

Aujourd'hui dans Plan large nous recevons le réalisateur Jean-Pierre Limosin à l'occasion de la ressortie en salles de trois de ses films en version restaurée ("Faux-fuyants", "Gardien de la nuit" et "Tokyo Eyes") ainsi que le cinéaste Gaspar Noé et l'actrice Françoise Lebrun pour "Vortex".
- Françoise Lebrun
- Jean-Pierre Limosin cinéaste, réalisateur
- Gaspar Noé Réalisateur, scénariste, producteur
- Mathieu Macheret Critique de cinéma, journaliste au Monde et aux Cahiers du Cinéma
Ce sont deux cinéastes très à part, dans le paysage du cinéma français, et une actrice pas moins singulière que nous recevons dans Plan Large.
L'œil Limosin
Le premier, talentueux portraitiste d’autres cinéastes pour la mythique collection Cinéma, de notre temps : Abbas Kiarostami, Alain Cavalier, les frères Dardenne, Kiyoshi Kurosawa, et bien sûr Takeshi Kitano, son ami, dont il était venu nous parler dans Plan Large à l’automne 2018, Jean-Pierre Limosin, a signé au fil des années des longs métrages de fiction très étonnants, inclassables et invisibles depuis trop longtemps. Alors que la rétrospective de ses films à la Cinémathèque française s’achève aujourd’hui, trois d’entre eux, Faux-fuyants, Gardien de la nuit et Tokyo Eyes, sont ressortis ce mercredi en version restaurée. L'occasion pour nous de revenir avec lui sur son cinéma joueur, et ses personnages ambigus et libres : "Après Gardien de la nuit , j'ai fait un film raté, L'autre nuit, où j'ai fait tous les mauvais choix. (...) Quand j'ai tourné L'autre nuit , dès les premiers plans je me suis dit qu'il y avait une malédiction et que la chance avait disparu. Sans chance on ne peut pas tourner."
"Vortex" de Gaspar Noé
Gaspar Noé, lui, énerve et innerve nos rétines depuis plus de trente ans, et partage public comme critiques, de Carne à Climax, à force de scènes choc et de filmage exacerbé. C’est peu dire, donc, qu’il a surpris l’été dernier au Festival de Cannes quand a surgi son nouvel opus, Vortex, évocation parallèle, sous la forme de plans séquences en split-screens, de la fin de vie d’un couple âgé, chacun étant par le dispositif enfermé dans un labyrinthe sans autre issue que la mort. Un film beaucoup moins provocateur que ses précédents, mais pas moins sombre, même si la vie y pulse jusqu’au dernier souffle. Pour son réalisateur, Vortex "est un film de vie, un portrait d'un bout d'une existence familiale. Ca raconte les difficultés quotidiennes auxquelles on ne s'attend pas."
Le couple est interprété par Dario Argento, le maître du polar transalpin et de l’horreur baroque, pour son premier rôle au cinéma, où il excelle, et par Françoise Lebrun, à jamais inoubliable dans le film qui l’a révélée : La Maman et la Putain, et qui a construit depuis une magnifique carrière à l’écran comme sur scène. Cette dernière raconte qu'elle perçoit le film de Gaspar Noé comme "aussi un film d'aventure car on ne sait jamais ce qu'il va arriver."

Le Journal du cinéma : "Face à la mer" de Ely Dagher
Et puis il y a encore cet étonnant portrait de Beyrouth qu’est Face à la mer, premier long métrage du Libanais Ely Dagher. A travers le retour au pays d’une jeune femme longtemps exilée à Paris, jouée par la toujours passionnante Manal Issa, vue dans Memory Box et Nocturama, c’est en effet, à rebours de son image habituelle, grouillante de vie et de lumière, un Beyrouth vide, silencieux et gris qu’on y voit, prémonitoire de la ville dévastée par l’explosion d’août 2020, alors qu’il a été tourné avant. Face à la mer raconte la métamorphose d’une ville autant que les troubles profonds qui agitent le Liban depuis plusieurs années : "Depuis deux ans la ville de Beyrouth ressemble beaucoup plus à celle du film (...) L'été il y a les touristes, la ville change beaucoup mais une fois que l'hiver arrive c'est là que tu ressens la ville de Beyrouth dans sa vérité."

La chronique de Mathieu Macheret : "La chair et le sang" de Paul Verhoeven
Une cuisse lacérée au couteau, une main transpercée d’une flèche, une damoiselle qu’on force à tirer un coup d’arquebuse sur son promis enchaîné, avant que ne tombent du ciel des morceaux de chien pestiféré, bienvenue dans
La chair et le sang, film charnière, en 1985, dans la carrière de Paul Verhoeven, entre les films néerlandais qui ont fait sa légende et les œuvres hollywoodiennes, de Robocop à Starship Troopers en passant par Total Recall, Basic Instinct et le mal-aimé Showgirls, qui l’ont fait connaître mondialement. Un film "paradoxal et ambitieux" selon Mathieu Macheret et
pour le moins mésestimé à sa sortie, pour sa violence graphique et sa sexualité triviale, mais où on retrouve toutes les obsessions et thèmes passés et à venir de celui qu’on appelait alors le « Hollandais violent », et dont on peut dire, qu’il fait subir à l’épopée médiévale le sort qu’il avait réservé, et réservera encore, à tant d’autres genres cinématographiques… Mathieu Macheret explique par exemple que dans La chair et le sang, "le personnage féminin d'Agnès supplée le magistère masculin, à l'image de nombreuses héroïnes verhoeveniennes. Elle apprend à se défaire du mythe de la pureté féminine. Son corps devient une manière de conserver quelque chose de plus important."
La chair et le sang est édité en coffret ultra-collector DVD et Blu-ray par Carlotta Films, avec un livre signé Olivier Père, véritable monographie sur Paul Verhoeven, et François Cognard, qui avait suivi le tournage du film à l’époque pour Starfix, la seule revue qui alors avait reconnu en Verhoeven l’immense cinéaste qu’il est toujours.

