Jeunesse des images, avec André Bonzel et Jonas Trueba

"Qui à part nous" de Jonas Trueba
"Qui à part nous" de Jonas Trueba - Crédit Arizona Distribution
"Qui à part nous" de Jonas Trueba - Crédit Arizona Distribution
"Qui à part nous" de Jonas Trueba - Crédit Arizona Distribution
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Aujourd'hui dans Plan large nous recevons les cinéastes André Bonzel pour son film "Et j'aime la fureur" et Jonás Trueba pour son son documentaire "Qui à part nous". Ou quand le cinéma fige le temps et les instants.

Avec
  • Jonas Trueba Réalisateur
  • Sophie-Catherine Gallet Collaboratrice à France Culture, critique de cinéma à Revus et corrigés, cinéaste

Magie des images de cinéma, qui sont éternellement jeunes pour qui les voit et les vit dans l’espace-temps de la projection. Magie du cinéma encore, qui conserve à jamais les êtres filmés, surtout quand on les a aimés, et permet au spectateur d’y projeter sa propre histoire.

"Et j'aime la fureur", d'André Bonzel

C’est ainsi qu’André Bonzel, dont on n’avait plus de nouvelles depuis qu’il y a tout juste trente ans, il avait avec ses comparses Rémy Belvaux et Benoît Poelvoorde lancé sur la Croisette la grenade dégoupillée qu’était C’est arrivé près de chez vous, revient avec Et j'aime la fureur, un film magnifique et bouleversant, constitué d’images de films amateurs qu’il glane depuis l’enfance, mêlées aux siennes propres, pour livrer un récit autobiographique, intimiste et familial, en même temps qu’une réflexion passionnante et stimulante sur notre rapport aux images mouvantes : "La particularité de ces films amateurs c'est que c'est vraiment du cinéma, ils ont quelque chose à nous apprendre (...) Le cinéma ce n'est que du temps et de l'espace."

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Et à force de travailler ces images, et d’en déceler les récurrences, un constat troublant est fait par André Bonzel durant le film  : quelle que soit l’époque, les mêmes motifs se répètent, des rondes par exemple, une longue chaîne invisible, qui raconte finalement toujours la même histoire, et qui explique notamment pourquoi les images de la vie des autres lui a permis de raconter sa propre histoire : "Peut-être que tout se mélange un peu et c'est le thème du film. Si j'avais des images filmées de mon enfance, est-ce que mes souvenirs correspondraient à ces images ? On se réinvente notre passé à partir de notre présent."

"Et j'aime à la fureur" d'André Bonzel
"Et j'aime à la fureur" d'André Bonzel
- Crédit L'Atelier Distribution

"Qui à part nous", de Jonás Trueba

L’Espagnol Jonás Trueba, lui, quand il y a deux ans l’insolite et solaire Eva en août l’a révélé, filmait déjà depuis presque cinq ans une bande d’adolescents madrilènes. Pas tout à fait documentaire, pas tout à fait fiction, d’une totale liberté, ne serait-ce que par sa durée de 3h40, dont deux entractes de 5 mn, mais qu’on ne voit pas passer, le film qui en résulte, Qui à part nous, dresse le portrait sensible et pudique d’une génération qui réinvente l’amitié comme l’amour, la politique et, là encore, le rapport aux images, avant de se heurter au mur des confinements sanitaires et de l’isolement forcé qui en découle : "J'aimais l'idée que le film se déploie sous les yeux des spectateurs, que les personnages grandissent, que les spectateurs soient partie prenante de cette vie qui se déploie."

A noter que le Festival de La Rochelle, du 1er au 10 juillet prochain, projettera l’intégralité des films de l’Espagnol, dont la plupart inédits en France. Il sera bien sûr présent, une rencontre avec le public aura même lieu, animée par Marcos Uzal, le rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma.

