Plan Large sur l'œuvre de Renato Berta, l'homme aux 120 films. Rencontre avec un maître de la prise de vue, pour qui "le cinéma, c’est composer avec le réel".
- Raphaël Clairefond Critique de cinéma, rédacteur en chef de la revue So Film
- Renato Berta
"Je crois que le cinéma naît à partir du moment où on ne peut exprimer une chose qu’à travers des images en mouvement, et donc à travers cette technique qui consiste à enregistrer ce qu’il se passe à l’intérieur d’un cadre pendant une certaine durée en travaillant sur le temps et l’espace. Ce travail sur le temps et l’espace, c’est ce qui, à mes yeux, fait qu’il y a des plans et donc du cinéma dans un film." Cette tentative, très pertinente à nos yeux, de définir ce qui fait cinéma, et l’importance qu’elle donne au plan, ne pouvait que nous donner envie, à Plan Large, de rencontrer son auteur, Renato Berta.
Renato Berta, l'homme aux 120 films
Son nom apparaît, sous le beau nom de "image", parce qu’il n’aime les termes ni de "directeur de la photographie", ni de "chef opérateur", dans le générique de plus de 120 films, dont bon nombre ont marqué 50 ans d’Histoire du cinéma. Il aime ce qui interroge, et il met en scène ses recherches et ses doutes, plus que ses certitudes, et ses rencontres avec tous ces films et cinéastes qui "ont fait bouger [son] regard, et parfois même [sa] vie" dans un passionnant livre de mémoires, Photogrammes, issu de conversations avec le scénariste et réalisateur Jean-Marie Charuau, et paru chez Grasset. Renato Berta est notre invité aujourd’hui dans Plan Large.
Dans les années 1970, fraîchement diplômé du Centro Sperimentale di Cinematografia, l’Ecole de cinéma de Rome, Renato Berta a accompagné, à l’image, ceux qui étaient en train d'inventer le cinéma suisse : Alain Tanner, Michel Soutter, Francis Reusser, Daniel Schmid. C’était un territoire vierge, et tout était à inventer…
J'ai eu une chance énorme de tomber au bon moment, au bon endroit. Toute ma vie de cinéma, de collaborateur a été faite et organisée par des rencontres. J'ai rencontré Alain Tanner en 1968, juste quand il cherchait un opérateur pour tourner Charles mort ou vif et hop, on a tourné ce film qui aura un succès considérable. Puis derrière on tourne La Salamandre, qui aura un succès encore plus important… J'ai commencé très jeune, à 25 ans, et on faisait des films avec les moyens qu'on avait. Ce qui me paraissait très important, c'est qu'on ne se posait absolument pas la question d'avoir plus de moyens. On tournait en 16 mm, je me suis acheté une caméra parce qu'on n'en trouvait pas en location, et c'étaient des tournages que je définis comme très cohérents. Je n'avais pas l'impression de subir, au contraire, on avait l'argent qu'on avait et on trouvait une cohérence propre au film, chose qu'il faut trouver indépendamment de l'argent qu'on a, et cela nous donnait une liberté de création absolument phénoménale.
Renato Berta
Un rapport au cinéma très concret
Au fil de sa carrière, Renato Berta a travaillé avec des cinéastes pragmatiques, pas des discoureurs sur leurs intentions, comme Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, pour ne citer qu'eux, qui avaient beaucoup de respect pour l'œuvre de Michelangelo Antonioni et Luchino Visconti. En 1975, il ne filme que deux plans pour le film Moïse et Aaron, le 2e acte de l’opéra de Schoenberg tourné dans le désert, tournés en pirate avec une petite caméra 16 mm, car le couple voulait absolument filmer en Egypte, mais il était alors compliqué de s’y déplacer avec une grosse caméra 35 mm. Ces deux réalisateurs vont l'amener à se poser des questions nouvelles sur son métier…
Aujourd'hui avec un iPhone, on appuie sur un bouton et hop on filme. On ne se pose pas de questions sur l'espace et le temps. Et ça pour moi, c'est le non-cinéma par excellence. Dans le cas des Straub, c'est exactement le contraire : ils contrôlent l'espace et le temps d'une façon absolument radicale et très sérieuse. Jean-Marie s'occupait plus du cadre et Danièle plus du son, et c'est vrai que quand on cadrait avec Jean-Marie, on passait des heures à faire un cadre, mais c'était passionnant parce qu'on s'interrogeait et à l'intérieur de ce système, il y avait la liberté. Renato Berta
