Cette semaine, dans le cadre de la deuxième étape de notre opération Régionales 2015 "De la carte au projet", Pixel est parti prendre l’air en Bretagne. A la rencontre de celles et ceux qui cherchent à inventer la politique de demain. A Rennes, où le tissu associatif est particulièrement dense, la proximité et la solidarité sont deux aspects concomitants d’une nouvelle manière de faire de la politique, entre initiatives citoyennes et démarches participatives. Reportage de Marie-Alix Autet, avec le concours d'Eric Chaverou.

Il suffit d’observer le résultat des dernières élections municipales pour se rendre compte qu’à Rennes, les lignes politiques bougent, et peut-être davantage qu’ailleurs. La liste PS conduite par Nathalie Apperet a fusionné dans l’entre-deux tours avec la liste EELV/Front de Gauche, cette dernière ayant inclus dans son programme plusieurs aspects de politique participative, que l’on retrouve aujourd’hui sous le dispositif de la Fabrique Citoyenne.** Il s’agit d’une expérimentation qui inscrit au niveau municipal, notamment, un budget participatif, ainsi que le principe de tirage au sort.**

Mais pour comprendre comment ce type de dispositif a pu émerger, il faut remonter le fil d’une tradition participationniste très prononcée à Rennes, qui trouve son origine dans les organisations de quartiers, particulièrement actives et influant la vie politique locale.
Cette tradition s’appuie sur une particularité propre à la ville : un maillage associatif du territoire extrêmement resserré, faisant la part belle aux valeurs de solidarité et de proximité, doublé d'une volonté de faire bouger les choses, même à une échelle très localisée.
**C’est ce qu’explique Sébastien Ségas, professeur en Sciences Politiques à l’université de Rennes 2, sur le campus de Villejean, ** qui commente également l'émergence de la Fabrique Citoyenne :
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C’est sur ce même campus de Villejean que l’on rencontre Merwan, 20 ans, étudiant en troisième année de sociologie. Une bonne illustration de l’interpénétration du monde associatif et politique, puisque ce jeune homme cumule fonctions d’élu – au conseil municipal de sa commune de Melesse toute proche de Rennes ainsi qu’au sein du conseil des étudiants de Rennes 2 – et multiples casquettes de militant associatif. Il était notre portrait du jour ce vendredi matin.

Merwan fait également partie du projet Kaps (Koloc à projet solidaire) de l’antenne rennaise de l’Afev, l’Association fondation étudiante pour la ville, implantée au cœur des barres HLM de Villejean, à une station de métro du campus de Rennes 2. **C’est dans cette structure ayant pour vocation de lutter contre les inégalités dans les quartiers populaires, via de l’entraide scolaire et culturelle, que nous rencontrons Adrien, Clémence, Quentin, Mathilde ou encore Adèle. **
Tous partagent la même envie de se sentir utile et de désenclaver les habitants des quartiers, mais se rejoignent aussi le même constat : les politiques publiques en direction des banlieues sont inadaptées, quand elles existent, et les discours ne sont rien sans des actions concrètes derrière. Un diagnostic qu’ils appliquent également à la politique en général, et ceux qui la font.** Ecoutez leurs témoignages en cliquant sur les photos qui comportent une vignette : **

Cette solidarité est, bien entendu, propre aux valeurs que défend l’association, mais aussi de cette tradition associative rennaise, où l’on semble considérer que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même – en l’occurrence, que ceux dans le besoin ne sont jamais mieux aidés que par eux-mêmes. C’est dans cette optique qu’a été créée, en 2003, l’association Rennes hébergement, minuscule structure de deux salariés nichée au cœur d’une résidence solidaire dans le centre historique de la ville. Son objectif est de mettre en relation des personnes qui ont besoin d’un logement temporaire, et des habitants ayant une chambre inutilisée.

