Sur les chemins de liberté d’Abbas Kiarostami

"Où est la maison de mon ami ?", de Abbas Kiarostami réalisé en 1987 et découvert en France en 1990
"Où est la maison de mon ami ?", de Abbas Kiarostami réalisé en 1987 et découvert en France en 1990 - Kanoon - Abbas Kiarostami
"Où est la maison de mon ami ?", de Abbas Kiarostami réalisé en 1987 et découvert en France en 1990 - Kanoon - Abbas Kiarostami
"Où est la maison de mon ami ?", de Abbas Kiarostami réalisé en 1987 et découvert en France en 1990 - Kanoon - Abbas Kiarostami
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Abbas Kiarostami est un cinéaste audacieux, joueur, et profondément libre. Plan large sur un poète mystique, au cœur de l'exposition événement au Centre Pompidou à Paris, avec Massoumeh Lahidji, Agnès Devictor et Jean-Michel Frodon.

Avec
  • N.T. Binh Journaliste, critique, enseignant de cinéma (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
  • Jean-Michel Frodon Historien et critique de cinéma
  • Charlène Favier Cinéaste
  • Agnès Devictor Maîtresse de conférences en Histoire et civilisations, spécialiste du cinéma iranien
  • Massoumeh Lahidji Interprète, commissaire, ancienne collaboratrice de Abbas Kiarostami

Vous avez été nombreux, à la première heure du mercredi 19 mai, à retrouver les chemins des salles de cinéma. Cette réouverture inespérée est aussi l’occasion de se plonger enfin (l’événement était attendu depuis un an !) dans l’œuvre inépuisable d’un des plus grands cinéastes des 50 dernières années : l’Iranien Abbas Kiarostami, Palme d’or au Festival de Cannes en 1997 avec Le Goût de la cerise, celui grâce auquel on a découvert ce grand pays de cinéma qu’est l’Iran, auquel il a ouvert la porte des salles françaises avec son magnifique Où est la maison de mon ami ? en 1990. Le cinéaste avait alors déjà plus de 20 ans et autant de films derrière lui, réalisés en partie pour le Kanoon, l'Institut pour le développement intellectuel de la jeunesse en Iran, des films matriciels pour la suite de son œuvre, restés jusqu’à aujourd’hui presque totalement inédits. Des sorties en salles de copies somptueusement restaurées, des éditions DVD, et surtout, une rétrospective intégrale au Centre Pompidou à Paris réparent enfin cet oubli.

L’œuvre d'Abbas Kiarostami est "ouverte" car il aimait que chaque spectateur s'approprie ses propres films et en les revoyant se racontent d'autres histoires. Cette liberté est désagréable et problématique dans des pays autoritaires car elle donne cette liberté qui n'est pas forcément accessible ailleurs, que ce soit dans ce type de régime ou dans des régimes d'images où l'on est habitué à des films qui nous privent de liberté, qui nous enferment. C'est en cela que les films de Kiarostami sont politiques et qu'il respecte ses spectateurs. Il redonne de la liberté et de la responsabilité dans notre regard et j'invite les spectateurs et spectatrices à revoir ses films, car vous ne verrez jamais le même.              
Agnès Devictor  

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Kiarostami, l'audace et la malice d'un poète mystique

Cette rétrospective intégrale s'accompagne d'une vaste exposition "Où est l'ami Kiarostami ?" , où on découvre que le cinéaste qui chérissait avant tout la liberté de ses spectateurs, invités à compléter et transformer ses films, celui dont Martin Scorsese dit qu’il "représente le niveau le plus élevé de l’art dans le cinéma", était aussi, et dans le même élan, graphiste, photographe, plasticien, et poète. C’est à la visite de cette exposition que nous vous invitons dans Plan Large, guidés par sa co-commissaire et proche collaboratrice du cinéaste, Massoumeh Lahidji, et deux grands intimes de son œuvre, Agnès Devictor et Jean-Michel Frodon, qui viennent de publier l’indispensable Abbas Kiarostami, l’œuvre ouverte aux éditions Gallimard. 

On entre alors dans l'exposition par des photos de portes fermées, qui nous incitent à trouver et percer le mystère Kiarostami, chercher son sens de l'ingénuité, de la surprise, et de la générosité. On plonge dans l'univers d'un Abbas Kiarostami polyartiste, dans un jeu du visible et du non-visible. 

