

Alors que le gouvernement italien continue à développer la culture, en tant que moyen de lutter contre l'intolérance, ses homologues israéliens et polonais en font au contraire une arme dans la bataille interne pour l'hégémonie culturelle, et pratiquent coupes de budgets et actes de censure.
On se lamente souvent ici des politiques culturelles, ou de leur absence, en notre beau pays. Voyons un peu comment ça se passe ailleurs… « Le cœur de la culture italienne bat plus vite », titre La Croix. On avait parlé de ce discours du premier ministre Matteo Renzi, après les attentats du 13 novembre, où il déclarait que “l’Italie entrait « en résistance face à Daech » [et débloquait] « plus de deux milliards qui seront utilisés à proportion égale entre la sécurité et la culture ». […]. Dario Franceschini, le ministre de la Culture, a annoncé, lui, l’institution – le 22 octobre – d’un « Jour du théâtre » gratuit. Et surtout, il a confirmé que le budget de la culture (plus de 2 milliards d’euros) augmenterait de 27 % par rapport à 2015. […] « Aujourd’hui, nous avons un gouvernement qui comprend que la culture, en tant que pont entre les civilisations, va de pair avec la lutte contre l’intolérance. C’est encourageant », se réjouit Mario De Simono, directeur général de Palaexpo, qui réunit, à Rome, la gestion du Palais des expositions et des Écuries du Quirinal.”
"Culs serrés, hypocrites et ingrats"
Malheureusement, tous les gouvernements n’ont pas cette conception… “« Je suis fière de dire qu'une institution culturelle portant atteinte à l'Etat ne bénéficiera pas de son soutien. » C'est ainsi, rapporte le correspondant du Monde à Jérusalem, Piotr Smolar, que la ministre israélienne de la culture et des sports, Miri Regev, a célébré la validation de son projet de loi dit « de loyauté » par le procureur général, Avihai Mandelblit. Ce texte très controversé, qui a provoqué la fureur des milieux artistiques traditionnellement proches de la gauche, doit encore être débattu à la Knesset. Il offre la possibilité au ministère de couper les fonds attribués à des institutions qui se rendraient coupables des faits suivants : incitation au racisme et à la violence, soutien au terrorisme, négation de la légitimité d'Israël comme Etat juif et démocratique, avilissement des symboles de l'Etat. […] La ministre a beau rejeter les accusations de censure et de mise en coupe réglée de la culture, l'initiative, sur laquelle le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, ne s'est pas clairement exprimé, a provoqué un vif débat. L'acteur Lior Ashkenazi a réagi avec humour sur sa page Facebook : « Voici un projet de loi encore meilleur : à partir de maintenant, avant chaque pièce, chaque film, chaque spectacle, conférence ou même manifestation, l'hymne national sera joué et deux drapeaux seront placés de chaque côté de la scène, pour que nous sachions d'où nous venons, et, surtout, où nous allons. » […] Miri Regev, l'un des faucons du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, n'en est pas à son premier coup d'éclat. Ancienne porte-parole de l'armée, elle ne cache pas ses lacunes en matière culturelle. Elle vise les élites ashkénazes traditionnelles, dont le poumon est Tel-Aviv et le cœur, franchement à gauche. Sa politique est placée sous le signe d'une revanche historique et d'une redistribution des privilèges au profit des Séfarades et de la droite nationaliste. Elle veut ainsi revoir l'attribution des fonds alloués par son ministère au profit de spectacles et d'événements culturels situés dans ce qu'on appelle les périphéries, les régions défavorisées. En juin 2015, la ministre, issue des rangs du Likoud, avait qualifié les artistes, majoritairement hostiles à ses vues, de « culs serrés, hypocrites et ingrats ». Miri Regev entreprend, dans le monde de la culture, ce que son collègue Naftali Bennett, chef du parti extrémiste le Foyer juif, fait à l'éducation. Derrière ses propos incendiaires et ses textes législatifs se dessine une bataille pour l'hégémonie idéologique en Israël.”
La première fois, depuis la chute du communisme, qu'un ministre de la culture s'en prend ouvertement à un spectacle
Même bataille pour l’hégémonie idéologique, cette fois en Pologne. “Krzysztof Mieszkowski, le directeur du Théâtre polonais de Wroclaw, dit se réjouir « que la culture soit si vivante et qu'elle soit capable d'éveiller des débats si passionnés en Pologne », relate toujours dans Le Monde, Marie Zawisza. Il insiste, il le répète, mais ses traits sont tirés et il ne sourit guère. Pendant l'année 2016, sa ville sera l'une des Capitales européennes de la culture, promue par ces Vingt-Huit que le gouvernement nationaliste accuse de gommer la spécificité polonaise. Une des pièces à l'affiche cette année dans son théâtre, La Jeune Fille et la Mort, a frôlé la censure : Piotr Glinski, le ministre de la culture du gouvernement de droite nationaliste, est intervenu auprès du préfet afin de tenter de la faire interdire avant sa première. « Je crois que dépenser des fonds publics pour de la pornographie est inacceptable et va au-delà de la liberté d'expression », explique-t-il au Monde. De fait, le site Internet du théâtre avertissait le spectateur, avant même la première, de la présence d'une scène de sexe jouée par des acteurs pornos. « Il s'agit d'une pièce artistique sur la condition des femmes dans la société contemporaine et la pression du désir masculin sur leur corps, explique Krzysztof Mieszkowski. Si la metteuse en scène a fait venir des acteurs pornos, c'est pour interpréter et donner à voir le caractère technologique que peuvent avoir les relations sexuelles aujourd'hui. » La pièce a finalement été maintenue, elle fait salle comble et la critique salue l'œuvre théâtrale, qui ne semble pas particulièrement crue. Et pour cause : le théâtre a renoncé à la scène litigieuse. S'il n'y a pas eu de censure, c'est la première fois, depuis la chute du communisme, qu'un ministre de la culture s'en prend ouvertement à un spectacle. […] Après la polémique au sujet de La Jeune Fille et la Mort, Krzysztof Mieszkowski a ainsi décidé, non sans humour, de remplacer l'une des pièces programmées au Théâtre polonais de Wroclaw par Le Procès, de Kafka – l'histoire d'un homme arrêté sans savoir de quoi il est accusé et qui finit par se convaincre de sa culpabilité. A Poznan, le Théâtre du Huitième Jour, foyer historique de résistance et de contestation politique depuis la période communiste, prépare, lui, un grand spectacle en plein air alliant performances et installations vidéo autour de la révolte des ouvriers de Poznan en 1956 contre l'autoritarisme du système soviétique. « Les spectateurs reconnaîtront sans doute sur la scène des aspects de la politique actuelle… Aujourd'hui, ce qui se passe en Pologne est à la fois grotesque et terrible », affirme la directrice du théâtre, Ewa Wojciak.”
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