Survivre dans le 7ème Art avec Frédéric Sojcher

Frédéric Sojcher au centre de la photo, entouré de son équipe de tournage pour le film "Fumeurs de charme", réalisé en 1985 avec Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale
Frédéric Sojcher au centre de la photo, entouré de son équipe de tournage pour le film "Fumeurs de charme", réalisé en 1985 avec Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale - Olivier Hennebert
Frédéric Sojcher au centre de la photo, entouré de son équipe de tournage pour le film "Fumeurs de charme", réalisé en 1985 avec Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale - Olivier Hennebert
Frédéric Sojcher au centre de la photo, entouré de son équipe de tournage pour le film "Fumeurs de charme", réalisé en 1985 avec Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale - Olivier Hennebert
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Rencontre avec Frédéric Sojcher, cinéaste affranchi, qui retrace son parcours singulier, et les dérives du système cinématographique belge, qui n'est pas s'en rappeler celui de son cousin français… Plan large sur un véritable franc-tireur du cinéma.

Avec

"Si le cinéma change notre vision du monde, il faut changer la manière de faire des films pour que le monde change. […] Il faut casser la machine à broyer. Au-delà du cinéma, il y a aussiun enjeu de société." Ces mots sont signés Frédéric Sojcher, cinéaste belge auteur depuis plus de 35 ans de joyeuses et frugales hybridations entre documentaire et fiction, et très sérieux professeur de cinéma à la Sorbonne, où il dirige le Master professionnel en scénario, réalisation et production, auteur à ce titre d’une vingtaine d’ouvrage sur le 7e art, dont Une histoire du cinéma belge qui a fait date en interrogeant, déjà, l’influence de leur financement sur le type de films produits. Sa dizaine de courts et ses quatre longs métrages ont été sélectionnés dans les plus grands festivals, salués souvent par la critique, mais il est tricard dans son propre pays, un champion du nombre de refus d’aide (pas moins de 15 en 10 ans !) par la Commission de sélection des films, la main armée, incontournable pour monter financièrement un film, du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel, l’équivalent wallon du CNC français. 

Je pense qu'il y a une forme de marketing, de communication autour du cinéma, alors que pour moi ce n'est pas ça. Le cinéma ce sont les films d'abord, puis vient la critique. Je fais dans mon livre un hommage aux critiques. C'est essentiel d'avoir ce regard critique sur les films. Les Magritte c'est pas du tout critique, c'est comme les César ou les Oscars, sauf que la Belgique c'est 4,5 millions de francophones, et donc c'est un tout petit milieu, c'est un tout petit milieu. Et je trouve que c'est ridicule dans ce côté festif et que donc, ça crée un effet de déphasage entre le côté paillettes et ce qui fait le cinéma et qui est ailleurs. (…) Je pense que le monde du cinéma belge est beaucoup moins sympathique aujourd'hui qu'auparavant, et que la compétition est beaucoup plus rude. Mais il ne faut pas uniquement condamner le cinéma belge. Quand on regarde les données du CNC en France, c'est le pays au monde où il y a le plus de premiers longs métrages. Mais 20 ans après, seulement 10% des cinéastes ont pu continuer à faire des films. On ne laisse pas le temps aux réalisateurs de laisser leur marque, comme ça a été le cas pour les frères Dardenne à leurs débuts.        
Frédéric Sojcher 

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Le cinéaste belge Jean-Jacques Rousseau (cagoulé) et Frédéric Sojcher, sur le tournage du film "Cinéastes à tout prix", réalisé en 2004
Le cinéaste belge Jean-Jacques Rousseau (cagoulé) et Frédéric Sojcher, sur le tournage du film "Cinéastes à tout prix", réalisé en 2004
- Frédéric Remouchamps

