Faut-il vendre son âme au Père Noël ?

France Culture
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“Le Royal de Luxe voit rouge , rapportait quelques jours après Noël Gilles Renault dans Libération , à l’image du célébrissime logo de la marque qui provoque ces jours-ci l’ire de la troupe nantaise mondialement connue pour ses spectacles de rue. Le Royal de Luxe a en effet décidé * [le 26 décembre] de porter plainte contre la * world company* américaine Coca-Cola pour plagiat, à propos d’une publicité mettant en scène un Père Noël géant, a annoncé la troupe dans un communiqué. Visible sur YouTube, et semble-t-il destinée, au moins, au marché polonais, le spot, qui dure une minute, ne laisse planer aucune équivoque concernant la source d’inspiration. Livré nuitamment par un semi-remorque, on y voit un immense Père Noël sortir d’une boîte blanche, ouvrir les yeux (une des scènes archétypiques du Royal de Luxe), se déployer sous quelques flocons et être actionné avec des cordes et des poulies par de vrais humains au milieu de tristounettes barres d’immeubles. * « Coca-Cola nous a contactés en mai dernier pour réaliser une publicité de Noël. Ils souhaitaient un “Santa Claus de douze mètres de haut”, animé à la façon de nos géants », précise la troupe dans son communiqué. Ajoutant un point de vue éthique : * « Nous avons décliné cette proposition, ayant toujours refusé d’être au service d’une marque. Si nous acceptons un type de partenariat commercial, il ne peut s’agir que de mécénat. Toutes les entreprises qui ont sollicité Royal de Luxe ont toujours respecté notre démarche. » Mais, en décembre, * « loin de “la joie et la magie” prônées par l’entreprise Coca-Cola au moment de Noël, nous découvrons un “Père Noël”, triste plagiat de nos géants », assure le même communiqué.

« Attitudes, mouvements, actions, regards », pour le Royal de Luxe, le flagrant délit est avéré, et le préjudice constitué : * « Depuis que cette publicité circule, observe Gwen Raux, la productrice déléguée de la compagnie, * nous avons été assaillis d’appels de professionnels du monde du spectacle, comédiens ou techniciens qui, dans un premier temps, s’étonnaient du fait que l’on ait pu accepter ce type de collaboration. »* Le modèle restant la grande parade de géants que le Royal de Luxe décline et adapte, depuis 1993, un peu partout à travers le monde (Londres, Berlin ou Guadalajara), comme l’an dernier à Liverpool, où un public familial s’extasiait encore devant ce défilé à la fois spectaculaire, drôle et poétique, dans lequel on suit à travers la ville les personnages animés par une armada de « Lilliputiens ». Parlant de * « supercherie », d’ « usurpation d’image parasitaire, hautement nuisible », l’association Théâtre Royal de Luxe * « a chargé ses avocats de saisir la justice ». Ses croquis sont déposés et l’antériorité plaide en sa faveur. *

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Depuis ses origines, Royal de Luxe est dirigé par Jean-Luc Courcoult, lui-même personnage haut en couleur qui, en apprenant que la marque de soda avait osé attenter à son intégrité artistique, formule sa réaction sur un ton plutôt désabusé, limite fataliste : * « Je trouve cette histoire lamentable, sans être pour autant très étonné qu’elle se produise de nos jours, dit-il. * Cela me semble surtout assez symptomatique de l’irrespect qu’une marque comme Coca-Cola a pour la création. Une grande firme se saisit d’une image, puis en fait ce qu’elle veut, avec derrière 150 avocats pour défendre ses intérêts. » « Je ne m’arrache pas les cheveux pour autant, d’ailleurs je n’en ai plus beaucoup*, ajoute le mentor. * Mais les bras m’en tombent quand même un peu. Même si le terme est fort, je crois qu’on peut parler de viol du monde artistique, effectué par des gens qui n’ont aucun respect pour la poésie et, d’ailleurs, ne savent même pas ce que c’est. »

Un qui ne croit plus non plus au Père Noël, c’est le metteur en scène néerlandais Ivo van Hove, qui a réagi dans Télérama aux coupes budgétaires qui frappent la culture en Hollande. « Une question revient sans cesse dans la bouche des politiques , déclare-t-il : la culture est-elle si importante que ça ? Cela me désespère car l’idée la plus répandue aujourd’hui est de l’évaluer d’un point de vue économique. Pour réduire la dépense publique en 2012 on a coupé d’un tiers la somme qu’on lui consacre (passée de 0,55 à 0,3% du budget national). Les musées, l’opéra, les orchestres, le Holland Festival ou les théâtres ont été touchés. Les huit institutions théâtrales du pays dirigées par des metteurs en scène ont vu leur subvention baisser. J’ai perdu 10% des subventions de l’Etat et de la ville et je dois renoncer à quatre projets. Des compagnies indépendantes vont s’arrêter. Cela a commencé il y a deux ans quand le parti libéral de droite, alors au pouvoir, a déclaré que la culture devait s’autofinancer via les mécènes privés et rapporter de l’argent. Aujourd’hui tous les élus sont d’accord. Le parti chrétien pense qu’il y a trop d’argent dans les grandes villes et souhaite le redistribuer aux petites l’extrême droite, comme d’habitude, veut nous couper les vivres.

Quant aux socio-démocrates… alors qu’ils étaient furieux des restrictions lorsqu’ils étaient dans l’opposition, ils n’ont rien changé à cet arbitrage une fois entrés, au printemps dernier, au gouvernement de coalition * (ça vous rappelle quelque chose ?). Comme ces économies sont des bouts de chandelle au regard du reste, c’est surtout un choix politique* : tous considèrent le théâtre et la culture comme le loisir d’une élite de gauche qu’ils veulent tuer. Ils nous rebattent les oreilles avec LA crise, mais elle a bon dos , estime Ivo van Hove*. Les gens ne sont vraiment pas pauvres en Hollande et le public continue d’aller au théâtre. Il est éduqué et exigeant : il apprécie le théâtre de création – et même souvent un théâtre encore plus expérimental ! Comme directeur et metteur en scène, je ne suis pas un irresponsable. Je sais choisir les œuvres du répertoire à destination d’un public plus large (cette année d’ailleurs on compte dix Shakespeare à l’affiche dans le pays et beaucoup de Tchekhov…), mais aussi tenter des aventures plus risquées. S’il le faut, je sais lever des fonds dans le privé, mais je ne vendrai pas mon âme, je ne laisserai pas la logique commerciale l’emporter. »*

Info transmise à Coca-Cola, si jamais ils leur prenaient l’envie de le contacter…