Nicolas Martin revient aujourd'hui sur l'hydroxychloroquine et la dernière étude publiée dans The Lancet.
- Nicolas Martin Auteur, scénariste, réalisateur, producteur, vulgarisateur, et ancien animateur de la Méthode Scientifique.
Après le New England Journal of Medecine, le British Medical Journal, et le Journal of American Medical Association qui sont trois revues à très fort facteur d'impact, dont les publications sont très solides et très souvent reprises, c'est donc le Lancet, peut-être la plus prestigieuse revue médicale à comité de lecture, qui publie son étude sur le sujet.
Un mot sur cette étude donc : il s'agit d'une étude rétrospective, ce n'est pas une étude interventionnelle où l'on recrute des malades contre placebo, les fameuses randomisées double aveugles. Ce sont des études a posteriori, où les chercheurs collectent une quantité significativement importante de données pour en tirer des conclusions.
En l'occurrence, plus de 96 000 patients, dont 14 888 traités moins de 48 heures après le diagnostic PCR de la maladie, les 81 000 autres servant de groupe contrôle.
Quatre type de traitements ont été évalués chloroquine seule, chloroquine + un antibiotique de type « azythromicine », un macrolide, hydroxychloroquine seule, et hydroxychloroquine + macrolide. Pour retrouver un semblant de randomisation, les auteurs ont appliqué des critères correcteurs (on appelle ça le score de propension) pour faire correspondre, au mieux, les patients traités avec un patient du groupe contrôle qui présente le même type de profil – âge, sexe, origine ethnique, comorbidités, gravité de la maladie au départ, etc.
Les résultats sont les suivants : tous les bras traités présentent une augmentation de la mortalité par rapport au groupe contrôle, ainsi qu'une augmentation de risques accrus d'accidents cardiaques. Pour le résumer à grands traits, un patient sur 11 du groupe contrôle est décédé à l’hôpital. Lorsqu'il était traité à la chloroquine ou hydroxychloroquine seules, le risque de décès monte à 1 sur 6 et jusqu'à un sur quatre pour l'association hydroxychloroquine + antibiotique.
Les conclusions des auteurs sont les suivantes : il est d'après cette étude impossible de confirmer un bénéfice de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine sur le pronostic des malades hospitalisés. Qu'il n'y a donc a priori, pas d'efficacité. Et que, par ailleurs, l'emploi de ce traitement est associé à une augmentation des arythmies cardiaques, et à une hausse de la mortalité.
Mais, et c'est très important : à aucun moment les auteurs n'apportent de preuve d'un lien de causalité entre la surmortalité et l'administration de ces médicaments, pas plus qu'ils n'établissent de lien de causalité entre ces arythmies cardiaques et la surmortalité. Étant entendu qu'il s'agit d'une étude rétrospective, il est impossible d'exclure d'autres facteurs confondants non identifiés qui pourraient être la cause de cette surmortalité.
Donc, je répète : les conclusions sont : aucun bénéfice, et hausse de la part d'arythmie, et risque de surmortalité. Sans lien causal entre les trois.
Mais comme Didier RAOULT ne peut pas s'empêcher de faire des vidéos sur YouTube, on connaît peu ou prou déjà tous ses arguments. Laissez moi vous en présenter quelques uns.
On commence par : « dans l'étude de The Lancet, les doses sont mélangées ». Oui, les statistiques sortent de 641 hôpitaux différents à travers le monde. Il n'y a donc évidemment pas de traitement unifié, même si la moyenne d'administration est de 596 mg en moyenne, là où l'IHU de Marseille en administre 600. On pourra lui opposer que dans ses propres études observationnelles, il mélange également les durées de traitement, et que l'argument peut lui être retourné. Et que l'étude du Lancet a pour elle le poids de la cohorte qu'elle examine, de près de 15 000 patients traités.
« Ses patients sont traités beaucoup plus tôt, et donc à des stades précoces de la maladie... » or, dans cette étude ont été exclus tous les patients traités plus de 48h après le diagnostic, ou nécessitant d'emblée une ventilation mécanique. On pourra lui opposer que dans sa dernière étude rétrospective, le critère d'inclusion est d'être « testé positif » avec ou sans symptômes pour les patients et leurs contacts soit des gens pauci - ou asymptomatiques dont on sait que, traitement ou non, la guérison est quasi-automatique. Didier Raoult peut se targuer d'avoir un taux de mortalité de 0,5%, « le plus bas au monde », je le cite, c'est évidemment totalement biaisé à partir du moment où sont inclus les patients à faibles symptômes, voire aucun symptômes – les cas légers en somme dont on sait que l'outcome, l'issue thérapeutique est favorable à près de 100%.
Bref, malheureusement, il est encore impossible de dire « fin de partie » pour l'hydroxychloroquine – pour ne pas céder aux mêmes sirènes que celles que l'on a dénoncées, parce que cette étude rétrospective, comme le concluent les auteurs, si elle est un argument supplémentaire dans une balance de non-bénéfice qui pèse déjà lourd, ne peut se substituer à une étude interventionnelle « gold standard » c'est à dire un protocole randomisé en double aveugle, sérieux et indiscutable, qui permettrait d'écarter une fois pour toutes cette molécule du protocole de soins. Or cette étude « fin de partie », nous l'attendons malheureusement toujours.
L'OMS elle a tranché : elle suspend le bras hydroxychloroquine de l'essai international Solidarity en l'attente de données complémentaires sur la sécurité de la molécule.
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