

Longtemps ignorée dans l’Histoire du cinéma, la cinéaste Ida Lupino est l’autrice d’un cinéma novateur, où se dessine un certain héroïsme du quotidien, et une "morale de l’amour". Plan large sur une pionnière, qui a su affirmer la place centrale du réalisateur au cœur d'un cinéma indépendant.
- Sophie-Catherine Gallet Collaboratrice à France Culture, critique de cinéma à Revus et corrigés, cinéaste
- Yola Le Caïnec Enseignante en cinéma
- Aurel Dessinateur de presse et auteur de bande dessinée
C’est une icône du féminisme. Son nom ressurgit régulièrement quand il s’agit de compter sur les doigts de la main d’un estropié les rares femmes qui ont su gagner leur place derrière la caméra dans le premier siècle du cinéma. Et pourtant, les films d’Ida Lupino ont été peu, ou mal vus. Il faut dire qu’elle a longtemps été ignorée des histoires du cinéma, surtout aux Etats-Unis. Ou alors c’était pour dire que la star aux grands yeux sombres et à la voix grave, qui excellait dans les rôles vénéneux d’amantes, de rebelles et parfois de folles, la Femme dangereuse de Raoul Walsh, ou à la cigarette chez Jean Negulesco, la femme de Bogart dans La Grande Evasion et de Jack Palance dans Le Grand Couteau, la femme aveugle de La Maison dans l’ombre de Nicholas Ray, qui se qualifiait elle-même avec ironie de "Bette Davis du pauvre", avait par ailleurs signé, comme réalisatrice, mais aussi scénariste et productrice, des petits films intéressants.

