Chaque jour, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l'avancée de la recherche sur le coronavirus. Il revient aujourd'hui sur les mutations de ce virus.
Le virus à l'origine de l'épidémie de COVID-19, le SARS-CoV-2 aurait-il déjà muté et sa mutation aurait-elle produit une souche plus virulente, plus « agressive » et potentiellement plus mortelle ?
C'est ce qu'avançait le 3 mars dernier une équipe chinoise, dans une étude publiée dans National Science Review. Après avoir analysé 103 génomes complets prélevés sur des patients chinois, australiens ou coréens, les chercheurs ont abouti à la conclusion suivante : il y aurait deux souches virales distinctes du SARS-CoV-2, une souche L et une souche S, la souche L ayant muté à partir de la souche S et qui serait plus « agressive » puisqu'elle serait responsable de 70% des cas déclarés, contre 30% pour le type S.
Branle-bas de combat et cris d'orfraie, la nouvelle à peine publiée a fait le tour du monde alors qu'une fois de plus, et comme nous allons le voir, elle a été très sérieusement remise en question, et par les auteurs de l'étude eux-mêmes.
Qu'est-ce qu'un virus à ARN ?
Revenons au virus lui-même et à sa nature : le SARS-CoV-2 est un virus à ARN. Il compte 29 903 bases contenant 15 gènes. Virus à ARN, cela signifie que que pour se répliquer, il pénètre une cellule, copie avec ses propres outils son ARN et recrée des virions par centaines de milliers de copies, qui vont ensuite être à nouveau relâchés dans l'organisme et ainsi de suite.
Ce qui est important de savoir, c'est que les virus à ARN mutent beaucoup plus facilement, et plus rapidement, que les virus à ADN. Pourquoi ? Parce que à chaque réplication, des acides nucléiques sont mal copiés, je vous rappelle que les quatre bases de l'ARN sont A G C U (le U remplace le T de l'ADN). En faisant des centaines de milliers de copies, statistiquement, il y a très souvent des erreurs : une lettre saute, est remplacée par une autre. Selon Anne Goffard, virologue, chercheuse et médecin au CHU de Lille que nous avons interrogée, le virus mute ainsi 100 000 à un million de fois par cycle viral, soit environ toutes les six heures.
Il faut préciser que ces erreurs, courantes dans les réplications génétiques, sont pour la plupart corrigées dans le cas de l'ADN, par des mécaniques de réparation qui assurent une meilleure stabilité du génome. Or, les virus à ARN ne possèdent a priori pas ce type d'outil, ou des outils beaucoup moins efficaces que ceux de nos cellules... d'où le taux plus important de mutations.
Par ailleurs, ces mutations virales ont le plus souvent peu de conséquences, ou bien des conséquences négatives qui rendent la plupart du temps virus inopérant, compte tenu de son faible nombre de gènes. Il suffit qu'un soit modifié pour que toute la mécanique virale s'enraye.
Les conséquences des mutations
Mais bien souvent, ces mutations sont dites « silencieuses », tout d'abord parce que les bases sont prises par 3 pour être traduites en acides aminés, donc lorsque l'une des bases change, deux possibilités se présentent : soit ça ne change pas l'acide aminé parce que plusieurs combinaisons de bases peuvent produire la même molécule, soit cela change un acide aminé, mais cela ne va pas pour autant aboutir à un changement de la fonction de la protéine (la protéine de surface par exemple, la protéine Spike compte autour de 1300 acides aminés), elle peut la plupart du temps continuer à remplir son rôle même avec un acide aminé différent.
Vous comprenez donc que toutes ces mutations, aussi nombreuses soient-elles, n'aboutissent que très rarement à un changement de phénotype et de fonction virale. On estime aujourd'hui que le génome du virus est encore similaire à celui apparu à Wuhan à 99,9999%.
Revenons-donc à cette étude et à ces deux souches L et S. Pour commencer, les chercheurs eux-mêmes ont reconnu que les données étaient « très limitées » (sur 103 génomes, je le rappelle) et qu'il faudrait établir d'autres travaux pour confirmer ou infirmer leur analyse. De nombreux chercheurs se sont montrés très critiques, allant jusqu'à demander le retrait de la publication pour cause non seulement d'échantillon trop faible, mais également de mauvaise interprétation des données statistiques et surtout, le fait qu'ils ne s'appuient sur aucune donnée clinique.
Que sait-on aujourd'hui du parcours phylogénétique du SARS-CoV-2 ?
Les chercheurs estiment que le virus évolue peu et que de toutes ces mutations cycliques, seules 2 en moyenne seraient sélectionnées chaque mois et affecteraient une partie du génome suffisamment importante pour être à l'origine de nouvelles souches – il faudrait plutôt parler d'isolats – mais sans que cela ne change rien à sa virulence (le terme d’"agressivité" est très largement anthropomorphique), ou à sa contagiosité.
On peut ainsi retracer le parcours du virus depuis ses origines à Wuhan, et la façon dont ces différentes mutations anodines ont infecté différents clusters, ce que font les chercheurs en temps réel sur le site Next Strain.
Dans le cas où ces mutations ne seraient pas silencieuses, les deux possibilités principales sont soit l'augmentation de la contagiosité, soit une réduction de la virulence – moins le virus est mortel, plus il peut se transmettre, plus il est pérenne et donc la sélection naturelle va la plupart du temps dans le sens d'une atténuation, plutôt que dans le sens d'une augmentation de la létalité.
Quelle influence sur la mise au point d'un vaccin ?
Une autre question cruciale se pose à propos des mutations du virus, c'est celle du vaccin unique. Le taux de mutation structurelle du virus de la grippe est tel qu'il nécessite de produire un nouveau vaccin chaque année par exemple. Qu'en sera-t-il du SARS-CoV-2 ? Tout va dépendre du taux de mutation de l'antigène de surface, la protéine Spike.
Si les mutations pérennes affectent souvent cette protéine, alors le vaccin unique ne sera pas efficace, mais le SARS-CoV-2 peut aussi, en perdant de sa virulence, finir par se comporter comme ses autres cousins coronavirus, ceux qui sont responsable de nos rhumes saisonniers (OC43, ou 229E) devenant ainsi totalement anodin et finir par ne plus nécessiter de vaccin.
Un SARS-CoV-2 suffisamment stable pour ne nécessiter qu'un seul vaccin universel ? Un peu moins stable pour ressembler à la grippe et nécessiter un vaccin annuel ? Ou totalement bénin pour finir par ressembler à un rhume ? Une fois de plus, pour pouvoir trancher, il va falloir attendre des travaux complémentaires – et notamment ceux d'Anne Goffard qui a déposé une demande de financement pour séquencer les isolats qui circulent en France et tâcher de retracer précisément l'évolution du virus depuis son apparition en Chine au mois de décembre dernier jusqu'à aujourd'hui.
Nicolas Martin et l'équipe de La Méthode scientifique
L'équipe
- Production