

Montaigne, l'auteur des "Essais", a-t-il traversé les siècles et nous est-il cher entre tous, parce qu'il est ordinaire ? Conversation autour de l'œuvre du philosophe, avec Arlette Jouanna et Antoine Compagnon.
- Antoine Compagnon Professeur au Collège de France depuis 2006, titulaire de la chaire de Littérature française moderne et contemporaine
- Arlette Jouanna professeur émérite à l'université Paul Valéry (Montpellier III)
Une ample biographie lui rendait hommage : conversation autour de Michel de Montaigne. Alain Finkielkraut s'entretient ave la regrettée, Arlette Jouanna (1936-2022), historienne, auteure de Montaigne, paru aux éditions Gallimard, collection nrf, 2017), et l’essayiste, Antoine Compagnon, professeur, producteur de la série de radio, "Un été avec Montaigne".
"On l'imagine souvent retiré dans sa tour pour caresser les muses et élaborer une sagesse intemporelle. Mais Montaigne ne peut se résumer à l'image du philosophe voué à la contemplation. C'est un seigneur à la tête d'un vaste domaine, avec ses paysans, ses vignes et ses champs. Un gentilhomme pétri de culture nobiliaire, dont il brave les certitudes pour leur substituer un idéal inédit : conquérir la grandeur dans la «médiocrité» d'une existence ordinaire. Un ancien magistrat aussi, pénétré d'un riche savoir juridique, qu'il mit pour un temps en œuvre au Parlement de Bordeaux, ville dont il deviendra le maire. (…)" Arlette Jouanna, Montaigne, présentation, éd. Gallimard.
Une rediffusion de l'émission du 6 /01/2018.
"Selon Albert Thibaudet, figure centrale des lettres françaises dans l'entre deux guerres, qu'Antoine Compagnon a contribué à tirer de l'oubli, il y a deux grandes natures d'auteurs qu'on appellerait volontiers sans la moindre idée d'une hiérarchie des génies, des auteurs ordinaires et des auteurs extraordinaires. L'auteur ordinaire, selon Thibaudet, n'est pas l'homme moyen de son pays, mais le délégué excellent et éminent de l'homme moyen, le représentant d'un ordre, un chef de file, le point par où étincelle une famille et qui traduit cette famille en lumière. L'auteur extraordinaire lui, apparait au sommet d'une pente abrupte. Il n'est pas un chef de file mais une file à lui tout seul. A cette catégorie, à cette classe d'inclassables, d'incalculables, d'irréductibles appartient Pascal, tandis que Montaigne se propose aux esprits comme un révélateur au sens du photographe, un révélateur d'eux mêmes, de leur portrait." Alain Finkielkraut
"Pascal le grand extraordinaire, Montaigne le grand ordinaire"
"Il faut prendre le mot "ordinaire" au sens que Montaigne lui donnait, il aurait préféré, je crois, dire, une "vie humaine" à la place d'une "vie ordinaire". Que veut dire une "vie ordinaire" de son temps ? C'était refuser les voies qui donnaient l'accès à la grandeur à la réputation. Dans son milieu nobiliaire, c'était l'exploit sur les champs de bataille ou bien, l'accès à de grandes charges royales ; il a choisi délibérément de s'affranchir de ses tentations, de ses ambitions, pour se retirer chez soi, non pas au sens de dans sa maison mais dans son for intérieur - "Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà" et il opère une conversion des autres regards, de "devant soi moi je regarde devant moi".
"Montaigne montre que c'est précisément une vie ordinaire qui permet d'atteindre à l'extraordinaire"
"C'est une expérience libératrice, Montaigne montre que c'est précisément une vie ordinaire qui permet d'atteindre à l'extraordinaire, à la grandeur, parce qu'elle amène à découvrir un continent inconnu, une foule de pensées, de réflexions, parce qu'elle amène à sentir en soi ce foisonnement réflexif qui est littéralement vivre. Arlette Jouanna
"La vie de Montaigne, c’est une vie extraordinaire pour un homme de la Renaissance, incontestablement, mais il a réussi à en faire cette œuvre qui est une sorte de miroir où chacun peut se rencontrer et se retrouver". Antoine Compagnon
"Montaigne a horreur de la doctrine, de tout ce qui est système philosophique qui est aliénant, enfermant et notamment la philosophie à la mode à son époque, le néoplatonisme qui rejetait l'aspect trivial du corps. Or, Montaigne a cette phrase merveilleuse : 'La vie est merveilleusement corporelle'. Il insiste sur l'étroite couture entre le corps et l'âme qui sont deux indissociables. Il célèbre le corps avec sa trivialité, sa vulgarité, ses imperfections mais ce corps qui est si ridicule parfois est aussi la source de jouissances à savourer." Arlette Jouanna
Un cycle de rediffusions Répliques
"Vous êtes nombreux à avoir noté le cycle de rediffusions de l’émission, Répliques, que nous vous proposons depuis plusieurs semaines. L’état de santé d’Alain Finkielkraut n’a pas pu lui permettre de venir à l’antenne, et nous vous remercions de votre attention et de votre fidélité. Nous espérons tous qu’il sera le plus rapidement possible en situation de pouvoir retrouver ses auditeurs. Bien cordialement." Sandrine Treiner – directrice de France Culture.
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