Une "morale de l'amour"
Or ces films, et en particulier les 6 qu’elle a conçus en à peine 4 ans avec sa propre société de production The Filmmakers, de 1949 à 1953, sont magnifiques, et font d’elle une immense cinéaste, à l’égal de ses contemporains, Samuel Fuller et Robert Aldrich, qui ont su comme elle allier économie de série B et innovations formelles et narratives pour affirmer, face au système des studios et à rebours de ses codes, la place centrale du réalisateur au cœur d’un cinéma indépendant et audacieux. "Ses films marquent une date dans l’histoire du cinéma américain", a dit d’elle Martin Scorsese, admirateur de la première heure. Pierre Rissient, le critique qui le premier l’a fait découvrir en France louait "sa franchise et sa limpidité de style pratiquement mizoguchienne, cette spontanéité dans le geste de mise en scène qui signale les grands cinéastes." Eh bien ces films, on peut enfin les voir, à la faveur de la réédition en copies neuves et en salles de cinq d’entre eux depuis le 30 septembre, une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse, au Cinématographe de Nantes et Festival de la Rochelle.
Mais qu'est-ce qui a amené cette star de la Warner, héritière d'une lignée de comédiens anglais d'origine italienne, attirée en Amérique par la Paramount qui voulait faire d'elle une nouvelle Jean Harlow, à se tourner vers la production, l'écriture et la réalisation ? Pour nous en parler aujourd’hui dans Plan Large, nous recevons la grande spécialiste de son œuvre, Yola Le Caïnec, qui enseigne le cinéma à Rennes, avec à ses côtés, la critique de cinéma Sophie-Catherine Gallet.
Ida Lupino appelle ses personnages des "bewildered", des désemparés. La ligne narrative des films d’Ida Lupino est totalement décrite par ce terme, mais cela ne veut pas dire qu’ils vont se conduire à l’autodestruction, ils sont inscrits dans une logique de survie permanente et le destin semble les accabler. La présence des institutions est très importante dans son cinéma, elle était rooseveltienne, elle défendait que la société pouvait prendre en charge ces êtres désemparés. J’aime beaucoup une expression de Jacques Siclier sur Ida Lupino, il dit qu’il y a chez elle "une morale de l’amour", qui va permettre aux personnages et aux spectateur.rice.s d’accompagner leur existence d’une logique de survie positive. Ida Lupino recherche la complexité au sein de ses personnages, elle dit "J’aime les personnages forts". D’ailleurs elle-même a incarné des personnages forts. Ils sont forts parce qu’ils sont complexes, car ce sont des personnages qui composent toutes les facettes de l’humanité, hommes et femmes compris et qui, une fois qu’ils ont compris ce qui définit la condition humaine, peuvent appréhender le monde entier et lui apporter leur amour.
Yola Le Caïnec
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Le journal du cinéma
Plan Large inaugure un partenariat avec la plateforme MUBI, le très cinéphile service de vidéo à la demande par abonnement, où vous pouvez trouver aussi bien du cinéma de patrimoine que des perles de festivals et d’excellents films contemporains, et qui propose un film nouveau par jour. Nous nous sommes plongés dans ce riche catalogue, et avons choisi ce mois-ci le nouveau et très beau film de Jonathan Glazer, Strasbourg 1518, tourné pendant le confinement, et quatre films de Kenji Mizoguchi, à voir avant ou après avoir réécouté le Plan Large qui lui a été consacré en janvier 2020. Vous avez un mois pour les découvrir, gratuitement, sur la page France Culture de MUBI !
Rencontre avec le dessinateur Aurel, connu entre autres pour son travail au Canard Enchaîné et au Monde, pour son premier film, Josep, une biographie en dessin animé de Josep Bartoli, un dessinateur, lui aussi, militant républicain espagnol réfugié en France en 1939 après la chute de Barcelone, qui fut comme des milliers de ses compatriotes parqués dans des camps de concentration, en indésirables qu’ils étaient, et en laissa un témoignage graphique saisissant. Le film d’Aurel est à la fois l’évocation de sombres heures de notre histoire, mais aussi le récit de la rencontre entre deux univers graphiques, celui de Josep Bartoli et d’Aurel, deux dessinateurs de presse, à l’heure où le procès des attentats de 2015 rappelle qu’encore aujourd’hui, on peut mourir pour un dessin.
Sade et le cinéma, une expérience de la transgression
En fin d'émission, la chronique de Sophie-Catherine Gallet sur un essai fondamental et passionnant, signé par l’universitaire italien Alberto Brodesco intitulé Sade et le cinéma – Regard, corps, violence, paru aux éditions Rouge Profond, dans une traduction de Vanessa Hélain, convoquant, outre Pasolini, Luis Buñuel, Peter Brook, Jess Franco, Jan Švankmajer et quelques autres encore, pour réfléchir, entre autres, aux relations entre images et violence, et qui pose une question fondamentale : d'où nous vient ce désir, réfréné ou assumé, de porter notre regard sur l'innommable, que le cinéma, plus que tout autre art, serait à même de révéler ?
A voir : une rétrospective est consacrée à Luis Buñuel, à la Cinémathèque française à Paris, du 30 septembre au 1er novembre.

Extraits et musiques de films
- Avant de t'aimer (Not Wanted), d'Ida Lupino (1949)
- Faire face (Never Fear), d'Ida Lupino (1949)
- Outrage, d'Ida Lupino (1950)
- Le voyage de la peur (The Hitch-Hiker), d'Ida Lupino (1953)
- La Femme aux cigarettes, chantée par Ida Lupino, dans le film Road House, de Jean Negulesco (1948)
- Montage des sorties du mercredi 30 septembre : Kajillionnaire, de Miranda July ; A cœur battant, de Keren Ben Rafel ; La Femme qui s'est enfuie, de Hong Sang-Soo ; Un pays qui se tient sage, de David Dufresne ; Billie de James Erskine.
- Josep, d'Aurel (en salles le 30 septembre)
- Salo ou les 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini (1975)
- L'âge d'or, de Luis Buñuel (1930) : Les chutes inédites du film L'âge d'or, de Luis Buñuel sont visibles gratuitement sur la plateforme en ligne Henri, proposé par la Cinémathèque française.
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