Le monde de Proust

Jacques-Émile Blanche, Portrait de Marcel Proust (1892),
Jacques-Émile Blanche, Portrait de Marcel Proust (1892), - Par Jacques-Émile Blanche — Paris, musée d'Orsay. Domaine public, Wikipédia
Jacques-Émile Blanche, Portrait de Marcel Proust (1892), - Par Jacques-Émile Blanche — Paris, musée d'Orsay. Domaine public, Wikipédia
Jacques-Émile Blanche, Portrait de Marcel Proust (1892), - Par Jacques-Émile Blanche — Paris, musée d'Orsay. Domaine public, Wikipédia
Publicité

Voyage autour de la figure de l'écrivain Marcel Proust (1871-1922) et de ses personnages.

Avec

Alors qu'on fête cette année le centenaire de la mort de Marcel Proust, Alain Finkielkraut s'entretient avec Mathilde Brézet, enseignante, essayiste, auteure d'un dictionnaire des personnages d' A la recherche du temps perdu, Le grand monde de Prous t (éditions Grasset), et Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l'œuvre de Marcel Proust, qui fait paraître  Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits (éditions Gallimard).

"C’est un peuple légendaire, immense, vif comme s’il avait vécu. Ce sont les personnages d’ A la recherche du temps perdu, avec leurs visages, leurs désirs, leurs tics, leurs mots fameux : ils sont une petite centaine, choisis par Mathilde Brézet dans ce dictionnaire libre. Chaque nom est un récit – parfois une apparition : récit d’une vie, mais aussi récit d’un parcours de création. Comment est née Albertine ? Et Swann ? Que veut nous dire Proust avec Jupien ? Pourquoi un personnage comme la femme de chambre de la baronne Putbus, capital dans les premières versions de l’œuvre, a quasiment disparu ? Il y a aussi les personnages sans nom mais pas sans regard, comme le liftier ou les "filles portant le lait (...)". Mathilde Brézet

Publicité

" (...) Car les insaisissables "soixante-quinze feuillets" de 1908 sont une pièce essentielle du puzzle. Bien antérieurs au Contre Sainte-Beuve, ils ne font pas que nous livrer la plus ancienne version d’ À la recherche du temps perdu. Par les clés de lecture que l’écrivain y a comme oubliées, ils donnent accès à la crypte proustienne primitive." Nathalie Mauriac Dyer

"Par où commencer ? Comment aborder ce chef-d'œuvre monumental, par quel bout le prendre ? Ma première question à mes deux invitées, spécialistes passionnées de Proust, sera celle-ci : Comment lisez-vous Proust ? Le lisez-vous d'abord parce qu'il vous permet de regarder en vous-même, diriez-vous avec Roland Barthes que la lecture de Proust a tout d'une consultation biblique, qu'elle éclaire notre vie, qu'elle est la rencontre d'une actualité et d'une sagesse ?" Alain Finkielkraut

"Marcel Proust, un génie moraliste"

"J'ai lu Proust de cette manière-là. En tous cas, ma première lecture, vers dix-huit ans, j'ai un souvenir très vif des écailles qui tombent des yeux, mais je ne saurais pas dire à quel moment spécifiquement, quel pan de mon âme ou de mon histoire de cette époque été ainsi éclairé, mais je crois que ce pouvoir d'élucidation de ce roman tient au don, au génie de moraliste de Marcel Proust : j'ai eu l'impression qu'il était extrêmement conscient d'une chose ; que la nature du désir est d'être égoïste et pourtant, chacun entretient au fond de soi une image flatteuse, désintéressée, bonne. Et ce qu'il sait faire mieux que personne, c'est de montrer la manière dont la raison redouble d'hypocrisie, de mauvaise foi pour réconcilier ces deux images. C'est magistral, et l'ironie est foudroyante. Quand on est amené à lire Proust, on est amené à se dire "Et moi-même, où en suis-je avec ma mauvaise foi : on est amené à se tourner vers l'intérieur." Mathilde Brézet

La Recherche du temps perdu, un roman policier

"On peut dire que A la recherche du temps perdu, ce sont les saintes écritures de la littérature. C'est un texte auquel on revient perpétuellement, on trouve toujours une nouvelle brillance, un nouvel éclat. J'ai eu plusieurs lectures de cette oeuvre à chaque fois différentes. Quand je l'ai lu, trop jeune, j'ai été dans l'admiration - absolument pas touchée ; j'ai été éblouie à la lecture de Contre Sainte-Beuve, parce que j'ai découvert la critique artiste que je ne connaissais pas, puis je suis arrivée à une lecture professionnelle, et j'ai lu La Recherche comme un roman policier - comme un roman qui me posait une question perpétuelle, et ce qu'on apprend, c'est qu'on ne se connaît pas soi-même. "Comme on s'ignore", c'est ainsi la devise de La recherche. Il y a cette perpétuelle relecture qui fait qu'on n'aura jamais la vérité sur les personnages." Nathalie Mauriac Dyer

La Recherche ou la question obsessionnelle de l'amour

Et l'amour est traité dès le premier volume, dans un chapitre spécial, Un amour de Swann, puis l'amour du narrateur pour d'abord pour Gilberte, et il y a de nombreuses autres occurrences. "L'amour n'est pas une relation, l'amour est une projection". Pour Proust sur la question de l'amour, poursuit Alain Finkielkraut, il y a une loi, et une loi unique, un rien fanatique, et il semble bien que Proust se donne pour rôle de déchirer le voile des apparences - en moraliste, comme le soulignait Mathilde Brézet.

"On est frappé en tant que lecteur par la vérité, la finesse de certaines observations, tout ce qui ressort encore une fois de son regard de moraliste ; cette manière de voir que l'amour est dans le sujet aimant plus que dans l'objet aimé, de voir par exemple que la mort n'est rien à l'amour, que l'amour ne disparaît pas avec l'objet qui meurt et qui disparaît. Par plein d'aspects, il est absolument convaincant, et en même temps quand on regarde la figure d'amoureux qu'il tient, c'est tout sauf convaincant. L'art d'aimer que propose la Recherche est lamentable. Cette contradiction vient bousculer l'enseignement que Proust nous donne sur l'amour." Mathilde Brézet

"Il n'y a pas d'art d'aimer dans 'La Recherche'"

"Dans La Recherche, Proust ne nous propose pas un art d'aimer, il n'y a pas d'art d'aimer ; Proust nous montre ce qu'il ne faut pas faire - lui, son narrateur ou Swann ne peut faire que ça, mais il nous dit 'surtout, ne le faites pas". C'est une description clinique de la jalousie qui n'est absolument pas érigée en modèle - il y a une structure psychique qu'il ne peut évidemment pas dépasser, mais qu'il parvient tout de même à transcender, puisqu'il nous dit "on peut presque dire que les œuvres- comme dans les puits artésiens - montent d'autant plus haut que la souffrance a pu plus profondément creuser le cœur'. Il y a cette sorte d'impuissance à aimer, c'est vrai, mais la contrepartie est tout de même cette œuvre extraordinaire." Nathalie Mauriac Dyer

Écoutez et abonnez-vous à la collection d’émissions consacrée à Marcel Proust pour (re)découvrir cette figure centrale de la littérature française, à travers l’économie, la gastronomie, le cinéma, la philosophie ou la médecine dans "Proust, le podcast".

Bibliographie

Mathilde Brézet Le grand monde de Prous t, éditions Grasset 2022

Nathalie Mauriac Dyer Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits , éditions Gallimard 2022.

Le Journal de la philosophie
8 min
À lire aussi : Proust l'optimiste
La Compagnie des auteurs
58 min