"Qui à part nous" de Jonas Trueba
"Qui à part nous" de Jonas Trueba
- Crédit Arizona Distribution

Le journal du cinéma : "Murina" de Antoneta Alamat Kusijanovic

Et puis il y a encore ce film envoutant, Murina, qui a fait sensation au dernier Festival de Cannes, dont il est reparti avec la Caméra d’Or. Premier film, aux airs de tragédie antique, de la Croate Antoneta Alamat Kusijanovic, parrainée par Martin Scorsese qui l’a coproduit, c’est le portrait très sensoriel d’une adolescente, Julija, adepte de la pêche en apnée, qui tente par tous les moyens d’échapper aussi bien à son île qu’à l’oppressante figure de son père, incarnation du patriarcat de la société croate insulaire. Le tout dans un décor aride, cerné par les eaux d’une mer qui, au-delà de la métaphore, est un véritable personnage, autant qu’un terrain de jeu cinématographique et proprement immersif : "Dans la mer et sous l’eau on est contraint, on ne peut pas respirer, on ne peut pas parler, les mouvements sont différents, la communication est limitée, le temps est ralenti et c’est comme une forme de subconscient pour Julija parce que c’est seulement sous l’eau qu’elle peut faire face à la fois à ses désirs et à sa violence."

"Murina" de Antoneta Alamat Kusijanović
"Murina" de Antoneta Alamat Kusijanović
- Crcédit KBMO Films

La chronique de Sophie-Catherine Gallet : "L’Ascension" de Larissa Chepitko

Un partisan soviétique prisonniers des Allemands qui fantasme une évasion impossible, dans un décor neigeux superbement filmé en noir et blanc, c’est L’Ascension, dernier film de Larissa Chepitko, immense cinéaste ukrainienne, même si à l’époque on ne la connaissait que soviétique. Un de ces nombreux films à la gloire des martyrs de la Grande Guerre Patriotique, en apparence, mais qui va bien au-delà du patriotisme de commande pour prendre des dimensions dostoïevskiennes et métaphysiques, pour ne pas dire mystiques. Un film qui a suffisamment frappé en son temps pour recevoir l’Ours d’Or à la Berlinale de 1977, mais qu’on regarde encore différemment aujourd’hui, évidemment, au vu des crimes de guerre qui se commettent sur le territoire-même où il a été tourné : "Ici ni fracas, ni musique galvanisante, mais le silence glacial qui prime. La musique n'est présente que pour souligner quelques moments tragiques" explique Sophie-Catherine Gallet avant de conclure : "Dans un film qui s'éloigne de toute effusion guerrière, Chepitko propose un film qui résonne encore aujourd'hui comme une merveilleuse anomalie."

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L’Ascension , de Larissa Chepitko, est édité en DVD et Blu-ray, en version restaurée, par Potemkine Films . Avec dans les bonus, notamment, le beau portrait qu’a fait d’elle son mari Elem Klimov , futur réalisateur de Requiem pour un massacre .

Hommage à Jacques Perrin (1941-2022)

Jacques Perrin, le Maxence des Demoiselles de Rochefort qui cherchait son idéal féminin, nous a quittés jeudi, à 80 ans. Bien qu'il ne se reconnaissait ni dans le marin aux cheveux de paille ni dans le prince à pourpoint rouge ou blanc de Peau d’âne, et c’est pourtant par la grâce de Jacques Demy que des générations de spectatrices (et de spectateurs !) sont tombés amoureux de lui. Que retenir de Jacques Perrin ? Le jeune premier des films italiens de Valerio Zurlini, La Fille à la valise et Journal intime ? Le compagnon de route des tournages à la rude de Pierre Schoendoerffer, de La 317e section à L’Honneur d’un capitaine en passant par Le Crabe-Tambour ? Ou le producteur avisé, du Z de Costa-Gavras aux Choristes de son neveu Christophe Barratier ? Ou encore l’ordonnateur des films animaliers à grand spectacle ?

