

Aujourd'hui dans Plan Large nous recevons les cinéastes Dyana Gaye et Valérie Osouf, programmatrices de Tigritudes, le cycle cinématographique panafricain.
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore », déclarait en 1962 le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka. Autrement dit : à l’heure des indépendances africaines, assez d’atermoiements, agissons ! Et c’est ce qu’ont fait, sur tout le continent, et au-delà, des cinéastes africains et membres de la diaspora, qui ont dû, et su, inventer un nouveau cinéma en même temps que se créaient leurs jeunes nations. En témoigne une passionnante anthologie de 126 films qui nous invite à un voyage tout à fait stupéfiant dans 65 ans d’aventures cinématographiques et de circulation des formes d’un territoire à l’autre, depuis la première indépendance africaine, celle du Soudan le 1er janvier 1956, jusqu’à nos jours. Cette anthologie s’appelle donc Tigritudes, on peut la voir actuellement au Forum des Images à Paris jusqu’au 27 février. Les deux programmatrices et cinéastes Dyana Gaye et Valérie Osouf sont nos invitées aujourd’hui dans Plan Large.
Tigritudes, un festival qui montre une Afrique en dialogue constant avec le reste du monde
A l'image du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, qui a l'habitude de tourner sur différents territoires, l'esprit de la programmation du festival Tigritudes tend à montrer l'intense circulation des idées et des enjeux entre l'Afrique et les autres continents.
Il nous importait de montrer, à travers la programmation, une Afrique ouverte sur le monde, en dialogue avec le reste du monde. C'est vraiment l'idée du titre, Tigritudes, on affirme qu'il y a des circulations, on montre des films comme "L'Etranger venu d'Afrique" de Joseph Kumbela, cinéaste congolais qui a tourné son film en Chine ou encore les films de Manu Kurewa, cinéaste du Zimbabwe qui a tourné en Ecosse (...) il faut rappeler que cette histoire africaine, à travers ces cinémas, est en train de s'écrire et elle n'est pas du tout repliée sur elle-même ou en opposition et n'essaie pas de se démarquer du reste de l'Occident. Dyana Gaye
L'anthologie Tigritudes permet également de découvrir des films d'essai d'une radicalité exceptionnelle, tel que le film de Lemohang Jeremiah Mosese, "Mother I'm suffocating. This is my last film about you". Ce cinéaste lesothien a réalisé son film depuis Berlin et raconte son propre exil avec l'aide d'une voix féminine.
J'avais vu une version inachevée du montage-images via Final Cut, qui se déroule en même temps que La Mostra de Venise. J'avais été absolument saisie par la poésie de ce geste. Ce film est vraiment une lamentation, c'est le deuil d'une mère, d'une terre-mère, d'une Afrique, un arrachement salvateur. Il y a toute la beauté et la violence qui sont conjuguées... Lemohang Jeremiah Mosese a fait ce film quasiment tout seul, il écrit, il est poète, il dessine, il fait de la photo. C'est un artiste comme il y avait des hommes honnêtes à l'époque de Montaigne, c'est un artiste assez complet et très impressionnant. Valérie Osouf

La chronique de Charlotte Garson : (re)voir le jubilatoire Mr Ruggles
Ce comte anglais qui apprend d’une pianiste et chanteuse de bar l’art de placer son « boum » au bon moment, c’est l’ancien maître du majordome Ruggles, Marmaduke de son petit nom, qu’il est venu tenter de récupérer dans la petite ville de Red Gap, en plein Far West, après l’avoir perdu au poker à Paris face à des millionnaires américains. C'est L’Extravagant Mr. Ruggles, premier chef d’œuvre de Leo McCarey en 1935, avec Charles Laughton dans le rôle-titre. Un étrange, et extrêmement drôle, mélange de satire de la rustrerie américaine et d’éloge de la démocratie dans sa définition lincolnienne.
Les sorties de la semaine
Un documentaire étonnant sur Val Kilmer, acteur phare des années 80, 90 et 2000, avant qu’un cancer de la gorge ne le prive de sa voix, nourri des propres archives du comédien, qu’on ne savait pas à ce point filmeur compulsif, c’est l’étonnant Val de Leo Scott et Ting Poo, visible sur toutes les plateformes de VOD.
Un documentaire élégiaque sur un cinéaste qui ne l’était pas moins, c’est Michael Cimino, un mirage américain de Jean-Baptiste Thoret, qui sort sur grand écran après le passage de sa version courte sur Arte, où le spécialiste du Nouvel Hollywood revient sur les lieux de ses tournages, et notamment la ville minière de Voyage au bout de l’enfer, à la recherche d’une Amérique qui n’a finalement sans doute existé qu’au cinéma, et notamment dans les films de John Ford.