Abbas Kiarostami est un artiste accessible à tout le monde et en même temps, il y a ces jeux multiples, de ce qui est apparent et caché, de ce qui est devant et dans la profondeur. Cette exposition a le grand mérite de mettre en résonance son cinéma et ses autres pratiques artistiques comme la photographie, la vidéo, la poésie, et de voir que toutes les dimensions de sa pratique étaient cohérentes entre elles. (…) Le grand mot de sa pratique, c'est le mouvement. C'est déplacer et enclencher d'autres manières de voir et de ressentir grâce à des propositions sensorielles, visuelles, auditives, et aussi des propositions de récits, des petites histoires qui sont là pour nous déplacer et nous mettre en mouvement. (…) Dans son cinéma qui prend en charge des enjeux riches, complexes, de natures variées, il y a toujours cette recherche de la synthèse expressive la plus directe.                            
Jean-Michel Frodon

Image du film "Cas n°1, Cas n°2", de Abbas Kiarostami réalisé pour l'Institut Kanoon en 1979
Image du film "Cas n°1, Cas n°2", de Abbas Kiarostami réalisé pour l'Institut Kanoon en 1979
- Abbas Kiarostami - Kanoon

Jouer avec les clichés

Derrière les grandes portes qui ouvrent l'exposition, on découvre une voiture, emblématique de l’œuvre de Kiarostami, qui symbole sa liberté de créer, et réunit à elle toute seule des questions majeures de mise en scène. 

Nous avons voulu jouer à la manière de Kiarostami avec les clichés. Lui-même disait toujours qu'il ne faut pas mépriser les clichés, car ils ont une vérité cachée en eux. Le cliché de la voiture est le premier qui vient à l'esprit, et sur lequel Kiarostami était, à sa grande exaspération, toujours interrogé. Il a souvent cherché des significations sur ce lieu qui est à la fois un huis-clos et ouvert sur le monde, à la fois un plan fixe et en mouvement. Cela permettait à la fois de s'attarder sur des visages et de donner à voir des paysages, ce qui rendait la communication obligatoire mais le silence toléré dans un lieu qui ne permet pas de s'échapper. C'était pour lui un lieu de mise en scène idéal. Mais c'est aussi en réalité le plus grand "ami" de Kiarostami : il a toujours dit que ses véhicules successifs ont été ses fidèles compagnons, ses chevaux adorés. C'est la voiture qui lui a permit de quitter la ville et de pouvoir faire du cinéma quand les pressions de la société se faisaient trop difficile pour lui.                      
Massoumeh Lahidji 

Diaporama de l'exposition "Où est l'ami Kiarostami ?" visible au Centre Pompidou jusqu'au 26 juillet 2021 à Paris
Diaporama de l'exposition "Où est l'ami Kiarostami ?" visible au Centre Pompidou jusqu'au 26 juillet 2021 à Paris
- Viviana Andriani - Pascaline Bonnet

Autour de Abbas Kiarostami

La rétrospective intégrale est à voir au Centre Pompidou à partir du 19 mai, et en salles à partir du 2 juin.

Publications : Abbas Kiarostami, l’œuvre ouverte, de Agnès Devictor et Jean-Michel Frodon (Gallimard) ; Un cinéma de questions, conversations avec Abbas Kiarostami, de Godfrey Cheshire aux éditions Carlotta et Kiarostami, de Youssef Ishaghpour aux éditions Verdier, en version poche.

Une grande partie des films d'Abbas Kiarostami sont disponibles en DVD aux éditions Potemkine, à l'instar du coffret DVD de 18 de ses films de jeunesse : Les années Kanoon ; 24 Frames, en coffret collector DVD, Blu-Ray et livret ; La Trilogie du Koker en coffret DVD et Blu-Ray ; Le goût de la cerise en combo DVD/Blu-ray ; ou encore Le vent nous emportera en combo DVD/Blu-ray.  

