Ça n’aura pas échappé, même aux plus distraits d’entre vous : le 65ème Festival de Cannes commence demain, raison pour laquelle, d’ailleurs, je confie cette revue de presse aux bons soins de Flore Avet pour une dizaine de jours. Vos journaux vont en être pleins, de ce festival, il faut dire qu’avant même son démarrage, c’est déjà depuis quelques semaines la préoccupation principale de tout ce que la France compte de critiques de film, comme l’a raconté Gérard Lefort dans un billet de Libération . “Maintenant que le festival de la présidentielle est terminé, * écrit-il, le Festival de Cannes, légèrement hors sujet ces temps derniers, reprend du poil de la palme. De nouveau, le débat critique fait rage : * « T’as quoi comme couleur d’accréditation ? La blanche qui donne accès au portable de Nanni Moretti ou la livide “je rentre nulle part même à la plage Fernet Branca“ ? »* Bref, nous y sommes, d’autant que de plus en plus de films montrés à Cannes sont vus avant à Paris. Cet exercice de détumescence a plusieurs causes. Beaucoup de films présentés lors du festival sortent le jour même en salles ou dans la semaine qui suit leur première cannisse. On peut donc comprendre le point de vue des distributeurs qui veulent montrer en amont ces films à la presse, surtout mensuelle et hebdomadaire, pour qu’elle soit synchrone avec leur calendrier. Autre cause, nettement plus discutable* , estime Gérard Lefort *: être les premiers. Depuis une bonne quinzaine, c’est la guerre des mal-buzzés qui le dispute au happy fewtage de gueule : * « T’as vu le Cronenberg-Resnais-Audiard ? Non ? C’est bizarre, tout le monde l’a vu. » Ce genre.
(Moi qui n’ai vu ni le Cronenberg, ni le Resnais, et encore moins le Audiard, je peux en témoigner, on m’a tenu quasi mot pour mot les mêmes propos…) Ce qui n’exclut pas , poursuit le critique de Libération , des avertissements préprojection du style : * « On va montrer un film qui n’est pas tout à fait sec [en français, manque à peu près tout, la musique, le générique, et plein d’autres détails techniques] mais ça donne une idée. » Le problème, c’est que c’est souvent sur cette idée approximative que bien des critiques vont être écrites. * Libération*, comme tous les journaux, bénéficie de ce système de l’avant pour être mieux disponible pendant, la majorité des films cannois n’étant quand même visible qu’in situ la Croisette. Mais ce phénomène de la primeur prenant chaque année un peu plus d’ampleur, on imagine l’agacement (euphémisme) des organisateurs du festival, toutes sélections confondues, qui se demandent pourquoi ils passent un an à se décarcasser pour présenter des films inédits dans les meilleurs conditions de projection du monde, si on leur crame ainsi la surprise, et surtout le plaisir. Entendrons-nous un jour : * « Tu vas à Cannes ? – Non, j’en suis déjà revenu. » ?“
Ce qu’on est en tout cas certain de ne pas voir en compétition, ni en préprojection parisienne secrète ni même officiellement à Cannes, ce sont des films signés par des femmes. Pas une réalisatrice en course pour la Palme d’Or cette année, ce qui n’a pas échappé à Fanny Cottençon, Virginie Despentes et Coline Serreau, qui ont publié une tribune dans les pages Débats du Monde , un texte dont l’initiative revient au collectif d’action féministe La Barbe. “ « Qu’est-ce qui a changé dans le cinéma ? Tout ! », s’exclamait Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, lors de la présentation des films sélectionnés pour la 65e édition. Tout ?! Un instant, nous avons frémi , écrivent ces dames. A tort, puisque les vingt-deux films de la sélection officielle ont été réalisés, heureux hasard, par vingt-deux hommes. Le Festival couronnera donc pour la 63e fois l’un d’entre eux, défendant ainsi sans faillir les valeurs viriles qui font la noblesse du septième art.
Une fois seulement, en 1993, la Palme était en effet attribuée à Jane Campion, une réalisatrice. Et en 2011, par manque de vigilance sans doute, quatre femmes s’étaient immiscées parmi les vingt nominées à la compétition officielle. Thierry Frémaux, délégué général, ne manquait pas de le remarquer : * « C’est la première fois qu’il y a autant de femmes. » Coupable faiblesse ! D’autant plus impardonnable que les Césars avaient en 2011 montré un digne exemple en ne sélectionnant aucune femme dans les catégories « meilleur film » ou « meilleure réalisation ».*
Messieurs, vous avez retrouvé vos esprits et nous nous en réjouissons. Le Festival de Cannes 2012 permet à Wes, Jacques, Leos, David, Lee, Andrew, Matteo, Michael, John, Hong, Im, Abbas, Ken, Sergei, Cristian, Yousry, Jeff, Alain, Carlos, Walter, Ulrich, Thomas de montrer une fois de plus que * « les hommes aiment la profondeur chez les femmes, mais seulement dans leur décolleté ».*
Cette sélection exemplaire est un signe fort envoyé à la profession, et au public du monde entier. Car qui mieux que le plus prestigieux festival de cinéma au monde, pour être le porte-voix de cet immuable message. Avec une grande lucidité sur son rôle primordial, vous avez su empêcher toute velléité féminine de briguer une quelconque place dans ce milieu si bien gardé. Surtout, ne pas laisser penser aux jeunes filles qu’elles pourraient avoir un jour l’outrecuidance de réaliser des films et de gravir les marches du Palais autrement qu’au bras d’un prince charmant. […]
De quoi se plaindraient nos muses ? Elles sont célébrées pour leurs qualités essentielles : beauté, grâce, légèreté… Evitons-leur les affres de la direction d’une équipe de tournage, épargnons-leur la pénible confrontation avec les contraintes techniques d’un plateau. Qu’iraient-elles s’ennuyer dans le comité d’organisation où se prennent les décisions importantes et qui, pour preuve, n’a connu depuis sa création que des présidents ? Gardons aux hommes la lourde charge de ces fonctions rébarbatives. Aux femmes les bobines à coudre, aux hommes celles des frères Lumière !“
Ce à quoi a répondu le délégué général du Festival, au détour d’un entretien au Journal du Dimanche , dans son supplément spécial Cannes : « Une bonne sélection est avant tout une série de bons films. C’est vrai qu’il n’y a pas de femme ni de premier film en compétition cette année, mais il n’est pas question d’imposer des quotas. Au fond, on ne choisit pas les films, ce sont les films qui viennent à nous. »
Mesdames, un seul conseil, si vous voulez être en compétition : venez à Thierry Frémaux, et faites de bons films !
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