"Boire", un poème de Gabriela Mistral

Soif
Soif ©AFP - Archives du 7eme Art
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Gabriela Mistral est née en 1889 au nord du Chili. Ses poèmes se font l’écho de ses amours brisées, de ses enfantements impossibles et vibrent de la force tellurique du continent sud-américain. En 1945, elle est le premier auteur latino-américain à recevoir le prix Nobel de littérature.

Avec

Poème : "Boire", de Gabriela Mistral, extrait du recueil D'amour et de désolation, traduit de l’espagnol par Claude Couffon (ELA/La Différence 1988). 

Lecture par Danièle Lebrun, de la Comédie-Française

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Je me souviens des gestes
et c’était pour me donner de l’eau.
Dans la vallée du Rio Blanco,
où prend naissance l’Aconcagua, je vins boire,
je bondis boire dans le fouet d’une cascade,
qui tombait chevelue et dure et se rompait rigide et blanche.
Je collai ma bouche aux remous, et cette eau sainte me brûlait,
trois jours durant ma bouche saigna de cette gorgée d’Aconcagua.

Dans les terres de Mitla, un jour
de cigales, de soleil, de marche,
me penchai sur un puits, un indien
vint me soutenir dessus l’eau, et mon visage, comme un fruit,
était dans le creux de ses paumes.
Et je buvais ce qu’il buvait,
c’était sa face avec ma face,
et dans un éclair je sus que
la chair de Mitla était ma race. 

Dans l’île de Porto-Rico,
lors de la sieste emplie de bleu,
mon corps paisible, les vagues folles,
et comme cent mères les palmes,
une fillette, par jeu, rompit
près de ma bouche un coco d’eau,
et moi je bus, comme une enfant,
cette eau de mère, cette eau de palme.
Tant de douceur jamais n’ai bue
ni de mon corps ni de mon âme. 

À la maison de mes enfances
ma mère m’apportait de l’eau.
Entre gorgée et autre gorgée
je la voyais dessus la jarre.
Plus la tête se relevait
et plus la jarre s’abaissait.
Cette vallée, je l’ai toujours,
et j’ai ma soif et son regard.
Ce serait là l’éternité qu’encore
nous sommes comme nous étions.

Je me souviens des gestes
et c’étaient gestes pour me donner de l’eau.

Très jeune, elle enseigne, traverse le continent et publie ses premiers recueils dès les années 1910. Elle est l’un des premiers auteurs latino-américains à puiser dans l’héritage indien. Sa vision de la douleur humaine reste liée au christianisme, mais elle déploie un sens du cosmos qui n’a rien d’européen. Dans les années 20 et 30, poétesse reconnue et traduite, elle séjourne aux Etats-Unis et en Europe. En 1945, elle est le premier auteur latino-américain à recevoir le prix Nobel de littérature.

Poèmes choisis par Philippe Garnier

Prise de son, montage : Claude Niort, Pierre Henry

Réalisation : Anne-Pascale Desvignes

Poème du jour avec la Comédie-Française
1 min

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