Ses recueils de poésie, Saadi ivre d'amour ; Des milliers d'arbres solitaires ; Havres sont édités aux éditions érès

Toute une vie
58 min

Le journal du cinéma 

Dans les quelque 35 films qui s’offrent à vous dans les salles cette semaine, il y a : 

Une très grosse mouche, qui fait le bonheur des Dumb and Dumber que jouent Grégoire Ludig et David Marsais, le duo du Palmashow, dans ce très réussi éloge de l’idiotie qu’est le Mandibules de Quentin Dupieux

Une actrice qui fait son retour au cinéma après une si longue absence, Emmanuelle Béart, dans le premier film d’un jeune réalisateur, Ludovic Bergery, L’Etreinte, une histoire de deuil et de retour à la vie. 

Un premier film encore, mais d’un acteur bien connu, Viggo Mortensen, ou comment cohabiter avec un monstre de père, dont la sénilité ne fait qu’aggraver une ancienne tendance au politiquement incorrect, quand on est californien et gay tout ce qu’il y a de propre sur soi, c’est le touchant et sans doute très autobiographique Falling.

Un retour en salle, à double titre, puisqu’il était ressorti en copie restaurée la veille de la fermeture pour 201 jours des grands écrans, c’est A bout de souffle, de Jean-Luc Godard, qu’on ne présente plus, même si on ne sait toujours pas ce que ça veut dire, "dégueulasse".

Et notre chouchou de la semaine, c’est On-Gaku : notre rock, de Kenji Iwaisawa, que le Japonais a mis 7 ans à réaliser, tout seul. Un film d’animation laconique et au burlesque minimaliste dans la lignée d’un Takeshi Kitano, autour d’un trio de lycéens marginaux qui réinventent le punk en s’improvisant musiciens sans savoir jouer du moindre instrument. C’est étonnant, et envoutant quand tout d’un coup la musique s’empare du film. A ne pas rater !

Rencontre avec Charlène Favier 

Et puis il y a Slalom, de Charlène Favier, une histoire très contemporaine d’emprise dans le milieu sportif, en l’occurrence le ski de compétition. Fruit de 7 ans de travail, ce premier long-métrage arrive comme la suite du très remarqué court-métrage de Charlène Favier, Odol Gorri, déjà avec Noée Abita, dans lequel elle questionnait déjà la zone grise du consentement et de sa mise en scène, et qui fut donc pour elle un laboratoire d’idées. 

"Slalom", de Charlène Favier, avec Noée Abita en salles depuis le 19 mai
"Slalom", de Charlène Favier, avec Noée Abita en salles depuis le 19 mai
- Mille et Une Productions

La chronique de N.T. Binh

En fin d'émission, la chronique de N.T. Binh sur la sortie en DVD et Blu-Ray du film De Sang-froid, de Richard Brooks, adapté en 1967 du roman signé Truman Capote, qui paraît en DVD, Blu-Ray et livret chez Wild Side. De sang-froid, un choc littéraire qui donnera naissance à un genre, le "true crime". Un an plus tard, en 1967, un cinéaste auréolé du succès de La Chatte sur un toit brûlant et Elmer Gantry le charlatan, Richard Brooks pour ne pas le nommer, s’en empare à nouveau, avec des choix esthétiques radicaux qui donnent quelques sueurs froides à ses producteurs à la Columbia.

Image du film "De sang-froid", de Richard Brooks, réalisé en 1967, et disponible en coffret DVD aux éditions Wild Side
Image du film "De sang-froid", de Richard Brooks, réalisé en 1967, et disponible en coffret DVD aux éditions Wild Side
- 1967 renewed 1995 Pax Enterprise - Wild Side

Extraits de films 

  • Herbie Mann, Comin’ Home Baby, musique utilisée dans le premier film d'Abbas Kiarostami, Le pain et la rue en 1970
  • Montage des sorties de la semaine du 19 mai 2021 : Mandibules de Quentin Dupieux ; L’étreinte de Ludovic Bergery ; On-Gaku: notre rock de Kenji Iwaisawa ; Falling de Viggo Mortensen ; A bout de souffle de Jean-Luc Godard en version restaurée. 
  • Extrait de Slalom, de Charlène Favier en salles le 19 mai 
  • Extraits De sang-froid, de Richard Brooks, disponible en coffret DVD - Blu-Ray et livret aux éditions Wild Side 

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