Les sorties de la semaine
Les amours impossibles et tragiques entre un ouvrier lombard et une immigrée de l’intérieur, venue de Sicile, superbement interprétée par Stefania Sandrelli, dans les grises usines milanaises, c’est Un vrai crime d’amour, grand classique du cinéma italien, réalisé par Luigi Comencini, qui ressort en version restaurée.
Amours impossibles encore, pour cause de différence de caste, mais aussi lutte de la jeunesse contre la dérive fascisante du parti nationaliste au pouvoir en Inde, c’est Toute une nuit sans savoir, de la jeune cinéaste Payal Kapadia, un film à la beauté stupéfiante soutenu par France Culture.
Un Palestinien de Jérusalem confiné dans son village natal encerclé par l’armée au bord du mur de séparation, c’est Et il y eut un matin , le très kafkaïen et languide quatrième long métrage d’ Eran Kolirin .
Une adolescente calabraise qui découvre que son père appartient à la mafia locale, la ‘Ndrangheta, c’est A Chiara, troisième volet, après Mediterranea et A Ciambra, de la trilogie consacrée par Jonas Carpignano à sa terre d’adoption.
Des films qui, au tournant du siècle, ont terrifié ceux qui les ont découverts et réinventé le fantastique nippon, c’est la ressortie en salle, sous le titre générique « J-Horror : les trois visages de la peur », de trois classiques du genre, deux signés Hideo Nakata : Dark Water et Ring, et le chef-d’œuvre de Takashi Miike, Audition.
Le premier chef-d’œuvre de Jean Renoir , qui dès 1934 préfigurait le néoréalisme, c’est Toni , qui ressort en version restaurée, et chante toujours aussi bien les vertus du métissage.
Les premiers pas d’un disciple de Terrence Malick, dont il fut longtemps le fidèle collaborateur, évocation lyrique de l’enfance d’Abraham Lincoln, très très influencé par le maître, c’est Sous l’aile des anges, d’A.J. Edwards ; à noter, pour ceux qui aiment ses envolées poétiques, il y en a, que l’ Institut Lumière à Lyon consacre une rétrospective à Terrence Malick jusqu’au 28 mai.
Et puis enfin, un documentaire sur la classe de hip-hop du lycée Turgot à Paris, c’est Allons enfants, de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, qui connaîtra bientôt un remake en long métrage de fiction, avec Romain Duris.
Les recommandations de Plan Large
On fêtera fin décembre les 100 ans de Jonas Mekas, figure incontournable du cinéma underground et propagandiste inlassable du cinéma indépendant mondial, disparu il y a trois ans. Une rétrospective lui est consacrée jusqu’au 30 avril à la Cinémathèque française, et un coffret DVD monumental sortira à la fin du mois chez re:voir, avec 27 de ses journaux filmés, dont le très célèbre Walden. On vous en reparle prochainement dans Plan Large.
Jeudi prochain, à 20h au Majestic Bastille, nouvelle Séance France Culture, en avant-première. Ce sera Petite leçon d’amour, et comme de coutume, les spectateurs pourront en débattre après la projection avec sa réalisatrice, Eve Deboise.
Extraits sonores
Extrait Faux Fuyants, Jean-Pierre Limosin
Extrait Tokyo Eyes Jean-Pierre Limosin
Musique Mon amie la rose , Françoise Hardy, version d’origine de 1964
Bande annonce Vortex , Gaspar Noé
Extraits Sorties de la semaine : A Chiara , Jonas Carpignano - Allons Enfants , de Thierry Demaizière et Alban Teurlai - Et il y eut un matin , de Eran Kolirin - Sous l’aile des anges , de A. J. Edwards - Toute une nuit sans savoir , Payal Kapadia - Un vrai crime d’amour , de Luigi Comencini, 1974 - Toni , de Jean Renoir, 1935 - "Cycle J-Horror : Les trois visages de la peur" : films japonais en version restaurés : Audition , de Takashi Miike, 1h55 / Dark Water de Hideo Nakata, 1h41 / Ring , de Hideo Nakata
Bande annonce Face à la mer , Ely Dagher
Interview Ely Dagher par Marceau Vassy
Musique Hawalayya Kteer de Zaed Naes
Extrait de La chair et le sang de Paul Verhoeven
Musique de La chair et le sang par Basil Poledouris
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