Dans sa longue liste de collaborations, on peut citer les grands noms de la Nouvelle Vague : Eric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard (avec chacun des 4, il ne fait qu'un seul film), Alain Resnais… et puis il y a surtout sa rencontre avec Louis Malle, un réalisateur qu'il a beaucoup respecté, à tel point qu'il a cru à un canular quand on lui a proposé de travailler avec lui pour le tournage de Au revoir les enfants (1987). Ils se verront à nouveau en 1989 pour le très solaire Milou en mai ; Renato Berta est impressionné par l'intelligence du cinéma de Louis Malle, qui ne se limite pas au seul moment de la prise de vues_. _
Je m'interroge beaucoup sur le rapport strictement professionnel au cinéma, quand on veut des choses précises comme quand on construit un bâtiment. Je pense que c'est quelque chose de plus profond et important, toute l'organisation visuelle du film dont je suis un des responsables. Si un dialogue est installé, c'est beaucoup plus facile. Pour Louis Malle le scénario était quelque chose de relativement évolutif et il corrigeait souvent des choses dedans. Et puis si je ne suis pas un tout petit peu ami avec le metteur en scène, je me sens un peu étranger, je dois partager des moments qui sortent du cadre professionnel. Renato Berta
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La chronique de Raphaël Clairefond
En fin d'émission, Raphaël Clairefond, le rédacteur en chef de notre partenaire Sofilm, qui en fin d’émission nous dit tout du placement de produit au cinéma, et dans les séries, à l’ère de la post-production numérique et de l’intelligence artificielle.
Le journal des sorties du mercredi 27 octobre
Le parcours d’émancipation de jeunes filles espagnoles dans un collège catholique d’une Saragosse du début des années 1990 encore très marquée par le franquisme, c’est Las Niñas, premier long-métrage de Pilar Palomero, sous forte influence du Cria Cuervos de Carlos Saura.
Le retour de Nicolas Cage en ermite hirsute des forêts de l’Oregon (comme dans le First Cow de Kelly Reichardt, dont elle nous parlait dans Plan Large), et qui se vengera du vol de sa truie truffière à coup de duels culinaires, c’est l’étonnant Pig, de Michael Sarnosko !
Les interrogations morales et métaphysiques dans une petite ville allemande d’un Turc religieux qui a répudié sa femme par erreur, c’est Oray, de Mehmet Akif Büyükatalay.
Et puis deux films repartis bredouille de la compétition du dernier festival de Cannes : The French Dispatch de Wes Anderson, les fans du Texan installé à Paris y voient l’acmé de sa conception du cinéma comme marquèterie de motifs et de récits, les sceptiques l’impasse d’une démarche qui privilégie la direction artistique, certes magnifique, mais totalitaire, au détriment de l’émotion. On vous laisse juge !
Le second propose une vision, en surrégime permanent que ce soit dans le filmage affolé ou dans le jeu très énervé des actrices et acteurs, de la fracture sociale dans la France des Gilets Jaunes et de l’hôpital public en crise, c’est La Fracture, de Catherine Corsini ( invitée de la Grande Table le 25 octobre).
Enfin, le chef-d’œuvre absolu de Maurice Pialat, Van Gogh, ressort en salle dans sa magnifique version restaurée ; nous en avions parlé dans Plan Large avec son preneur de son, Jean-Pierre Duret, et une autre fois avec Jérôme Momcilovic , l'auteur de Maurice Pialat, la main, les yeux, paru aux éditions Capricci.
Extraits et musiques de films
- La Salamandre, de Alain Tanner (1971), disponible en DVD et Blu-Ray aux éditions Tamasa
- Moïse et Aaron, de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1975), disponible à la Cinétek et en DVD dans le coffret Huillet et Straub, Volume 1
- Milou en mai, de Louis Malle (1989), disponible sur Canal VOD, La Cinetek, Arte Boutique, en DVD et Blu-Ray
- Smoking/No Smoking, de Alain Resnais (1993), disponible en VOD sur La Cinetek et en DVD Blu-Ray
- Kippour, Amos Gitaï (1999), disponible en DVD
- Il buco, de Michelangelo Frammartino 2021, Prix spécial du jury à la Mostra de Venise, sortie prévue le 9 février 2022 en France.
- E.T. l'extra-terrestre, de Steven Spielberg (1982), disponible sur Universciné, La Cinétek et en DVD Blu-Ray.
- No Time to Die, de Cary Joji Fukunaga (2020), chanson du générique du début par Billie Eilish, film disponible en DVD Blu-Ray
- Musique du générique de la série Stranger Things, par Kyle Dixon et Michael Stein
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