Lena Burger, un atelier radio à l'IMP : chacun.e sa parole, son rythme, sa voix

Lena Burger
Lena Burger ©Radio France - Joseph Hascal
Lena Burger ©Radio France - Joseph Hascal
Lena Burger ©Radio France - Joseph Hascal
Publicité

Le faire soin tient parfois dans de toutes petites trouvailles comme l’explique Lena Burger qui intervient au sein d’ateliers radio dans lesquels, grâce au travail du son, elle permet à des jeunes en difficulté de trouver un moyen d’expression.

Sixième  temps de notre série "Faire soin" qui donne la parole à des artistes, dont la pratique se situe à la frontière des mondes de la santé, de l’aide sociale, du soin et de celui de la création. Aujourd’hui, Marie Richeux, productrice de "Par les temps qui courent" s'entretient avec Lena Burger, qui, à travers différents ateliers, met son savoir-faire radiophonique au service d’enfants et de jeunes gens en difficulté.

Lena Burger
Lena Burger

Lena Burger intervient dans trois institutions différentes. En Belgique : l e Courtil, un Institut médico-pédagogique (IMP) qui accueille des enfants et des jeunes dont les difficultés se situent au croisement du psychique et du social, et la Soucoupe, et à Paris, l'association Paradoxes qui propose des consultations psychanalytiques et des ateliers.

Publicité

Dans l’atelier radio que Lena Burger a créé à l'IMP du Courtil, près de Tournai, les jeunes viennent essayer des choses, risquer leurs voix, engager leurs goûts culturels, leur rapport aux mots. Après ce temps de studio, il y a celui de la réécoute, du montage, et de la possible mise en ligne. Un après-coup qui offre à "l’atelière" comme aux participants la possibilité de déplier cet espace en plusieurs moments, qui ont chacun leur résonance et leur effet.

Radio Courtil
Radio Courtil

Marie Richeux : Quelle intuition vous a poussée à mettre en place cet atelier radio ?

Lena Burger : Je voulais mettre en jeu cet objet de radio, qui était un objet auquel je tenais. J’ai commencé par faire un stage au Courtil, au cours duquel j'avais emmené avec moi un enregistreur avec l'idée que ça pourrait peut-être me servir. En fait, je ne m'en suis quasiment pas servi pendant ce stage, sauf une fois où je l'avais sur moi au cours d’un trajet en minibus. J'étais assise à l'arrière avec un jeune qui a vu le zoom dans mon sac, et qui m'a demandé ce que c’était. Je lui ai expliqué et comme il avait envie de s'en servir, je lui ai proposé de faire les informations et la météo mais aussi de parler de la radio. Ce qui était intéressant, c'était d'ouvrir cet enregistreur comme une petite machine, un outil qu’on pouvait déployer, utiliser pour faire semblant, pour jouer avec la voix, pour couper, et reprendre. Et donc, à la fin de ce  stage, j'ai eu envie de proposer à cette structure un atelier radio qui permettait de faire se rencontrer mon intérêt pour la radio et cette brève expérience.

C'est devenu Radio Courtil, un atelier qui a lieu trois fois par semaine à l'IMP et concerne des jeunes issus de différents groupes : des petits, des moyens et des grands. On se rend dans le studio aménagé, plutôt un par un, mais certains viennent à deux, et pour les plus âgés qui viennent le mercredi, ça se passe en groupe, en plateau. Dans le cas du "un par un", on s'installe dans le studio pour démarrer un temps de travail sonore. Lors des premières séances, l'enjeu est de déterminer ce qu'on va pouvoir inventer avec du matériel sonore. Ce sont de courts passages réguliers de dix, quinze minutes, hebdomadaires pour la plupart. Il y a toujours une étape de montage, ou au moins de réécoute de sons qui ne sont pas encore montés, et ensuite il y a un site qui héberge la plupart des réalisations. Mais pas toutes, parce qu'une bonne partie du travail peut être simplement d'expérimenter, de jouer avec les différents outils que propose la radio. Dans l'Atelier radio, il y a des moments où la langue fourche, où l’on foire, on utilise un mot pour un autre ou alors on lance une musique qui ne part pas.

Radio Courtil
Radio Courtil

MR : En les gardant au montage, voire pour certains en les mettant en ligne, votre travail montre que ces "ratages" ont un autre destin que celui d'être coupés.

LN : Oui, c'est vraiment le cœur de mon travail, ce questionnement incessant sur ce qui est gardé, coupé, laissé. C'est une question qui demande de la subtilité, et qui ne peut jamais être résolue complètement, qui doit rester, à chaque fois, comme une petite alerte présente dans le travail. Parce que ce n’est pas rien de manipuler la voix, d'ouvrir des micros, d'enregistrer, de pouvoir se réécouter : ça peut donner lieu à des moments délicats quel que soit l'âge. Toucher à l'énonciation est pour tout un chacun un sujet sensible et donc s'intéresser à l'outil lui-même, c'est déjà une façon de pouvoir décaler mon regard. Je me souviens d'une interview que j'ai faite avec un jeune qui participe à chaque atelier depuis le début. Cette fois-là, contrairement à ce qui se passe pour des chroniques où un "conducteur" sert à soutenir l’énonciation de celui qui parle, là, nous n'en avions pas. Alors quelque chose du tremblement de la voix, de la chute et du ratage est apparu. Il a proposé qu'on fasse un bêtisier et qu'on récolte mes éternuements, les moments où il bafouille et où je ris. Grâce à l'outil de montage et à cette attention aux détails qu'il permet, cela a été une opération de transformation très intéressante.

MR : Est-ce que vous vous diriez que ce travail réalisé dans des lieux rattachés au monde du soin vous déplace vous aussi, en modifiant votre pratique du son ?

LN : Oui, ce sont des lieux de travail et des pratiques qui n'ont de cesse de nourrir une recherche personnelle, un questionnement plus vaste autour du travail sur le son. Ce sont des lieux qui, dans leur proposition, offrent aux intervenants de pouvoir dépasser la visée thérapeutique, ou bien les enjeux pédagogiques et scolaires : ces ateliers n'ont pas forcément de but thérapeutique, mais ils peuvent en avoir des effets.

Archive

Fernand Deligny, émission "Mémoires du siècle", France Culture, 1989

Musiques

The low anthem, In eyeland, et The circular ruins

"Faire soin", un rendez-vous aux frontières de la création et du soin

Chaque lundi et chaque jeudi, "Faire soin" (*) vous propose un entretien de Marie Richeux avec un ou une artiste qui expérimente, depuis longtemps, à la frontière des mondes de la santé, de l’aide sociale, du soin et de celui de la création.

Tous les épisodes de "Faire soin" sont à retrouver ici.

L'équipe : Jeanne Aléos, Romain de Becdelièvre, Joseph Hascal, Lise-Marie Barré, Charlotte Roux et Marianne Chassort

(*) nous avons choisi ce titre pour dépasser l'expression 'Prendre soin' mais aussi en pensant à un très beau film de Mohamed Lakhdar Tati titré Fais soin de toi

L'équipe