

Ils ont tous les deux fait le bonheur des spectateurs du dernier Festival de Cannes. L'un s'est inspiré de la ligne claire d'Adrian Tomine pour "Les Olympiades", et le second a gagné le Grand Prix avec "Compartiment n°6". Rencontre avec Jacques Audiard et Juho Kuosmanen.
- Irmeli Debarle Spécialiste du cinéma finlandais et interprète
- Juho Kuosmanen Cinéaste finlandais
- Jacques Audiard Réalisateur de cinéma
- Charlotte Garson Rédactrice en chef adjointe des Cahiers du cinéma
- Xavier Beauvois Comédien et réalisateur
Nos deux invités ont en commun de filmer en milieu contraint, des chambres ou un compartiment de train, la difficulté de communiquer et la possibilité, in fine, d’une rencontre amoureuse, dans des fictions à la fois ultra contemporaines et paradoxalement intemporelles. Jacques Audiard et Juho Kuosmanen sont nos invités aujourd’hui dans Plan Large.
Fragments (dés)espoirs amoureux
Avec son 9ème long métrage, Les Olympiades, Jacques Audiard fait un pas de côté dans sa filmographie, qui était jusqu’ici très préoccupée de sombre masculinité et de fatalité de la violence. Pour cette raison peut-être, il est reparti bredouille de la Croisette. Il ne s’en est pas formalisé : il a déjà un prix du scénario, un grand prix du jury, une Palme d’or et plus de 10 César sur ses étagères.
Pour ce nouveau film, Jacques Audiard s'est inspiré de trois nouvelles graphiques d’Adrian Tomine : Amber Sweet, Tuer et mourir et Escapade hawaïenne, toutes disponibles dans le recueil Les Intrus, paru aux éditions Cornelius. Comédie romantique et conte moral quasi rohmériens, Les Olympiades peut être regardé comme une relecture inversée de Ma Nuit chez Maud de Eric Rohmer (qu’en est-il aujourd’hui du discours amoureux, à l’heure des applis de rencontre et du sexe virtuel ?), servie par un excellent casting multiethnique, et très féminin, pour incarner de jeunes adultes, le tout filmé dans le quartier éponyme du 13ème arrondissement de Paris, sur une bande son signée du compositeur Rone.
Le désir vient par des formes qui s'imposent à vous et qui vont tout à coup capter des récits et des histoires, comme la bande dessinée d'Adrian Tomine. Tout à coup, j'ai rencontré une œuvre que j'ai trouvée très profonde, avec un sens du récit à travers toutes ses ellipses très attrayantes, c'est comme si j'avais déjà un story-board avant le film. Le noir et blanc, c'était aborder Paris, qui d'une certaine façon me lasse et m'ennuie, avec ce schéma haussmannien, muséal, touristique … J'ai beaucoup tourné dans Paris et elle est dure à enregistrer cette ville. Je voulais donner une autre dimension, montrer Paris depuis les tours comme si on se situait dans une autre métropole. Le noir et blanc donnait ce côté très graphique.
Jacques Audiard
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Le voyage intérieur de Juho Kuosmanen
En deuxième partie, le cinéaste finlandais Juho Kuosmanen, découvert à Cannes il y a 5 ans avec le très nostalgique Olli Mäki, sur les amours d’un boxeur dans la Finlande des années 1960, est revenu cette année de Cannes avec un Grand Prix du Jury pour son très beau Compartiment n° 6. Dans ce film, embarque à bord du train Moscou-Mourmansk, dans le compartiment n° 6 précisément, une jeune Finlandaise, qu’un amour déçu pousse à entreprendre le trajet jusqu’à la Mer Arctique à la recherche de pétroglyphes, et surtout d’elle-même. Dans ce train brinquebalant, qui fleure encore le soviétisme (on est manifestement, sans que ce ne soit jamais précisé, au début des années 1990), elle rencontre un mineur russe, bourru et vulgaire. Un road-movie ferroviaire en forme de voyage existentiel quasi rossellinien.
Voyager dans un train, c'est très différent d'une voiture où c'est comme un road movie. Dans un road movie, ça parle de liberté, on est libre de faire ce qu'on veut alors que dans mon film, il est question de liberté mais très différemment, car on est obligé d'admettre d'aller là où le train nous mène. La liberté, c'est qu'à la fin, on y trouve l'acceptation de soi. C'est un voyage pour répondre à la question : "Qui suis-je ?".
Juho Kuosmanen

