Aujourd'hui dans Plan large nous recevons le cinéaste Bertrand Mandico pour son dernier long métrage "After Blue (Paradis sale)", ainsi que le réalisateur et universitaire Pascal-Alex Vincent pour nous parler des films de Kinuyo Tanaka. Ou quand le cinéma mêle résistance et désir.
- Pascal-Alex Vincent réalisateur, enseigne l'histoire du cinéma japonais à la Sorbonne Nouvelle
- Mathieu Macheret Critique de cinéma, journaliste au Monde et aux Cahiers du Cinéma
- Bertrand Mandico Cinéaste
Grand habitué de l’émission, il est venu nous parler de Twin Peaks et de Jean Vigo, et nous vous avons fait vivre le tournage dément aux Amandiers de Nanterre de son proliférant projet en cours, Conan la Barbare, Bertrand Mandico, autre grand portraitiste du féminin, nous emmène sur l’exoplanète d’ After Blue, sa nouvelle fantasmagorie baroque et pansexuelle, après l’insulaire Les Garçons sauvages, Prix France Culture Cinéma des Etudiants 2018.
Ce second long métrage est en quelque sorte l’accomplissement de la prophétie qui concluait le précédent : « L’avenir est femme, l’avenir est sorcière ». Et de fait, l’univers dans lequel nous plonge Bertrand Mandico est exclusivement féminin, ou presque. Pour autant, ça n’en fait pas un eden. On le verra avec Kinuyo Tanaka, la sororité n’est pas synonyme d’apaisement des relations sociales. Dans After Blue, le cinéaste nous livre une version assez sombre de ce que pourrait devenir l’humanité après la Terre : même sans le patriarcat, se reproduisent des logiques claniques, xénophobes, des luttes de pouvoir, de l’exclusion… Une humanité sans hommes, ce qui est l'occasion de faire jouer aux femmes des rôles sortant des sentiers battus comme l'explique le cinéaste : "Cela me donne l'opportunité d'offrir à des actrices des rôles atypiques, de leur proposer des rôles plus singuliers."
Il y a d'ailleurs, au-delà des images fantastiques et psychédéliques, un ton particulier dans les films de Bertrand Mandico, une ambiance sonore qui participe à l’effet hypnotique qu’ils peuvent avoir sur le spectateur (et pas seulement parce que ce nouveau film commence par un « Vous allez écouter ma voix » sur de très psychédéliques images spatiales). Ça tient à la fois aux nappes musicales électro dans lesquelles on baigne, et à son utilisation de la post-synchronisation, ou à son goût des langues et des accents. Bertrand Mandico réalise d'ailleurs sa bande-son après le film ce qui lui permet de faire "l'expérience d'écouter le film sans le voir."
After Blue (Paradis Sale) est en salles depuis mercredi. Un trip aussi onirique que fantasmagorique dans lequel Bertrand Mandico nous plonge avec réussite : "J'ai l'impression de caresser avec les yeux les actrices, les décors, les chevaux et d'entraîner le spectateur dans ce mouvement." Et si vous voulez découvrir ses courts métrages, ils sont visibles en ce moment sur la plateforme Mubi, et pour trois d’entre eux sur celle de Bref Cinéma, tandis que le cinéma Le Reflet Médicis (Paris) propose quant à lui une rétrospective des films du réalisateur.
Rétrospective Kinuyo Tanaka : actrice célèbre, cinéaste méconnue
Moderne avant les modernes, l’œuvre de Kinuyo Tanaka est enfin pour la première fois disponible en France en salles, en copies superbement restaurées, depuis mercredi dernier. Pascal-Alex Vincent, cinéaste et universitaire spécialiste du cinéma japonais vient nous en parler.
