Nicolas Martin revient sur l’angoisse de la deuxième vague et une épidémie qui marque le pas, avec dans certains pays de nouvelles flambées épidémiques.
Lorsqu'on regarde les chiffres en France, quand on entend le directeur du Conseil Scientifique, Jean-François Delfraissy, qui déclare que « l'épidémie est contrôlée », il est tentant de prendre plus de largesses avec les masques, de moins se laver les mains, de recommencer à vivre comme avant, quoi !
Et bien, en oiseau de mauvaise augure que je suis, je vais vous expliquer pourquoi ce serait prendre un risque considérable et pourquoi, même si les indicateurs sont au vert, il ne faut pas relâcher nos efforts.
Que dit précisément Jean-François Delfraissy ? Il dit ceci : « Le virus continue à circuler, en particulier dans certaines régions (Île de France, Hauts de France, Grand Est et Auvergne Rhône Alpes qui regroupent les trois quarts des patients hospitalisés), mais il circule à petite vitesse. Là où il y avait autour de 80 000 cas par jour début mars avant le confinement, on estime qu'on est maintenant à 1000 cas à peu près » - en l'occurrence, 403 nouveau cas entre lundi et mardi.
Donc oui, nous avons de bonnes raisons de nous réjouir : l'épidémie recule très nettement. Le taux de reproduction, était, après 4 semaines de déconfinement, à 0,76, soit encore très nettement en dessous de 1, qui est le taux de reprise épidémique. Tous les indicateurs sont au vert : les morts en hôpital, les personnes en réanimation, hospitalisées et les nouveaux cas. Tous sont en décroissance nette.
Réjouissons-nous donc mais avec une bonne dose de prudence, et voici pourquoi. Tout d'abord, parce que ce qui se passe en Europe ne se passe qu'en Europe. Si la situation s'améliore chez nous, elle s'aggrave partout ailleurs. A commencer par le continent américain, et tout particulièrement le continent Sud Américain. Le bilan en nombre de nouveaux cas par jour au niveau mondial n'a jamais été aussi élevé que ces derniers jours et a atteint un record en début de semaine, avec plus de 130 000 nouveaux cas recensés.
Ensuite, vous avez certainement entendu que certains pays vivaient leur « deuxième vague ». C'est partiellement inexact. Singapour connaît une recrudescence de contamination, mais la cité-état avait appliqué des mesures tellement radicales dès le départ qu'elle n'a jamais connu de première vague épidémique, c'est donc la première vague qui arrive en décalé. L'Iran aussi connaît une importante reprise de contaminations, mais le pays a dû desserrer en urgence ses mesures de confinement face à l'effondrement de son économie. Il s'agit donc plutôt d'une reprise de la première vague qui n'a pas été endiguée. Reste la Corée du Sud, qui a annoncé le 28 mai sa plus forte hausse de nouvelles contaminations en deux mois, et qui nous invite à être particulièrement prudents.
Comment expliquer ce relatif succès de l'Europe dans l'endiguement de l'épidémie ?
A vrai dire, c'est une conjonction de facteurs que personne ne saurait trop démêler aujourd'hui. Il y a évidemment, au premier chef, les conséquences du confinement strict qui a littéralement donné un coup d'arrêt à la circulation du virus. Ça c'est un fait, et personne ne peut le contester.
Parmi les autres facteurs certains, il y a la distanciation physique et les gestes barrière dont on sait aujourd'hui qu'ils ont une influence très nette, et massive, sur la propagation du virus, le port du masque, lorsqu'il est de part et d'autre, réduit la probabilité de contamination de 85% à plus d'un mètre de distance, la probabilité de transmettre le virus chute à 2,6% nous dit tout récemment l'Imperial College de Londres.
Ensuite, il y a les hypothèses, comme celle de la saisonnalité. Pour l'heure, il n'y a pas de preuve épidémiologique ou expérimentale d'un tropisme saisonnier du SARS-CoV2 et il est peu probable que nous en disposions à courte échéance, étant entendu que le mécanisme saisonnier de la grippe n'est lui-même pas parfaitement compris par les virologues.
Il y a également l'hypothèse de l'immunité croisée – c'est-à-dire le fait que nous serions plus immunisés que prévu grâce à d'autres coronavirus, responsables des rhumes saisonniers, mais là encore, il s'agit d'une hypothèse qui n'est pas prouvée et que les chiffres Outre-Atlantique notamment ne semble pas corroborer.
Reste une question : deuxième vague y aura-t-il, et si oui, quand ?
Là dessus, je vais pour une fois vous dire quelque chose d'une voix forte et tonitruante : PERSONNE n'en sait rien. Personne !! Il y a 15 jours, nous parlions de modélisation épidémiologique avec deux des meilleurs spécialistes de la discipline dans la Méthode Scientifique, et tous deux l'ont affirmé : au-delà de 8 jours, les modèles prédictifs sont tous faux.
C'est comme la météo. Si on vous annonce qu'il fera grand soleil dans 15 jours sur votre lieu de vacances, on vous ment. Le taux de certitude de ces modèles prédictifs est tellement bas qu'il ne devrait même pas être rendu public. Donc qui que vous entendiez, qui vous dise soit que l'épidémie est finie, soit qu'elle va reprendre cette automne : riez-lui au nez. Aucun scientifique sérieux n'est aujourd'hui en mesure de faire ce genre de prédiction. Continuez de maintenir les distances, les gestes barrière, de faire attention : ça, c'est un engagement sûr pour faire en sorte, collectivement, que l'épidémie ne reprenne pas, ni demain, ni à la rentrée, ni l'année prochaine.
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