Chaque jour, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l'avancée de la recherche sur le coronavirus. Il revient aujourd'hui sur la recherche engagée sur les traitements.
A en croire les informations depuis 10 jours, il n'y aurait qu'une et unique piste de traitement du Covid-19 : l'hydroxychloroquine, dont le gouvernement vient d'autoriser l'utilisation par décret dans le cadre d'un suivi hospitalier.
Eh bien figurez-vous que contrairement aux apparences médiatiques, il n'y a pas que la chloroquine, loin s'en faut. C'est ce dont nous allons vous parler aujourd'hui, en faisant un tour des différentes stratégies de recherche, tant pour un remède contre le Covid-19 que pour un futur vaccin prophylactique.
Les combinaisons de médicaments testées dans l'essai clinique Discovery
Pour commencer, ce décret du Premier Ministre concerne un autre médicament, le Kaletra, qui est un inhibiteur de protéase. Il s'agit de l'association de deux molécules, le lopinavir et le ritonavir, qui ont déjà fait leurs preuves dans la lutte contre le VIH. Comment marchent ces inhibiteurs de protéase ? Nous vous avons déjà expliqué les processus d'infection par le SARS-CoV2, qui passe par une protéine de surface, la protéine Spike, qui se fixe sur un certain type de récepteur cellulaire, le récepteur ACE2. Mais pour pouvoir se fixer, le virus doit subir une étape que l'on appelle le « priming » : une protéase, qui est une sorte d'enzyme, va couper la protéine Spike pour la rendre fonctionnelle. Les inihibiteurs de protéases vont donc inhiber cette enzyme, de façon à empêcher ce clivage et donc, in fine, empêcher la fixation du virus sur les récepteurs. Le lopinavir va cibler ces protéases et le ritonavir de son côté, administré en même temps, a un effet protecteur et empêche la décomposition du lopinavir dans le sang.
Un premier essai clinique sur 199 patients a été rendu public le 18 mars dans The New England Journal of Medecine, il est a priori assez négatif, mais avec un biais important : le médicament a été administré à des patients à un stade tardif de la maladie or on sait aujourd'hui que le Covid-19 connaît deux phases : une première phase dite « virologique » ou le virus se multiplie dans l'organisme et une deuxième phase inflammatoire, pendant laquelle le système immunitaire s'affole et déclenche une tempête de cytokines, ces molécules pro-inflammatoires qui provoquent les symptômes de la maladie, et notamment les dégradations pulmonaires.
D'où l'idée d'associer à ce traitement une autre molécule, l'interféron bêta, qui permet de réguler cette réponse immunitaire. Ces deux combinaisons – lopinavir et ritonavir seuls, et les deux mêmes plus interféron bêta, font partie des quatre traitements de l' essai clinique européen Discovery qui vient d'être lancé dans 7 pays dont la France, sur 3200 patients.
Autre molécule testée dans cet essai, et qui est pour l'heure celle qui, selon les chercheurs que nous avons interrogés, l'une des plus prometteuse, c'est le remdesivir. Un antiviral qui a déjà été testé contre le virus Ebola. Le remdesivir est un analogue de l'adénosine – qui est l'un des nucléotides, une bases de l'ARN et de l'ADN – et qui va bloquer la synthèse de l'ARN messager, et donc la duplication de l'ARN génomique du virus. Pour résumer, le remdesivir remplace l'une des bases de l'ARN et lors de la réplication du virus, cette substitution produit des erreurs critiques, des mutations délétères qui font échouer le processus de réplication. Le remdesivir a déjà été utilisé contre le SARS-CoV1 et le MERS-CoV avec un certain succès in vivo sur des modèles macaques et murins. Une étude publiée dans Nature le 4 février a montré de très bons résultats contre le SARS-CoV2 in vitro.
Avec l'hydroxychloroquine qui a été ajoutée suite aux résultats certes prometteurs mais fragiles de l'équipe de Didier Raoult, ce sont les 4 combinaisons de médicaments qui vont être testées dans cet essai Discovery, qui est un essai dit « évolutif », c'est-à-dire que si l'un de ces traitements montre, dès les premières évaluations au bout de 15 jours, des résultats significativement concluants, il sera immédiatement ajouté à l'arsenal de soins optimisés pour les patients hospitalisés.
On peut ajouter à cette liste les travaux de Manuel Rosa-Calatrava, directeur de recherche INSERM que nous avons contacté, et qui table sur la stratégie de « repositionnement de médicaments », c'est-à-dire d'utiliser un médicament déjà commercialisé pour une autre pathologie, et dont on pourrait détourner les effets secondaires connus pour les appliquer au traitement du Covid-19.
Les Etats-Unis, la Chine et la Belgique explorent également le recours au sérum de patients infectés, et qui ont développé des anticorps de lutte contre le SARS-CoV2. L'idée est d'injecter du sérum de malades à des patients en cours d'infection. Une stratégie qui semble tomber sous le sens, mais qui est complexe à mettre en œuvre, notamment du fait que ce « coup de pouce immunitaire » doit être administré au bon moment de l'infection pour être efficace.
La recherche sur les vaccins prophylactiques
Ensuite, sur le plus long cours, vient la recherche sur les vaccins prophylactiques. Là aussi, de nombreux essais ont déjà commencé. L'OMS a recensé une quarantaine de candidats vaccins, je vais vous parler des deux essais les plus avancés.
En Chine, à Pékin, une équipe travaille sur un vaccin recombinant basé sur un vecteur adénoviral qui contient le gène S du SARS-CoV2. Traduction : il s'agit d'utiliser un adénovirus, qui est un vecteur viral non pathogène, le modifier génétiquement de façon à ce qu'il exprime le gène S, qui est le gène codant pour la protéine de surface Spike, qui sera ainsi reconnue par le système immunitaire qui développera des anticorps. Une réponse immunitaire acquise qui protégera par la suite l'organisme en cas de rencontre du SARS-CoV2. Un essai clinique de phase 1 a commencé le 20 mars avec 108 volontaires sains, qui seront suivis pendant 6 mois, pour tester trois doses différentes.
L'autre essai de phase 1 qui a débuté le 16 mars se déroule à Seattle. Il s'agit cette fois d'un vaccin constitué d'un petit fragment d'ARN messager, qui code pour cette fameuse protéine Spike. Une fois inoculé, ce sont nos cellules qui fabriqueront cet antigène de surface, qui va déclencher de la même façon une réaction immunitaire et la production d'anticorps spécifiques.
L'Institut Pasteur en phase pré-clinique
Pour conclure, un mot des travaux de l'Institut Pasteur, qui sont en phase pré-clinique, c'est-à-dire de test sur des modèles animaux, et qui tablent sur la modification du vaccin contre la rougeole, qui est un modèle vaccinal non seulement très largement éprouvé mais aussi très simple à produire – ce qui aura un avantage indéniable en cas de réussite au moment de la production et de la diffusion du vaccin à l'échelle mondiale. Les premières études cliniques sur l'être humain devraient débuter si tout se passe bien au mois de septembre.
Quoi qu'il en soit, ces vaccins prophylactiques ne seront pas disponibles avant 12 à 18 mois, ce qui, faut-il le rappeler, est une rapidité jamais vue dans l'histoire de la recherche médicale.
Nicolas Martin et l'équipe de La Méthode scientifique
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