors que la sénatrice centriste Nathalie Goulet souhaite doter les rédactions d'un statut juridique pour "protéger les journalistes d'éventuelles pressions" politiques de la part de leurs actionnaires.
"Cette façon de rassembler des communautés d'intérêt, de manière publique mais aussi avec des canaux parallèles pour se contacter, c'est une nouvelle façon d'enquêter, clairement. Et cela m'a énormément aidé dans mon travail et j'ai régulièrement rendu hommage aux simples citoyens qui ont voulu m'aider à informer", confie-t-il.
Et d'ajouter : "C'est aller au devant de son lectorat pour déjà savoir ce dont il a besoin, ce qui l'intéresse, et ce qui dans le sujet que l'on traite l'intéresse. Et d'autre part, c'est aussi aller au devant d'un lectorat qui peut devenir un expert, un informateur". Sylvain Lapoix :
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Nouvelle façon d'enquêter pour aussi au final une nouvelle façon de publier : une bande dessinée réalisée avec Daniel Blancou. Reportage illustrée qui avait d'ailleurs d'abord été publié dans " La revue dessinée", trimestriel qui séduit de plus en plus de journalistes et de lecteurs.
Et pourquoi cesser d'innover ? Sylvain Lapoix vient de rejoindre la toute jeune plateforme enquête ouverte, lancée par Tatiana Kalouguine pour héberger et "propulser" des investigations au long cours sur des sujets d’intérêt général. Cette fois, il est question des décharges publiques et de leurs vices cachés, en collaboration avec une autre journaliste, Anne de Malleray.
Mais une question fâche Sylvain Lapoix : la non reconnaissance de son travail par la Commission de la carte de presse. "Je pense qu'il faudrait vraiment qu'ils passent à la fibre parce que aujourd'hui le journalisme évolue et en tant que journaliste indépendant l'abattement fiscal que permet la carte de presse, pour moi, c'est pas un luxe, c'est juste pour payer mon bureau, mes déplacements, mes frais téléphoniques…" :
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"C'est de plus en plus compliqué", reconnaît la présidente de la Commission de la carte.
Bénédicte Wautelet est issue du collège des employeurs (8 membres, comme celui des salariés, avec une présidence tournante). Directrice juridique du groupe Le Figaro, elle met en avant le code du travail, sur lequel doit se reposer son institution. C'est le législateur qui peut faire évoluer l'impératif de justifier de salaires et non de droits d'auteur ou de cachets, comme pour de plus en plus de précaires. Bénédicte Wautelet qui admet que personne ne travaillant uniquement sur le web n'a jamais fait partie de la CCIJP :
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Et vous, qu'en pensez-vous ?
Vous avez été particulièrement nombreux à vous exprimer à ce sujet, qui vous tient à coeur, sans besoin de vous poser beaucoup de questions :
L'imaginaire des jeunes journalistes

C'est une étude menée auprès d'étudiants de 5 écoles de journalisme : le CUEJ (Centre universitaire d’enseignement du journalisme, Université de Strasbourg), l'EJCAM (Ecole de journalisme et de communication d’Aix-‐Marseille), l'EPJT(Ecole publique de journalisme de Tours), l'IJBA (Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine) et l'IPJ (Université Paris Dauphine). Etude conduite en septembre 2013, via un questionnaire en ligne, avec 146 réponses exploitées. Sachant qu'une enquête analogue avait été menée en entrée de promotion (septembre 2011) puis en sortie (printemps 2013) auprès des étudiants de quatre écoles. Résultats : Albert Londres, Edwy Plenel et Yves Calvi sont plébiscités, avec une prévalescence de l'écrit par rapport au web et à l'audiovisuel , explique Nicole Gauthier, directrice du CUEJ :
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Nicole Gauthier qui détaille aussi les valeurs que ces jeunes associent au métier . Des jeunes qui "n'ont pas encore pris forcément la mesure des mutations du métier" par rapport au multimédia :
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