3 jours dans la vie de Diana Spencer, alias Lady Diana, c’est Spencer, le nouveau film du Chilien Pablo Larrain, visible sur Amazon, un étrange train fantôme horrifique, évocation d’une femme poussée à la psychose qui évoque beaucoup le cinéma d’Alfred Hitchcock, de Rebecca à Psychose justement, en passant par Soupçons, avec une Kirsten Stewart entre mimétisme et yeux révulsés, c’est assez bizarre, sur de très belles images signées de la directrice de la photo Claire Mathon.
Une évocation de l’immigration mexicaine aux Etats-Unis vue par le regard de deux enfants cloitrés dans un appartement sordide et qui rêvent de Disneyland, c’est le très touchant Los Lobos, du cinéaste mexicain Samuel Kishi Leopo.
Un mentaliste arnaqueur dans l’Amérique des années 40, c’est Nightmare Alley, première incursion d’un autre Mexicain, Guillermo Del Toro, dans le film noir, très beau visuellement mais vite lassant à force de systématisme dans la mise en scène et de prévisibilité du récit, qui jamais ne déraille des voies de son train fantôme paradoxalement dénué de l’imagination débridée qui faisait jusqu’alors sa marque.
Baraque foraine toujours, c’est Le mari de la femme à barbe, chef d’œuvre longtemps invisible de Marco Ferreri, jusqu’à sa restauration en 2017, qui ressort en salles en attendant la rétrospective à la Cinémathèque française, qui démarre mercredi, et son édition en DVD le 28 janvier avec 3 autres Ferreri, Dillinger est mort, La petit voiture et Le lit conjugal, ce sera chez Tamasa.
Il y a encore ce film choral et étonnant, tourné en un unique plan séquence, et qui décrit le calvaire d’un grand chef au bout du rouleau, lors d’un dîner dans son restaurant, c’est The Chef, de l’Anglais Philip Barantini.
Et puis, un film très émouvant formellement, malgré de réelles faiblesses dans sa partie contemporaine, c’est Memory Box, des Libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, prolongement en fiction de leur travail plastique sur la mémoire perdue des années de guerre civile au Liban, à partir des propres archives écrites et photographiques des cinéastes.
Enfin, une information qui a fait l’effet d’une bombe dans le milieu de la cinéphilie. C’était jusqu’à présent le continent englouti de la modernité cinématographique, une véritable Atlantide : l’œuvre de Jean Eustache était quasiment invisible, ou alors sur de très mauvaises copies dénichées dans les recoins d’Internet ou des programmations de cinémathèque, le tout pour des raisons de rétention de droits par son fils, Boris Eustache. Celui-ci vient enfin de confier aux Films du Losange la restauration, l’édition et la distribution des films de l’auteur de La Maman et la putain. On les verra d’abord en festival, puis en salle, en Blu-ray et DVD et à la télévision.
Pour revenir encore un peu sur le cinéma africain, se tiendra du 8 au 12 février au Bénin le Festival International des Films de Femmes de Cotonou, 2e édition, après celle de 2019 consacrée aux violences faites aux femmes. Cette année, ce seront les femmes rurales africaines qui seront à l’honneur. Nous avons rencontré sa créatrice et directrice, la jeune cinéaste et militante féministe béninoise Cornélia Glèlè.
C'est très important pour moi de faire un festival de films exclusivement féminin parce que le gap de réalisation entre les hommes et les femmes est énorme. Je me rappelle d'une statistique que l'UNESCO avait sortie en 2018 qui disait que sur cent films réalisés, dans le monde, seulement vingt sont fait par des femmes. Et quand vous allez dans des festivals, que ce soit en Afrique ou ailleurs, il y a une sélection officielle qui est dévoilée, c'est souvent une ou deux femmes qui sont dans la compétition pour dix-huit ou vingt hommes. Je suis pour la discrimination positive, donc c'est en montrant des films faits par des femmes, en les poussant à réaliser des films, que nous aurons plus d'égalité à ce niveau. Cornélia Glèlè
Extraits de films
- De quelques événements sans signification, de Mostafa Derkaoui (1974), disponible sur Tënk
- Mortu Nega, de Flora Gomes (1988)
- Heremakono (En attendant le bonheur), d'Abderrahmane Sissako (2002), disponible en DVD et Blu-Ray
- Mother I’m suffocating. This is my last film about you, de Lemohang Jeremiah Mosese (2018)
- Bab Sebta, de Randa Maroufi (2019)
- Four Women, de Julie Dash (1974)
- Un transport en commun, de Dyana Gaye (2010)
- L’Extravagant Mr. Ruggles - Ruggles of Red Gap, de Leo McCarey 1935
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