En attendant l'école : les désillusions du déconfinement

Vivement... l'école!
Vivement... l'école! ©Getty -  izusek
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Si Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, a réaffirmé sa volonté de rouvrir progressivement l'ensemble des écoles suite au reflux de l'épidémie de coronavirus, aucun allègement du protocole sanitaire n'est prévu et trop peu d'élèves sont encore accueillis. C'est le cas notamment en Ile-de-France, où élèves et parents d'élèves se retrouvent démunis.

Quelle drôle de vie que la vie sans école, avec ses aléas et ses complications pour les familles... et ce n'est pas terminé car malgré le déconfinement, l'école à la maison continue, le ministre de l'Education nationale ayant donné l'objectif d'un mi-temps scolaire pour tous les élèves à partir du 2 juin. En effet, les règles sanitaires appliquées dans les établissements ne permettent pas d'accueillir des classe entières.

Un soulagement tout relatif pour de nombreuses familles déjà laissées dans l'expectative depuis la réouverture très partielle du 11 mai, et des difficultés d'organisation qui demeurent pour les parents qui travaillent. C'est le cas de Johanne, parent d'élèves et déléguée FCPE, dont les deux enfants sont scolarisés à Montreuil, en banlieue est de Paris : elle attend depuis mai des nouvelles de l'école, et revient avec nous sur cette période compliquée.

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Louise Tourret : Comment vivez-vous cette "école à la maison" qui se prolonge ?

Johanne : Je ne trouve pas le temps particulièrement long dans la mesure où on s’habitue finalement à ce temps-là qui était aussi un temps qualitatif puisqu'il nous a permis de passer des moments précieux avec nos enfants et d’avoir un rythme différent, mais je sens que là ça commence à tirer un peu, aussi bien du côté des enfants que du mien... C’est compliqué pour eux, ils ont besoin de voir d'autres personnes que leurs parents toute la journée, même si on peut faire quelques exceptions désormais, là je sens qu’il y a un réel besoin de communiquer avec des gens de leur âge, de jouer dans la cour de récréation et d’avoir un autre adulte référent que nous - rôle que remplissait autrefois leur enseignant.

LT : Voyez-vous des parents qui craquent autour de vous ? 

J : Oui, quand on parle entre parents c’est un mélange de "C’est sympathique de passer du temps avec les enfants" et de "On n’en peut plus !", car c’est énorme en réalité comme charge... Etre parent est déjà en soi une charge importante bien sûr, mais c’est vrai que d'exercer cette fonction 24h/24h dans de telles conditions, c'est assez exceptionnel. Cela laisse peu d’ouverture sur l’extérieur, ouverture qui est bien souvent une respiration pour tout le monde et qui enrichit aussi nos relations familiales, or c’est un peu compliqué quand on est replié sur soi. Donc oui, il y a autour de moi des parents qui sont victimes de burn out parental... Etre parent, passer du temps avec ses enfants, les nourrir, leur prodiguer des soins, remplir les devoirs que nous avons envers eux c’est une chose, mais faire l’école en plus et s’occuper de tout ce qui est apprentissage et bien-être social, tout en pensant à son propre travail, c’en est une autre.

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LT : Comment s'organisent les parents dans votre commune  ? 

J : J'ai deux enfants, l'un en grande section de maternelle et l'autre en CE2, il y a donc pour moi l’enjeu de deux écoles qui doivent réouvrir. Effectivement je suis élue FCPE dans l'école maternelle de mon fils, c'est à dire que je suis une sorte de parent-relais qui essaye de récolter des informations pour pouvoir les transmettre aux autres parents. Mais le problème c'est que nous ne savons même pas où aller chercher ces renseignements... Le directeur et les enseignants de l’établissement sont toujours prêts à nous répondre et restent très disponibles, mais la difficulté c’est qu’eux-mêmes sont informés au jour le jour, donc cela reste assez compliqué. Pour ce qui est de la communication entre les parents et les services municipaux, c’est silence radio : nous n'avons aucun retour pour nous organiser, aucune visibilité pour planifier notre vie familiale, que ce soit pour ce qui concerne la reprise du travail pour les parents ou la reprise de la classe pour les enfants, qui souvent n'en peuvent plus d'être privés d'école. 

