Chaque matin, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l'avancée de la recherche sur le Coronavirus. Il revient aujourd'hui sur la chloroquine, un antipaludéen qui serait une piste pour lutter contre l'épidémie, mais qui nécessite encore de nombreux travaux pour en assurer l'efficacité.
« On sait guérir la maladie » titraient hier Les Echos, après la présentation des résultats d'une étude clinique, réalisée par Didier Raoult, infectiologue à l'Institut Hospitalo-Universitaire de Marseille. A la suite de ces déclarations, le gouvernement qui était jusque-là réticent sur ces essais a annoncé hier leur extension à un plus grand nombre de patients.
Aurait-on trouvé aussi rapidement la clé de la lutte contre le Covid-19, alors même que je vous parlais hier des essais cliniques en cours pour des vaccins, thérapeutiques ou prophylactiques, qui n'aboutiraient pas en cas de succès à la production de médicaments avant plusieurs mois ?
Eh bien en médecine, comme toujours, il faut prendre beaucoup de précautions avec ces annonces fracassantes, à des états très précoces de la recherche.
Qu'est-ce que la chloroquine ?
Didier Raoult vante depuis plusieurs semaines il est vrai les mérites de la chloroquine et son dérivé, l'hydroxycholoroquine. Qu'est-ce que c'est que cette molécule ? C'est avant tout un antipaludique, qui s'attaque aux schizontes, ces globules rouges infectés par l'agent du paludisme, mais la chloroquine a aussi un effet antiviral, cela a été prouvé in vitro, elle empêche le cycle viral de s'effectuer normalement en modifiant le pH.
Mais cette action in vitro est malheureusement plus complexe à reproduire in vivo, notamment parce que le seuil de toxicité pour l'être humain est très bas et les interactions médicamenteuses sont nombreuses. Et c'est là-dessus que portent les recherches, la chloroquine a d'ailleurs été testée contre le chikungunya sans résultat, d'après une publication dans la revue The Lancet en 2007, mais aussi contre la dengue, Ebola ou la grippe, nous disait il y a 15 jours l'épidémiologiste et professeur de médecine Arnaud Fontanet, avec à chaque fois le même constat : la dose nécessaire in vivo est trop élevée, 10 fois supérieure à celle administrée contre le paludisme, et donc toxique.
Pourquoi cette soudaine flambée d'espoir pour le Covid-19 ?
C'est là que les choses se compliquent. Tout commence par une étude chinoise publiée le 19 février par le département de pharmacologie de l'université de Qingdao, menée dans une dizaine d'hôpitaux chinois, qui affirme qu'un traitement de deux fois 500 mg par jour pendant 10 jours serait efficace et suffisant pour lutter contre la pneumonie provoquée par le SARS-COV2 et conclut positivement sur les effets antiviraux et anti-inflammatoires de la molécule. Aucun mot en revanche sur la toxicité ni sur les effets secondaires.
Problème, cette étude, citée comme référence par Didier Raoult serait en fait la reprise d'un point presse, deux jours plus tôt, du gouvernement central chinois pour inscrire la chloroquine dans leur arsenal thérapeutique national. L'étude ne comporte aucune donnée clinique précise, elle mentionne tout juste « plus de 100 patients », la communauté scientifique dans sa quasi majorité estime donc qu'il est impossible d'en tirer une balance bénéfice-risque favorable, c'est ce qui expliquera notamment le fait que la chloroquine ne fasse pas partie des 4 molécules retenues pour l'essai clinique européen sur les 3 200 patients, dont je vous parlais hier.
Le ministère, et la communauté scientifique se sont-ils trompés ? C'est tout à fait possible, mais regardons ce que dit l'étude qu'il vient de mener, et qui le conduit à affirmer qu'il peut « guérir » la maladie. Selon Didier Raoult, au bout de 6 jours de traitement par Plaquenil (c'est le nom commercial de la chloroquine), seulement 25% des patients seraient encore porteurs du virus, la proportion étant de 90% pour ceux qui ne reçoivent pas le traitement.
Quel respect du protocole d'étude ?
Des données qui sont indiscutablement encourageantes et intéressantes. Mais si on entre dans le détail, plusieurs doutes subsistent, tout d'abord, et avant tout, il s'agit d'un essai sur un tout petit groupe, de 24 personnes. Il faut donc avant de crier à la guérison étendre cet essai à des populations plus larges pour vérifier que cette statistique sur un tout petit groupe se réplique à plus grande échelle. Ensuite, les patients ont été traités avec de la chloroquine seule et de la chloroquine associée à un antibiotique, l'azithromycine, mais face à un groupe témoin « non traité » et donc, pas face à un placebo – ce qui est la méthode usuelle, et sans « double aveugle » c'est-à-dire sans que les patients et les médecins ne sachent à quel groupe ils appartiennent, condition sine qua non pour s'assurer de l'effectivité du traitement testé.
On peut ajouter que l'annonce de ces résultats a été faite par vidéo et avant publication, et qu'il manque donc encore énormément d'éléments pour que ces conclusions soient examinées par l'ensemble de la communauté scientifique.
D'autres personnes pointent des biais méthodologiques, comme le fait que le groupe contrôle n'était pas sur le même site que le groupe test, ou encore que la marge thérapeutique est d'autant plus étroite que les patients traités sont gravement atteints, qu'il n'y a aucune mention de leur état clinique au début du traitement et à la fin des six jours, ni de la valeur de leur charge virale initiale.
D'autres études cliniques sont en cours sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine, notamment à l'université d'Oxford, chloroquine contre placebo en double aveugle sur 10 000 participants, les essais doivent débuter en mai.
Ne pas crier victoire trop vite
Ces résultats sont à prendre très au sérieux, personne ne remettra cela en cause et c'est pour cela que le gouvernement a choisi à juste titre d'étendre cette étude sur un autre site, à Lille. Ce qui est problématique, c'est le triomphalisme en cette époque d'extrême préoccupation des citoyennes et des citoyens, la conséquence immédiate, ce sont ces gens qui, suite à ces annonces, se sont procuré en pharmacie de la Nivaquine ou du Plaquenil. Ces molécules sont dangereuses, l'automédication peut avoir des effets graves. Il faut donc rappeler que ces données, toutes intéressantes qu'elles sont, sont extrêmement préliminaires, qu'il est beaucoup trop tôt pour pouvoir affirmer « qu'on sait guérir la maladie ».
Nicolas Martin et l'équipe de la Méthode Scientifique
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