Immense star en son temps, Kinuyo Tanaka, reine du mélodrame et mère du cinéma japonais, a tourné dans plus de 200 films, dont certains des plus beaux d’Ozu ou Naruse, et bien sûr de Mizoguchi, dont elle fut la muse et qui lui doit ses plus grands chefs-d’œuvre, La Vie d’Oharu femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie ou L’Intendant Sansho. Et pourtant, à moins d’être particulièrement féru de cinéma nippon, on ignorait totalement, jusqu’il y a peu, qu’à l’instar d’Ida Lupino, à qui nous avions consacré un Plan Large la saison dernière, et à la même époque, dans les années 50-60, elle était elle-même passée derrière la caméra, devenant ainsi, si ce n’est la première réalisatrice du très patriarcal cinéma japonais (il y en eut deux avant-guerre), la première cinéaste à construire une œuvre, avec six films magnifiques et audacieux. Ils ont figuré le point de vue d’héroïnes aux destins brisés mais jamais sacrificielles, résistant aux violences sociale, politique ou de l’Histoire, des femmes qui s’émancipaient en même temps que celle qui les filmait, comme l'explique Pascal-Alex Vincent : "Ce qui est fascinant quand on voit la filmographie de Tanaka (qui compte plus de 200 films), c'est qu'elle n'a jamais cessé de jouer les victimes. Elle n'a jamais cessé de jouer les femmes qui finissent à terre, et ce qui est intéressant, c'est que lorsqu'elle prend la caméra, elle filme des femmes debout, qui combattent."
Son premier film, Lettre d'amour (1953), est une course effrénée dans les rues de Tokyo, à la poursuite d’un impossible amour de jeunesse dont un vétéran paumé de la Seconde Guerre Mondiale a reconnu la voix dans l’échoppe d’un écrivain public, jusqu’à pouvoir crier son nom, « Michiko ! », alors qu’elle monte dans son train de banlieue. Viendront ensuite, La Lune s’est levée (1955) sur scénario d’Ozu, puis Maternité éternelle, son plus grand film sans doute, d’une frontalité assez inouïe dans ce qu’il raconte, et montre : beaucoup plus audacieux que ce titre français qui peut faire craindre le pire, côté éloge de la femme comme mère, ce que n’est pas du tout le film !
Il y a aussi La princesse errante qui date de 1960 et qui est son premier film en couleurs, La nuit des femmes, qu'elle réalise l'année suivante et enfin son dernier film, Mademoiselle Ogin, où Tanaka investit le genre le plus prestigieux du cinéma japonais, le jidaï geki, le film en costume, que les studios ne confient généralement qu’aux cinéastes les plus aguerris, comme Mizoguchi, qui y brilla. Ce dernier, comme nous le raconte Pascal-Alex Vincent, était d'ailleurs réfractaire à la carrière de cinéaste de Tanaka : "Elle est la muse de Mizoguchi avec qui elle va tourner quinze films, mais à la surprise générale il va s'opposer à ce que sa muse passe derrière la caméra."
A découvrir donc absolument en salle, les 6 films inédits de Kinuyo Tanaka, à compléter avec la lecture du petit opuscule que écrit par Pascal-Alex Vincent édité par Carlotta Films : Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais.
Le journal du cinéma : La Clef, un cinéma en lutte
La Clef, depuis l’occupation en septembre 2019, propose une programmation d’œuvres rares, oubliées ou fragiles. Depuis le 1er février, le dernier cinéma associatif de Paris est menacé d’expulsion par une décision de justice, demandée par le propriétaire des murs, le comité d’entreprise de la Caisse d’Epargne, afin de pouvoir le vendre à un acquéreur, le groupe SOS, qui exige avant de signer que les lieux soient vidés de leurs occupants. Depuis le 1er février, donc, La Clef propose un festival permanent, qui commence tous les jours dès 6h du matin, et a reçu le soutien de nombreux cinéastes, acteurs et actrices, de Mathieu Amalric à Rebecca Zlotowski. Nous sommes allés y faire un tour mercredi, alors que le collectif accueillait des projections du prix Jean Vigo, et avons pu constater combien s’y jouait quelque chose de résolument politique, dans une pratique transversale et horizontale du cinéma, alors que la culture, une fois de plus, est totalement absente des débats électoraux. Une démarche politique comme le dit Albane Barrau, bénévole : "Pour nous la culture est hautement politique, la salle de cinéma doit être ouverte à tous (...) C'est un lieu de rencontre et c'est la rencontre qui nous manque aujourd'hui dans la culture."
