Chaque jour, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l'avancée de la recherche sur le Coronavirus. Il revient aujourd'hui sur la stratégie de l'immunité de groupe et les problèmes qu'elle soulève.
Depuis le début de l'épidémie, revient souvent la question de l'immunité de groupe. C'est cette stratégie, celle de laisser le virus circuler dans la population jusqu'à ce qu'une majorité de personnes ait été infectée et ait développé une réponse immunitaire naturelle de telle sorte que la propagation du virus s'interrompe d'elle-même, qui a été choisie par certains pays, notamment la Grande Bretagne, la Suède ou les Pays-Bas. Mais cette stratégie a un coût, très lourd en vies humaines, à tel point que la Grande Bretagne vient de faire marche arrière, et que la Suède et les Pays-Bas viennent également de prendre des mesures de distanciation sociale plus strictes.
Revenons donc aujourd'hui sur cette notion d'immunité de groupe. Puisque, en l'absence de vaccin, ou plutôt dans l'attente d'un vaccin, tant qu'une majorité de la population n'a pas acquis cette immunité naturelle, la levée des mesures de confinement risque à tout moment de voir repartir une vague de contagion et donc de nouveaux pics épidémiques.
Qu'est-ce que l'immunité de groupe ?
Pour bien le comprendre, il faut revenir sur les trois paramètres qui définissent la propagation d'une épidémie nouvelle, d'un virus émergent contre lequel personne n'est immunisé. Le nombre de contacts, la contagiosité et la durée de la période de contagiosité.
Ces paramètres, nous les connaissons relativement bien. Basée sur le départ de l'épidémie à Wuhan, l'équipe de Neil Ferguson, épidémiologiste à l'Imperial College de Londres, fait le calcul suivant : en partant du principe que la durée d'incubation moyenne du SARS-CoV2 est de 5,1 jours, que la contagiosité commence 12 heures avant les premiers symptômes chez les personnes qui déclarent la maladie, et 4,6 jours après l'infection chez les personnes asymptomatiques, avec une durée de contagiosité moyenne de 6,5 jours, le taux de reproduction, que l'on appelle R0 serait aux alentours de 2,5.
En clair, cela veut dire qu'en moyenne, une personne infectée par le SARS-CoV2 transmet la maladie entre 2,4 et 2,6 autres personnes. Si on rapporte cela à un groupe de population, en prenant un R0 de 2,5, 1000 personnes contaminées vont infecter 2500 personnes, puis 6250 et ainsi de suite.
Pour enrayer l'épidémie, il faut que ce R0 chute en dessous de 1. Si un malade contamine moins d'une autre personne, alors la courbe s'inverse. Avec un R0 de 0,5, 1000 personnes en contaminent 500, puis 250 et l'épidémie s'arrête.
A titre indicatif, rappelons que le R0 de la grippe est de l'ordre de 1,3, celui du VIH entre 2 et 5, et celui de la rougeole dépasse 12.
On comprend donc que plus une large partie de la population a acquis cette immunité, plus le R0 descend puisqu'une partie des contacts ne peut plus attraper la maladie. Ainsi, si la moitié de la population est immunisée. Le R0 du SARS-CoV2 chuterait à 1,25, ce qui n'est pas encore assez pour passer sous les 1. On peut donc estimer que pour enrayer l'épidémie, par un calcul simple, on arrive à un taux d'immunité de groupe à 60% de la population.
Quels problèmes face à la stratégie de l'immunité de groupe ?
C'est là que se posent un certain nombre de problèmes. Le premier étant évidemment celui de la mortalité. Même s'il est pour l'heure impossible de calculer le taux exact de létalité du Covid-19, comme je vous l'expliquais dans une chronique précédente, laisser le virus circuler librement pour arriver à 60% de la population infectée conduirait à des centaines de milliers de morts, chiffre évidemment démultiplié par l'engorgement des services d'urgences, puisque compte tenu de la grande contagiosité du virus, tout le monde serait infecté très rapidement, et dans un temps assez court.
Il faut donc ralentir autant que faire se peut la propagation du virus pour étaler l'arrivée des cas graves dans les services de réanimation. C'est exactement ce à quoi servent les mesures de confinement prises par la plupart des États. Mais se présente alors un autre problème : si la population est confinée et que ce confinement endigue la progression de l'épidémie, que se passe-t-il au moment où le confinement s'interrompt ? L'immunité de groupe n'a pas pu s'établir puisque le virus n'a pas largement circulé et on s'expose au risque d'un rebond épidémique et d'une nouvelle flambée de contaminations.
Pour éviter ce scénario, l'équipe de Neil Ferguson propose une solution de confinement par intermittence : privilégier une série de petites épidémies, interrompues par de nouvelles mesures de distanciation sociale, pour étaler cette immunité de groupe dans le temps jusqu'à la production d'un vaccin pérenne.
Mais d'autres questions se posent. Notamment la durée de l'immunité acquise au SARS-CoV2. Combien de temps reste-t-on immunisé une fois qu'on a contracté le virus ? Quelques semaines, comme le rhume ? Quelques mois, comme la grippe ? Ou toute la vie, comme la rougeole ? Pour le moment, les scientifiques n'en ont aucune idée. Tout dépend de la faculté du virus à muter – c'est le cas de la grippe, et la raison pour laquelle il faut se refaire vacciner tous les ans. On ne sait pas non plus, pour le moment, si une personne qui a été infectée par le virus est susceptible d'être infectée une deuxième fois. Plusieurs cas ont été rapportés en Chine et au Japon notamment, mais il est impossible de dire pour l'heure s'il s'agit d'une deuxième infection ou d'une résurgence virale chez des personnes partiellement guéries.
Reste le cas de la Chine, qui a réussi à ne plus avoir aucun cas officiel de contamination, sans pour autant avoir atteint le seuil de l'immunité de groupe. Mais ce résultat a été obtenu par des mesures radicales de confinement total, de détection systématique, de contrôle et de surveillance généralisée des populations infectées et de leurs contacts.
Quelle solution alors ?
Pour l'heure, et dans l'état actuel de nos connaissances, il faut continuer à retarder au maximum la propagation du virus, à compter sur une acquisition progressive d'une immunité collective, étalée dans le temps, jusqu'à la fabrication et la distribution massive de vaccins pour l'ensemble de la population pour arriver, in fine, à une immunité de groupe vaccinale.
Nicolas Martin et l'équipe de La Méthode scientifique
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