Alors que les gouvernements des pays européens luttent par tous les moyens contre le coronavirus, d'autres voient, derrière la pandémie, une opportunité d'assoir leur pouvoir. C'est le thème de la chronique internationale de Christine Ockrent.
Le coronavirus fait partout ses ravages, et nous comprenons peu à peu qu’il nous faut apprendre à vivre avec lui pour longtemps. Dans nos pays, le décompte macabre des victimes est devenu quotidien, le combat tourne à l’obsession et on ne s’intéresse pas assez à ceux qui, ailleurs, y trouvent avantage.
Il ne s’agit pas seulement des arnaques qui foisonnent sur internet, proposant dans un anglais bâtard masques, gel et chloroquine dans les meilleurs délais. Dans plusieurs pays, les régimes autoritaires voient au travers de la pandémie une excellente opportunité pour resserrer leur étreinte tant leurs populations sont fragilisées, tant l’attention médiatique internationale est monopolisée par le virus.
Mettre à profit la peur
Commençons par le très malin Kim Jong-un. Grâce à l’irrésistible sympathie qu’éprouvait pour lui Donald Trump, le jeune président de la Corée du Nord avait réussi à rouler le président des États-Unis dans la farine de riz sans céder un pouce de son programme nucléaire. Au cours de ces dernières semaines, Pyongyang a multiplié les tirs de missiles en direction de la mer du Japon – certes des missiles de courte portée mais qui témoignent d’avancées techniques réelles et qui sont capables d’atteindre la Corée du Sud. Focalisé sur son combat réussi contre le coronavirus et sur des élections législatives victorieuses pour le président en exercice, Séoul a choisi de détourner le regard, tout comme Washington, qui a d’autres priorités. Officiellement bien sûr, il n’y a aucune victime de la pandémie en Corée du Nord malgré la porosité de ses frontières avec la Chine. En revanche, depuis hier, des rumeurs persistantes circulent sur l’état de santé de Kim Jong-un qui aurait mal réagi à une opération de chirurgie cardiaque réalisée la semaine dernière. Voilà qui ouvrirait de nouvelles incertitudes sur l’évolution du pays le plus fermé du monde.
Au temps du Covid-19, comment mettre à profit la peur, le confinement et les mesures d’urgence ? En Algérie, le pouvoir durcit la répression des mouvements de contestation qui enflammaient le pays depuis un an et qui, le 22 février dernier, réunissaient encore à Alger plusieurs milliers de personnes. Depuis, le virus a frappé – l’Algérie est le pays le plus atteint du continent africain devant l’Égypte, le Maroc et l’Afrique du Sud. Arrestation de plusieurs dirigeants du Hirak, de militants, de journalistes dont le correspondant local de Reporters sans frontières, censure et blocage de médias électroniques jugés hostiles : le régime du président Tebboune ne respecte aucune trêve. Plus de 5 000 détenus de droit commun ont été élargis pour éviter la propagation de la maladie en milieu carcéral, mais les prisonniers d’opinion sont chaque semaine plus nombreux.
Emprise familiale sur le secteur privé
La manœuvre est la même en Turquie. La semaine dernière, le Parlement votait une amnistie massive : 90 000 prisonniers ont été libérés, à l’exception bien sûr de tous ceux qui ont eu l’audace de critiquer le président Erdogan – journalistes, avocats, étudiants, intellectuels, qui restent détenus dans des conditions sanitaires déplorables. Parmi eux, l’écrivain Ahmet Alcan, 70 ans, Selahattin Demirtas, le leader kurde et l’homme d’affaires Osman Kavala.
Le régime durcit le contrôle des réseaux sociaux, des médecins qui avaient dénoncé la gestion erratique de la crise sanitaire ont été obligés de s’excuser
Si l’infrastructure hospitalière tient le coup grâce à la modernisation entreprise par le régime, le confinement total a été exclu pour éviter l’effondrement d’une économie essoufflée – ce qui permet au tout puissant ministre du Trésor et des Finances, par ailleurs le gendre du président, de resserrer son emprise sur des entreprises clé du secteur privé.
Paralysie des activistes
Au registre de la froide exploitation des situations d’exception provoquées par la pandémie, terminons donc par Hong Kong. Le week-end dernier, quinze personnalités du mouvement pro démocratie ont été arrêtées. Pékin a de fait suspendu la Constitution du territoire, qui interdit spécifiquement son ingérence dans les affaires intérieures. Les activistes qui, pendant plusieurs mois, avaient dénoncé avec force les atteintes répétées au principe "un pays, deux systèmes" sont aujourd’hui paralysés : la pression sanitaire reste vive même si le virus a été convenablement contenu, les manifestations de grande ampleur sont impossibles. Carrie Lam, la chef du gouvernement local, paraît totalement incapable de résister aux pressions de Pékin qui veut contrôler de plus près un parlement où l’opposition s’efforce de jouer son rôle en toute légalité avant les élections de septembre prochain. Les Occidentaux ont d’autres soucis, Xi Jingpin, lui, conserve toutes ses priorités.
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