La Chronique de Mathieu Macheret : Retour sur la dernière édition de la Berlinale
Avec amour et acharnement, le nouveau film de Claire Denis, coécrit avec Christine Angot, a valu un Ours d’argent de la meilleure réalisatrice à la cinéaste, dans un palmarès inhabituellement dévoilé mercredi soir, Berlinale raccourcie oblige, par le jury présidé par M. Night Shyamalan, qui a décerné le Grand Prix du Jury à la mexicano-bolivienne Natalia Lopez Gallardo, pour Robe of Gems, le prix d’interprétation, désormais « non genré », a été décerné à l’actrice germano-turque Meltem Kaptan et enfin l’Ours d’or à été attribué à la cinéaste catalane Carla Simon pour Alcarràs : "Dans cette chronique paysanne sur la pente de l'été catalan, une famille de cultivateurs récoltant des pêches découvre qu'elle va bientôt être chassée d'un verger qui ne lui appartient pas. Des enfants aux parents et aux grands-parents, se joue un attachement viscéral à la terre, pour les plus petits terrain de jeux, pour les plus grands de passions ou de litiges, un rapport qui remonte le fil des générations jusqu'à la guerre civile espagnole. La force du film est de croiser habilement les parcours dans cette ruche vibrionnante où coexistent bon nombre de personnages, sans rien sacrifier du présent dont le film restitue la sensation accrue."
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Les sorties de la semaine :
Une bande de pieds nickelés qui préparent un casse chez une vieille dame un peu trop curieuse, c’est le génial Tueurs de dames, premier film en couleur d’Alexander Mackendrick, avec Alec Guinness et le débutant Peter Sellers, en 1955, qui ressort en version restaurée. Méfiez-vous des charmantes vieilles dames anglaises, elles ne s’en laissent pas compter !
Méfiez-vous aussi des hôpitaux anglais, surtout dans le Londres de 1974 et ses blackouts inopinés, surtout aussi quand ils sont hantés, c’est The Power, premier film, horrifique, de la jeune britannique Corinna Faith.
Une cinéaste encore, l’excellente Alice Diop, que vous avez sans doute déjà beaucoup entendue sur France Culture vous parler de Nous, voyage poétique et inspiré le long du RER B, et qui par le montage fait communauté des espaces disjoints où vit cette multitude d’individus singuliers aux parcours uniques qu’on appelle les « banlieusards ».
Le pèlerinage mystique d’une mère portant sur son dos le cercueil de son enfant mort-née, dans l’espoir qu’elle soit ressuscitée le temps de la baptiser, dans le Frioul du début du XXe siècle, c’est le très bel et étrange Piccolo Corpo, premier long métrage d’une cinéaste encore, la très prometteuse Italienne Laura Samani.
Un film dont on louera moins les qualités formelles, très télévisuelles, que la pertinence politique en cette période électorale, c’est Media Crash. Qui a tué le débat public ?, de Luc Hermann et Valentine Oberti, où les équipes de Mediapart et Premières Lignes exposent la mainmise de grands patrons sur les médias, et leur interventionnisme pour le moins problématique.
Très politique encore, Un autre monde, de Stéphane Brizé, où après La Loi du marché et En guerre, Vincent Lindon endosse cette fois le costume cravate d’un directeur d’usine, histoire de montrer comment les cadres supérieurs sont autant dévorés par le système ultralibéral que les ouvriers qu’il incarnait auparavant, et le film n’y va pas de mainmorte côté avanies en cascade.
Et puis enfin, une mère d’accueil qui n’arrive pas à voir partir le petit garçon qui lui a été confié, c’est le très mélodramatique La vraie famille de Fabien Gorgeart, dont on pardonnera le filmage exténuant en plans séquences steadycamés et la musique envahissante, pour en retenir l’interprétation très habitée, Mélanie Thierry en tête.
A noter enfin, la 23e édition du très fréquentable festival Extrême Cinéma, c’est depuis hier et jusqu’au 26 février à la Cinémathèque de Toulouse. On vous recommande notamment la section Hachimiri Madness, sur les cinéastes indépendants japonais des années punk. A partir de lundi, sur Canal +, c’est la saison 2 de la toujours réjouissante série OVNI(S), dont nous avions reçu toute l’équipe dans Plan Large il y a un an et quelques. Et puis toute la semaine prochaine, sur France Culture, dans " A voix nue", ce sont les frères Larrieu qui se raconteront, ou comment ces guetteurs d’apparitions cinématographiques ont su toujours garder leur regard d’amateurs (et de pyrénéistes) dans le très professionnel milieu du cinéma français.
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