« Thank you, monsieur Spielberg ! » , titrait lundi Nice-Matin. “Voir le roi du cinéma hollywoodien, Steven Spielberg, remettre une Palme d’or au plus naturaliste des réalisateurs français pour un film aussi audacieux (dans tous les sens du terme) que * La Vie d’Adèle est un événement auquel le plus imaginatif des scénaristes n’aurait certainement jamais pensé”* , s’enthousiasme Philippe Dupuy dans le quotidien régional, qui remercie encore Spielberg “pour cette * « very Nice palme », puisque le réalisateur est un enfant de Nice.” *
“Il y a eu des festivals moyens sauvés par des palmarès grandioses (l’édition 2010) , estime Jean-Marc Lalanne sur le site des Inrockuptibles, beaucoup de festivals enthousiasmants écornés par des palmarès tristes, et de temps en temps une concordance parfaite où le palmarès reflète absolument le Festival que nous avons vécu. Donc, on saute au plafond et on fait la ola pour la Palme d’or attribuée à * La Vie d’Adèle, geste de cinéma d’une puissance sidérante, film à la fois d’une grande radicalité dans sa facture et totalement fédérateur par sa force émotionnelle”* , estime le rédacteur en chef de l’hebdomadaire, qui rappelle que “durant toute la manifestation, beaucoup de festivaliers s’interrogeaient sur les goûts de Spielberg, son rapport au cinéma contemporain, sa connaissance du cinéma d’auteur mondial… Même si on imagine que la décision fut collégiale, il est à noter que les deux palmarès les plus forts de ces dernières années ont été concoctés par des cinéastes au sommet de l’industrie hollywoodienne : le jury Tim Burton récompensant en 2010 * Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul le jury Spielberg couronnant Kechiche. De quoi réviser les a priori sur l’autarcie des grands cinéastes américains et la curiosité supposée des grands maîtres européens (le palmarès Moretti, par exemple, n’était pas très excitant).”*
“Il faut oser, il en reste toujours quelque chose , salue Pierre Vavasseur dans Le Parisien . Adoubée en beauté par Cannes, avec estampille Spielberg garantie cent ans, * La Vie d’Adèle change le visage du cinéma français et va sans conteste ouvrir de nouveaux chemins aux scénaristes et aux producteurs”* , parie le critique. Ce qui serait un cauchemar pour une des rares voix discordantes dans ce concert de louanges, Eric Neuhoff du Figaro . “Cette récompense , estime-t-il*, permet de vérifier que les Californiens aussi sont perméables à la mode. On ignorait que Spielberg écoutait les gazettes parisiennes et spécialisées. Son geste est assez symbolique. Il marque de bien faibles convictions, confirme les pronostics les plus paresseux. Alors comme ça, l’érotisme le plus précis, le saphisme n’effraient pas le créateur d’* E.T.* Nous en voilà ravis. Derrière une caméra, Spielberg est sans doute un génie. Autour d’une table de délibération, ça n’est pas ça. Ça faisait des lustres qu’on n’avait pas vu un palmarès aussi tristounet.”*
Humeur totalement inverse chez les critiques de Libération * : “Le soir de la « manif pour tous », emblème d’une France dont on n’est pas très fier, la palme d’or à * La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, fait plaisir , écrivent-ils collectivement. Ne serait-ce que parce qu’il contredit certains propos du blaireau de base cannois, très hostile au film sur le thème « v’là autre chose, un film de gouines tourné par un arabe ». La projection officielle de * La Vie d’Adèle a eu lieu jeudi à 22 heures. Ce fut un triomphe, au terme de trois heures d’éducation sentimentale et sexuelle en très gros plans, à la durée et au dispositif radicaux, capable d’une douceur inégalée tant par l’œuvre passée du cinéaste que par tout autre film vu à Cannes cette année. […] La palme décernée à Kechiche achève de le consacrer comme le nouveau patron du cinéma français après les triomphes publics et multicésarisés de * l’Esquive* et de * La Graine et le mulet. Kechiche est un cas dont on ne peut trouver d’autre équivalent que Maurice Pialat. Il est connu pour être un tyran sur ses tournages, et celui d’ Adèle* a duré cinq mois. Certains techniciens ont d’ailleurs profité de l’exposition cannoise pour dire tout le mal qu’ils pensaient des méthodes désinvoltes et autoritaires d’un cinéaste au plan de travail sans arrêt bousculé. […] Il faut noter* , poursuit Libération , qu’après Sean Penn accordant, en 2008, la palme à Laurent Cantet ( Entre les murs*), Spielberg récompensant Kechiche cinq ans plus tard, c’est à nouveau Hollywood qui célèbre l’exception culturelle française, ce que n’a pas manqué de rappeler en préambule le président du jury.”*
Ce que note également dans Le Monde Thomas Sotinel, qui rappelle la déclaration de Spielberg avant de proclamer les résultats : “ « L’exception culturelle est le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma. »* Ce qui n’est pas rien venant d’un homme qui a à la fois produit la série des * Transformers*, archétype du produit nivelant par le bas la consommation culturelle mondiale, et réalisé des films aussi ambitieux, formellement et intellectuellement, que * Minority Report* ou * Lincoln*.*
La Vie d’Adèle représente à bien des titres l’un des aspects les plus menacés de cette diversité culturelle. Par sa durée, trois heures, le film d’Abdellatif Kechiche rebutera tous les grands circuits d’exploitation du monde, à l’exception des français. Par sa représentation de l’amour physique, il heurte de front le système de censure mondiale qu’imposent les superpuissances de la diffusion culturelle, de Facebook à Apple. […]
Cette Palme est également promise à un grand avenir d’accessoire dans les débats qui agitent aujourd’hui le cinéma français et européen , poursuit le critique du Monde. D’une part, le film de Kechiche a bénéficié du système d’aides, y compris territoriales, que pourraient remettre en question les négociations sur le commerce international. Le cinéma français est en forme, il vient de remporter sa deuxième Palme en cinq ans (après * Entre les murs), alors que le précédent intervalle avait été de vingt et un ans. D’autre part, la polémique déclenchée par le syndicat CGT autour des conditions de tournage du film trouve ici une première conclusion. Elle pourra servir d’argument aux tenants de la ligne syndicale, qui verra dans le succès commercial que favorise la Palme d’or une bonne raison pour appliquer strictement le droit du travail. De leur côté, les tenants des arrangements créatifs avec la règle feront valoir qu’ils ont ici favorisé l’éclosion d’un grand film, et d’une actrice pleine de promesses en la personne d’Adèle Exarchopoulos.”*
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