Ce franc-tireur qui ne respecte rien, pas même les icônes les plus sacrées de son cinéma national, ce cracheur dans la soupe récidiviste jette en mode kamikaze un pavé dans le marigot de ce qu’il dénonce comme l’entre-soi d’un système de financement absurde et profondément vicié avec son nouveau livre, Je veux faire du cinéma – petit manuel de survie dans le 7e art (Genèse éditions), genre singulier d’autobiographie pamphlétaire qui provoque un certain émoi, depuis sa sortie il y a une semaine, dans le très petit milieu du cinéma belge francophone. " Le cinéma belge est-il truqué ?", s’interroge ainsi l’hebdomadaire Le Vif. " Le cinéma belge n’est pas truqué mais perfectible", nuance La Libre Belgique. Frédéric Sojcher est dans Plan Large pour évoquer son parcours singulier et emblématique, et les dérives du cinéma wallon, une histoire belge qui sans doute résonne à bien des égards avec ce qui se passe sous nos latitudes…

Benoît Poelvoorde dans le film "Cinéastes à tout prix", de Frédéric Sojcher en 2004
Benoît Poelvoorde dans le film "Cinéastes à tout prix", de Frédéric Sojcher en 2004
- Frédéric Sojcher

Un besoin impérieux de faire du cinéma 

Dès sa plus tendre enfance, Frédéric Sojcher a été happé par le "besoin impérieux de se sentir un démiurge", de devenir cinéaste, au moment où il s'est dit "le cinéma, c’est ma vie, je ne laisserai personne me la prendre". Il réalise son premier court-métrage à l'âge de 14 ans, avant de faire la rencontre décisive avec le cinéaste Jean Rouch pendant son doctorat à l'Université, et de passer enfin au long métrage. 

Déjà très jeune, grâce à ma grand-mère qui m'emmenait tous les mercredi aux doubles séances du cinéma de quartier, où passaient les grands classiques du cinéma américain, à l'âge de 6-7 ans, j'avais vu tous les John Ford. Je suis devenu cinéphile malgré moi. Et quelques années plus tard, j'ai eu la chance d'être figurant sur un film de Bertrand Blier, dans "Préparez vos mouchoirs", avec excusez-moi du peu, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu et Carole Laure … J'ai vu Bertrand Blier à l'œuvre, diriger ses acteurs et je me suis dit c'est ce métier là que je voulais faire.              
Frédéric Sojcher 

Deux portraits de Frédéric Sojcher sur les tournages de ses films à l'âge de 18 ans
Deux portraits de Frédéric Sojcher sur les tournages de ses films à l'âge de 18 ans
- Frédéric Remouchamps

"Regarde-moi", chronique d'un tournage désastreux

Réalisé en 2009, le court-métrage Climax raconte avec humour le drame que Frédéric Sojcher a vécu pendant le tournage de son premier long métrage, Regarde-moi, réalisé en 2000, dont l'acteur principal avait proprement tenter de l'évincer. Cette histoire, il l'a racontée dans son livre Main basse sur le film, pour lequel Bertrand Tavernier avait écrit une préface : "Ce que vous allez lire n’est pas le récit d’un tournage, c’est l’histoire d’un hold-up, d’un casse. Il ne s’agit pas d’une attaque de banque, du vol d’un diamant ou d’un raid contre des convoyeurs de fond mais de la mainmise, du rapt sur un film, sur le sujet d’un film et sur sa mise en scène."

Patrick Chesnais accepte un rôle de composition, d'un acteur bankable alors qu'il n'est pas du tout comme ça dans la vraie vie. Tous les cinéastes et acteurs ont à un certain moment rencontré des conflits et des rapports de forces, et parfois des prises de pouvoir qui ne sont pas bonnes pour le film. Il prenait beaucoup de plaisir à composer ce qu'il a lui-même pu constater sur certains films. Sur mon premier long-métrage, ça a été très loin, le livre raconte le combat que j'ai mené pour rester réalisateur, c'est une histoire totalement folle. Il s'est réalisé en deux parties. J'ai du réécrire la deuxième partie, avec l'accord du scénariste, Jean-Luc Goossens, puisque l'acteur principal ne voulait plus tourner avec moi dans le film, il avait essayé de prendre ma place. On a dû changer l'équipe, et une partie des acteurs. J'ai essayé de comprendre, en faisant ce journal de bord (" Main basse sur le film"), ce qui ne s'était pas bien passé. Une de mes grandes fautes, c'est de ne pas avoir compris ce qu'il se passait sur le tournage.              
Frédéric Sojcher 