Jacques Perrin recevant le César du meilleur producteur en 1996 pour son film "Microcosmos"
Jacques Perrin recevant le César du meilleur producteur en 1996 pour son film "Microcosmos"
© AFP - Crédit MICHEL GANGNE / AFP
Projection privée
1h 00

Les sorties de la semaine

- Un drôle de film inactuel, premier long de deux jeunes cinéastes, Marguerite de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois, mais qui s’inscrit résolument dans les pas de celui qui fut longtemps le patriarche du cinéma portugais, Manoel de Oliveira, c’est L’Enfant, d’après un roman de Kleist
- Un peu plus au nord, un documentaire qui retrace, avec ses acteurs, le processus qui a mis fin, de manière pacifique, à la lutte armée de l’ETA de part et d’autre des Pyrénées, c’est L’hypothèse démocratique : une histoire basque , de Thomas Lacoste.
- Un jeune homme partagé entre Paris et Lyon, l’Algérie et la France, qui se rêve artiste et se trouvera en amoureux, c’est Le Monde après nous, beau premier film tourné façon commando par Louda Ben Salah-Cazanas.
- Un été en Corse, c’est le très beau I Comete , de Pascal Tagnati , dont le réalisateur et comédien était venu nous parler dans Plan Large au Festival de Belfort, fin novembre dernier, à ne pas rater.
- Une autobiographie en dessin animé, c’est My Favorite War , qui aurait pu s’appeler tout simplement Ma guerre préférée, puisque le film est letton, et raconte, dans un graphisme étonnant et volontairement dérangeant, une enfance dans le pays balte alors annexé à l’URSS – un film, qui évidemment résonne étrangement ces temps-ci.
- Un édile policier aux méthodes peu orthodoxe pour lutter contre la mafia et son emprise sur l’Italie des années de plomb, c’est Confession d’un commissaire de police au procureur de la République , classique du genre signé Damiano Damiani , qui est ressorti en salles en version restaurée.
- Une star de cinéma assez peu orthodoxe elle aussi, c’est Nicolas Cage , dans son propre rôle, ou presque, plus cabotin et fêlé que jamais, c’est Un talent en or massif , de Tom Gormican , un rien bâclé, mais les fans seront ravis.
- Et puis enfin, suite de la ressortie en version restaurée des films de Jacques Doillon , c’est Le petit criminel , accompagné en salles par Amoureuse et La vengeance d’une femme.

Plan large
59 min

Les recommandations de Plan Large

Depuis mercredi, et jusqu’au 8 mai, les mondes animés de Michel Ocelot, Kirikou, Princes et Princesses, Azur et Asmar et autres Dilili à Paris sont à voir sur grand écran à l’auditorium du Louvre.

Et puis mardi, aura lieu au Cinéma Le Balzac, toujours à Paris, à 19h, à l’initiative une soirée de soutien à l’Ukraine, avec la projection de deux documentaires retraçant les vies bousculées de jeunes Ukrainiens, et ce, bien avant l’invasion du pays : Home Games, d’Alisa Kovalenko, et The Distant Barking of Dogs, de Simon Lereng Wilmont. L’intégralité des fonds récoltés pour cette séance au prix exceptionnel de 15 euros, sera reversée à la Croix-Rouge française et au collectif ICFR, coalition internationale pour les cinéastes en danger.

Extraits sonores

Extrait Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy
Extrait Et j'aime la fureur, d'André Bonzel 
Extrait Qui à part nous, de Jonas Trueba
Extrait Murina, d'Antoneta Alamat Kusijanovic
Interview d'Antoneta Alamat Kusijanovic par Marceau Vassy
Extrait de L'ascension, de Larissa Chepitko
Musique "Quien lo impide" de Rafael Berrio
Musique de Philippe Sarde pour *Le petit criminel
Musique "Cigani Ljubljat" de Šukar
Musique de Alfred Schnittke pour L'ascension

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