Un genre de couch-surfing à l’échelle de la ville, en somme, qui a pour but de rendre service à une catégorie « invisible et fragilisée » : les stagiaires qui ne sont là que pour une à deux semaines, les jeunes en formation pour quelques jours, « qui ont un loyer à payer dans une autre ville et qui n’ont pas nécessairement la possibilité de dormir chez des connaissances ou de payer un autre loyer, ou l’hôtel ». Françoise Koné est la présidente de Rennes hébergement :
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Aujourd’hui, le réseau compte 120 hébergeurs et a traité plusieurs milliers de demandes depuis sa création. Alors que l’association vit en quasi-totalité des subventions qu’elle obtient de la métropole de Rennes, du Conseil régional ou encore de la Caf, ce qui la place en position de complémentarité par rapport aux politiques de logement menées sur l’agglomération. Et qui renforce son rôle d’acteur de terrain, au contact des gens et de leur réalité sociale, dont dit-elle, les politiques n’ont pas toujours conscience*, « mais que l’on peut leur faire remonter ».*
C’est en travaillant sur le terrain que l’on se rend compte de cette réalité que les politiques ne voient pas forcément, mais que l’on peut leur faire remonter.

Ainsi, solidarité associative et action locale semblent définir une sorte de modèle politique rennais que l'on retrouve à tous les niveaux. Et qui conjugue aussi une certaine pédagogie, voire une certaine éducation du peuple.
Ce qui nous amène à la rencontre de deux associations très proches dans leur philosophie : Alter Ego et la Scop Le Contre-Pied, née du démantèlement de la Scop Le Pavé, coopérative d’éducation populaire ayant pour but de « conscientiser les citoyens ».
Pour ce faire, elle propose des formations ainsi que des conférences gesticulées, où il est question de jouer des situations autour de thèmes éminemment politiques : l’éducation nationale, la culture, le travail, la protection sociale…
Ceci dans le but de rendre accessibles et compréhensibles ces débats de société qui ne sont souvent que l’apanage des politiques, de l’aveu même de Gaël Tanguy, gérant du Contre-Pied :
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Remettre le citoyen, la base, au cœur de la société en marche, c’est également ce qu’essaie de mettre en place l’association Alter Ego, qui s’appuie sur **un concept de gouvernance novateur : ** la sociocratie. Ce dernier s’appuie sur quatre principes fondamentaux – dont l’élection sans candidat – finalement assez proches de ce que l’on peut retrouver dans les formes émergentes de démocratie participative. Explications avec Yannis Camus, le fondateur d’Alter Ego :
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**Plus généralement, les travaux d’Alter Ego, tout comme ceux du Contre-Pied, visent aussi à réfléchir sur les instances démocratiques en elles-mêmes. ** Si Gaël Tanguy évoque une vision « encore très descendante » , où la politique conduit les citoyens sans toujours les consulter – « l’inverse d’une démocratie représentative » – Yannis Camus lui, considère que la démocratie ne naît pas dans le débat, « car le débat est manipulé par ceux qui maîtrisent la dialectique ». Au lieu de donner la parole à « la base de la pyramide » : au fond, la première concernée.
**« Pour prendre un exemple très actuel : il n’y aurait jamais eu de scandale Volkswagen si l’entreprise avait adopté un fonctionnement sociocratique. » ** Yannis Camus.
Des postulats finalement très proches des idéaux soutenus par ces expérimentations de politiques participatives, qui ne fleurissent pas qu'à Rennes mais aussi partout en France, et qui entendent recréer du lien entre société civile et institutions. Une réponse à cette désaffection désormais chronique de la politique et de ceux qui la font, comme le laissent penser vos réactions sur les réseaux sociaux, regroupées dans ce diaporama :
Avec** Christian Le Bart** , professeur de science politique à l'IEP de Rennes, Yannis Camus , directeur d'Alter ego, cabinet de conseil et de formation spécialisé dans le théâtre-forum institutionnel, Jérôme Homery , ancien conseiller municipal à la ville de Bruz délégué à la vie des quartiers et membre de l’association Bruz Citoyenneté, Manon Dervin , étudiante en 4ème année à Sciences Po Rennes, impliquée dans plusieurs associations et Didier Gourin , journaliste à Ouest France.
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