Claire Nebout, dans le premier long-métrage de Frédéric Sojcher "Regarde-moi", dont la réalisation a connu de nombreuses péripéties
Claire Nebout, dans le premier long-métrage de Frédéric Sojcher "Regarde-moi", dont la réalisation a connu de nombreuses péripéties
- Frédéric Remouchamps

Le cinéma, une profession de foi 

Si on n'a pas d’ego, on ne fait pas de films. Même quand tout se passe bien, il y a des mois et des années entre le moment où on a l'idée et le moment où on la met en œuvre. Et ensuite il y a la réception du film qui est très dure à vivre. A tout moment, il y a des épreuves. Dès le financement par exemple. Les cinéastes ne sont pas masochistes mais en même temps, c'est une course d'obstacles même quand tout se passe bien, et pour avoir cette énergie collective, il faut une forme d’ego positif. Sinon, on est Mère Teresa. (…) Tout cinéaste est amené à faire des compromis. Il faut, comme au judo, renverser la prise pour que ce qui est négatif devienne positif, pour que la contrainte devienne source de création. Par contre il ne faut jamais tomber dans la compromission, et il ne faut jamais perdre de vue la nécessité qu'on a eue au départ pour faire un film, et cette notion est essentielle pour un cinéaste.            
Frédéric Sojcher 

Backstage
1h 00

La chronique de Mathieu Macheret

En fin d'émission, la chronique de Mathieu Macheret sur The Addiction, d'Abel Ferrara, édité pour la première fois en DVD et Blu-ray aux éditions Carlotta. Encore auréolé en 1995 du scandale à succès du très culte Bad Lieutenant, Abel Ferrara s'aventure dans le film de genre avec The Addiction, étrange et fascinant film sur le vampirisme comme métaphore de la dépendance aux narcotiques, tout à la fois réflexion parfois cryptique sur l’origine du mal au XXe siècle, images de la Shoah et de la guerre du Vietnam à la clef, et chemin métaphysique de rédemption par la damnation. Soit "un mariage acrobatique entre film de vampire et essai conceptuel", selon Mathieu Macheret.

"The Addiction", de Abel Ferrara (1995) disponible pour la première fois en DVD et Blu-Ray aux éditions Carlotta (mars 2021)
"The Addiction", de Abel Ferrara (1995) disponible pour la première fois en DVD et Blu-Ray aux éditions Carlotta (mars 2021)
- 1995 OCTOBER FILMS - Tous droits réservés

Les recommandations de Plan Large 

Les livres Je veux faire du cinéma – petit manuel de survie dans le 7e art et la réédition de Main Basse sur le film, de Frédéric Sojcher sont publiés chez Genèse éditions. 

Rappel pour le Prix France Culture Cinéma des étudiants, vous avez jusqu'au lundi 19 avril pour postuler en envoyant une critique du film de votre choix, dans le format que vous voulez : écrit, audio ou vidéo. La belle sélection de films a été dévoilée, découvrez-la ! 👇

Extraits et musiques de films

  • Je veux être actrice, de Frédéric Sojcher (2016), disponible en DVD
  • Climax, de Frédéric Sojcher (2009)
  • Cinéastes à tout prix, de Frédéric Sojcher (2004), disponible en DVD 
  • C'est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde (1992)
  • Les Estivants, de Valeria Bruni-Tedeschi (2018)
  • Hitler à Hollywood, de Frédéric Sojcher (2010), disponible en DVD
  • Extrait de la bande originale du film Le grand blond avec une chaussure noire, de Yves Robert, composée par Vladimir Cosma (1972)
  • The Addiction, de Abel Ferrara (1995), disponible en DVD et Blu-Ray aux éditions Carlotta
  • I Wanna Get High, de Cypress Hill dans la bande originale du film The Addiction, de Abel Ferrara (1995)

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