Quand Xavier Beauvois filme la sidération
Albatros, le nouveau film de Xavier Beauvois, s’est fait longtemps attendre après sa sélection en compétition à la Berlinale virtuelle de 2021. Filmé près de chez lui, à Etretat, il commence comme une formidable chronique de la vie d’une gendarmerie, entre les suicidaires qu’on essaye d’empêcher de sauter de la falaise, les agressions sexuelles, le déminage d’obus du Débarquement ou les agriculteurs en crise. L’occasion pour l’auteur du Petit Lieutenant de filmer ce que la violence d’Etat peut faire à ceux qui en sont dépositaires, jusqu’à la sidération. Rencontre avec Xavier Beauvois. (Le journal de tournage du film Un monde hors champ – Derrière la caméra de Xavier Beauvois, signé Dominique Thiéry, avec des illustrations de Catel Muller, est publié aux éditions de la Table Ronde)
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La chronique de Charlotte Garson
On revient sans cesse à Pialat, à Plan Large comme ailleurs. La dernière fois, c’était en fin de saison dernière, avec le critique Jérôme Momcilovic. Il mettait la dernière main à un livre, enfin sorti, sous le beau nom de Maurice Pialat, la main, les yeux. Pourquoi ce titre ? Parce que "les films de Pialat rappellent que le cinéma n’est qu’en second lieu le travail de l’œil : c’est d’abord un travail manuel", écrit Momcilovic, qui considère que Pialat, "c’est Renoir sans la ruse ni la bonhommie, avec une main de peintre maniaque".

En salles cette semaine
Les amours contrariées d’un rocker héroïnomane et d’une prostituée à la voix d’or dans les rues de Casablanca, quelque part entre le Sailor et Lula de David Lynch et le western spaghetti revu par Quentin Tarantino, avec une bande-son détonante, c’est Burning Casablanca_,_ premier film du Marocain Ismaël El Iraki, en 35 mm et CinémaScope.
Une défense du cinéma via l’évocation de l’incendie du cinéma Rex, en 1978 en Iran, qui fit 478 morts et est considéré aujourd’hui comme l’élément déclencheur de la révolution iranienne, c’est Careless Crime, de Shahram Mokri, qui y pousse encore plus loin les fascinantes complexités narratives qui l’ont fait connaître dans ses précédents films, Fish and Cat et Invasion.
La dissolution d’une cinéaste estampillée indépendante dans l’industrie du blockbuster en série, c’est Les Eternels, de Chloé Zhao, ou quand l’autrice de l’oscarisé Nomadland met son sens du grand paysage américain au service des super-héros numériques à la sauce Marvel.
Des enfants monstrueux et meurtriers, incarnation physique de désordres mentaux, c’est le très perturbant Chromosome 3, qui ressort en salles en copie neuve, un film de 1979 que David Cronenberg a toujours présenté comme son seul film autobiographique, et sa version très personnelle, et horrifique, de Kramer contre Kramer.
Les Français vus par eux-mêmes, des années 1920 aux années 1960, c’est la série La vie filmée, diffusée dans les années 1970 à la télévision par FR3, un grand feuilleton collectif constitué de films de famille dont se sont emparés de grands réalisateurs comme Claude Ventura, Jean Douchet et autres, et dont le commentaire était assuré aussi bien par Henri Amouroux que par George Perec et Agnès Varda. La série est visible jusqu’au 19 novembre à la BPI du Centre Pompidou, avant d’être diffusée sur MADELEN, la plateforme streaming de l’INA.
Et enfin, The Strange Affair of Uncle Harry, un film noir de Robert Siodmak de 1945, étrangement resté totalement inédit en France, malgré la présence de George Sanders au générique, en vieux garçon en butte à la jalousie incestueuse de ses sœurs, dans une petite ville du New Hampshire, à découvrir !
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