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LT : Sentez-vous que le désir d’école a pris de l'ampleur depuis le 11 mai ? 

J : C’est certain que le 11 mai nous avions moins de visibilité, le déconfinement venait de commencer donc il y avait encore de la peur. Et le protocole sanitaire appliqué dans les écoles semblait très anxiogène et faisait peur aux parents. Beaucoup étaient inquiets à l'idée d'envoyer leur enfant dans un endroit où il allait être assis seul à une table sans rien pouvoir toucher, sans pouvoir jouer avec ses copains, donc il y avait, d’un coté, le  danger du virus, et de l'autre, le côté anxiogène de ce protocole sanitaire tellement strict qu'il participait aussi à alimenter la peur. Aujourd'hui, j'observe que les gens sont plus enclins à remettre leurs enfants à l’école. 

Mais le problème désormais c'est que, face aux difficultés qu'ils rencontrent, les parents semblent être résignés : pour beaucoup d'élèves, l'école n’a pas encore repris, au mieux cela consiste à attendre un roulement deux jours par semaine... De fait, la perspective qui m’est aujourd'hui proposée, c’est deux jours de présence à l'école pour mes enfants, sans la cantine pour le plus jeune, et si je compte le nombre d’élèves et les roulements, cela correspond au final à très peu de présence sur l'ensemble du mois de juin. Donc je m'interroge : est-ce que cela vaut la peine de tout organiser autour de l’école sachant que mes enfants vont y passer si peu de temps ? Cela pose question aussi bien pour les enfants que pour la vie professionnelle des parents - comment concentrer son travail en seulement deux jours ? J’ai l’impression que beaucoup de parents finissent par trouver d’autres solutions, ils se disent : "On va peut-être les laisser chez les grands-parents, ou partir en vacances plus tôt"… Je pense qu’il y a beaucoup plus de résignation aujourd’hui que de peur, même si par ailleurs il doit également rester un bon nombre de personnes qui continuent à s'inquiéter et qui se disent "On attend septembre puisqu’il reste juste un mois d’école". Cette résignation s'explique par le fait qu’il y a tellement peu d’élèves accueillis, cela en devient ubuesque ! Les écoles envoient des mails pour dire aux parents : "Ne comptez pas trop sur une place, vous ne serez pas prioritaires, et si jamais votre enfant l'est, peut-être qu’il n’ira pas à la cantine, peut-être que ce sera seulement deux jours par semaine, etc.'" Donc ça laisse peu de perspectives.

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LT : Vous résidez à Montreuil, une ville qui mélange des populations de quartiers populaires avec des populations plus favorisées : avez-vous constaté une différence d’approche entre les parents ?

J : Au départ le maire avait fait de l’ouverture des écoles dans le Haut-Montreuil une priorité parce que c'est un quartier défavorisé, mais finalement cela ne s’est pas fait parce que c’était  paradoxalement l'endroit où les familles avaient le moins envie de remettre leurs enfants à l’école. Personnellement, je travaille à mon compte, et en ce moment j’accepte à nouveau du travail pour le mois de juin mais sans savoir comment je vais pouvoir m'organiser avec les enfants...

LT : La rentrée de septembre vous inquiète-t-elle ?

J : J’espère que si la situation évolue bien au niveau sanitaire, les choses se feront dans le bon sens et avec du bon sens. Que nous prendrons acte de ce qu’il s’est passé pendant cette crise et de ce qu'elle a révélé de l’importance des enseignants, de leur place dans la vie des des enfants et des parents, et dans la vie de notre société en général. Que nous prendrons conscience aussi du fait que ce n’est pas le moment de fermer des classes ou de donner moins de moyens aux écoles. Que c'est justement le moment d'agir pour l’école et les enseignants, comme pour les soignants et toutes ces professions qui se sont révélées essentielles durant la pandémie. J’aimerais qu’au contraire à partir de septembre ce soit un renouveau pour l’école. 

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